Une carrière en droit, bien au-delà des cabinets juridiques
Pour de plus en plus de diplômés, mais aussi de juristes chevronnés, le titre de juris doctor ouvre un monde de possibilités professionnelles et n’est plus uniquement un aller simple vers la pratique privée

Enfant, Brittany Ennis rêvait d’une carrière en droit.
Elle savait qu’une juriste pouvait avoir de l’influence, puisque des juristes avaient aidé ses parents à l’adopter d’un orphelinat chinois. Elle a donc travaillé dur, a été acceptée en droit, a obtenu son diplôme en 2023 et a fait un stage dans un cabinet de taille moyenne.
C’est là qu’elle s’est rendu compte que la pratique privée n’était pas ce qu’elle imaginait.
« J’ai des amis qui travaillent sur Bay Street et ils adorent ça. Mais ça ne semblait pas nécessairement me convenir », dit-elle.
Elle a bien aimé le mentorat reçu pendant ses heures dans un service juridique municipal, mais les règlements administratifs ne la passionnaient guère.
« Je voulais travailler dans un secteur m’intéressant vraiment – et pour quelqu’un réellement prêt à m’offrir un mentorat solide, prêt à aider mon développement dans ce travail. »
Après des mois à se chercher et à faire la chasse aux emplois, Me Ennis est devenue juriste interne chez McKellar Structured Settlements à Guelph, en Ontario. Ce cabinet, qui aide les victimes de blessures corporelles à obtenir leur indemnité, lui a donné le travail concret et le milieu propice qu’elle recherchait.
Elle est loin d’être la seule. Selon la National Association for Law Placement des États-Unis, plus du tiers des diplômés en droit en 2023 n’exercent pas en pratique privée. Et quant à ceux qui y font leurs débuts, beaucoup n’y sont pas demeurés.
Que cache cet exode hors cabinet
Fiona Kay, sociologue à l’Université Queen’s, s’est penchée sur les chiffres. D’après une enquête longitudinale de 27 ans sur les juristes ontariens admis au Barreau entre 1975 et 1990, beaucoup de jeunes juristes passent d’un cabinet à l’autre durant leurs premières années de pratique parce qu’ils recherchent les meilleures perspectives de carrière.
Cependant, elle a constaté avec étonnement l’exode vers les postes de juriste en contentieux ou vers la fonction publique, et le fait que ce mouvement continuait même chez les juristes solidement établis dans leur parcours vers le statut d’associé.
« On en voit se réorienter vers d’autres secteurs après 12 ou 15 ans de carrière », explique Mme Kay.
On voit aussi des différences frappantes entre les sexes : plus de femmes quittent plus tôt, et en plus grand nombre. D’après les plus récentes statistiques du Barreau de l’Ontario, seuls 47 % des femmes juristes travaillent dans le secteur privé, tandis qu’ils sont 65 % chez leurs pairs masculins.
Mme Kay pense que cet exode s’explique par le désir d’un contrôle accru sur les heures de travail, que les juristes aient des enfants ou non. Les postes de juristes en contentieux ou dans la fonction publique peuvent être aussi exigeants qu’en pratique privée, mais les choses y sont habituellement plus prévisibles et la pression d’être sur appel en tout temps est moindre. C’est peut-être pour cela, selon les données, que les cabinets offrant la flexibilité voient moins de juristes quitter leurs rangs.
Elle attire aussi l’attention sur la discrimination subtile dont bien des juristes adjointes continuent d’être victimes dans les cabinets en tant qu’associées.
« Le plus souvent, elles ne disent pas s’être explicitement vu refuser du travail par un collègue ou un client, mais simplement ne pas avoir accès à ces affectations étendues », dit Mme Kay.
Et puis, maints cabinets ont une culture du travail dur, et exercent une pression constante d’attirer des clients et d’atteindre des objectifs d’heures facturables. D’après un rapport de l’ABC sur le bien-être dans la profession juridique publié en 2022, les juristes en pratique privée présentent les taux d’épuisement professionnel les plus élevés, surtout les femmes, les membres des minorités racisées, les juristes ayant un handicap et les membres de la communauté +2ELGBTQ2.
Prêt pour le prochain chapitre
Toutefois, bien des juristes qui quittent les cabinets ne le font pas par insatisfaction.
« Je dirais que c’est une progression naturelle pour beaucoup d’entre eux », dit Randi Bean, recruteuse juridique qui a fondé Life After Law en 2000 pour se consacrer aux carrières juridiques non traditionnelles.
Elle souligne que les jeunes juristes font souvent leurs débuts en pratique privée pour gagner quelques années d’expérience, avant de faire le saut comme juriste en contentieux, dans la technologie juridique, dans les relations de travail ou dans une foule d’autres domaines connexes au droit.
Certains recherchent l’occasion d’influer sur les politiques publiques, le travail d’équipe qu’on trouve en entreprise ou les sensations fortes qu’offrent les entreprises en démarrage.
« J’en connais qui ont démarré une foule d’entreprises en tous genres en utilisant leur formation de juriste comme tremplin », dit Me Bean.
Il arrive que des juristes chevronnés se sentent prêts à relever de nouveaux défis. C’était le cas de Cherolyn Knapp après quinze ans d’exercice en litiges civils, dont huit comme associée.
Représenter ses clients était très gratifiant, mais elle se demandait si elle pouvait mieux les servir en s’attaquant aux conflits avant qu’ils explosent.
« J’ai fini par simplement souhaiter les aider à régler leurs disputes, raconte-t-elle. Quand les parties appellent l’avocat plaidant, elles sont souvent fermement ancrées dans leurs positions. »
C’est ainsi qu’en 2019, après une formation de médiatrice, elle a démarré une pratique spécialisée dans la résolution de conflits en milieu de travail. À bien des égards, son travail reste le même. Elle gère un cabinet, s’affaire à attirer la clientèle et travaille de longues heures, et est toujours membre du Barreau.
« Je suis juriste », dit-elle.
« Et pourtant, ce que je fais est différent. »
Trouver sa place
Pour Me Bean, c’est bien d’être différent.
« Quand j’ai démarré mon entreprise il y a longtemps, les gens ne comprenaient pas l’idée d’un juriste qui fait autre chose, raconte-t-elle. Heureusement, les temps ont changé. Il existe mille et une façons de mettre à profit sa formation en droit. »
Me Ennis, créatrice d’un balado sur les carrières en droit, abonde en ce sens.
« Je crois que la culture change beaucoup. Avant, c’était presque toujours le même parcours : stagiaire dans un cabinet, puis avocat adjoint, puis avocat grimpant les échelons jusqu’au siège d’associé », commente-t-elle.
« Mais le statut d’associé n’est pas forcément ce à quoi tout le monde aspire aujourd’hui. Il existe un monde d’avenues différentes dont on ne parle pas toujours dans les facultés de droit. »