La Loi sur l'évaluation d'impact est allée trop loin
La Cour suprême du Canada reconnaît, cependant, que le Parlement a le pouvoir d’adopter un régime d’évaluation environnementale.
La Cour suprême du Canada a statué que la Loi sur l’évaluation d’impact fédérale est « en grande partie » inconstitutionnelle, ce qui porte un dur coup aux efforts que déploie Ottawa pour évaluer les répercussions environnementales et sociales de projets de ressources et d’infrastructure financés par le gouvernement fédéral. Toutefois, la décision réaffirmait également que le gouvernement fédéral peut intervenir dans un projet provincial si celui-ci a une incidence sur une question de compétence fédérale.
S’appuyant sur une majorité de cinq contre deux, le juge en chef Richard Wagner a écrit que le Parlement avait outrepassé la « compétence que lui reconnaît la Constitution » pour deux raisons.
« En premier lieu, de par son caractère véritable, il ne vise pas à réglementer les “effets relevant d’un domaine de compétence fédérale” au sens de la LÉI, parce que les effets en question ne dictent pas les fonctions décisionnelles du régime, a statué la cour. En second lieu, je n’accepte pas la prétention du Canada selon laquelle la notion définie des “effets relevant d’un domaine de compétence fédérale” cadre avec la compétence législative fédérale. La portée excessive de ces effets exacerbe la fragilité constitutionnelle des fonctions décisionnelles du régime. »
Néanmoins, la constitutionnalité des articles 81 à 91 de la LÉI concernant le droit du gouvernement fédéral de procéder à des évaluations d’impact pour des projets réalisés sur un territoire domanial qui relèvent d’un domaine de compétence fédérale est confirmée.
Les juges Andromache Karakatsantis et Mahmud Jamal étaient dissidents, eux qui en sont venus à la conclusion qu’il y avait un lien fédéral suffisant avec le régime et que tout désaccord particulier pouvait être résolu au cas par cas par le biais d’un contrôle judiciaire.
En tant que renvoi, la décision n’est pas contraignante pour le gouvernement fédéral et reste en vigueur. Malgré cela, le ministre des Ressources naturelles Jonathan Wilkinson a déclaré aux journalistes que, suivant les directives de la cour, le gouvernement présenterait des modifications à la LÉI.
La Cour suprême a également rejeté l’argument de l’Alberta, accepté par la Cour d’appel de cette province, selon lequel elle jouissait de l’exclusivité des compétences à l’égard de la surveillance ou de la réglementation fédérales.
« Le fait qu’un projet implique des activités qui sont principalement réglementées par les législatures provinciales ne crée pas une enclave d’exclusivité pour autant, écrit Richard Wagner. Même un projet “provincial” de cette nature peut entraîner des effets à l’égard desquels le gouvernement fédéral peut légiférer à juste titre. Ainsi, l’inclusion de quelques projets “provinciaux” dans le Règlement – en ce sens où ils comprennent des activités qui sont principalement réglementées par les provinces – ne pose aucun problème en soi. »
Andrew Leach, professeur d’économie et de droit à l’Université de l’Alberta, retient que « les lois fédérales valides s’appliquent et peuvent avoir essentiellement n’importe quel effet pour arrêter un projet; seulement, cette mesure législative va trop loin ».
Me Leach établit également une distinction avec la décision relative à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, qui a jugé que la loi fédérale sur la tarification du carbone était constitutionnelle. Le contenu de la LÉI ne porte pas tant sur les changements climatiques que sur les grands projets. En ce qui concerne les projets directement réglementés par le gouvernement fédéral – par opposition à leurs seules répercussions –, Ottawa peut tenir compte d’un éventail beaucoup plus large de considérations. Ainsi, alors que l’ancien premier ministre de l’Alberta Jason Kenney a qualifié la LÉI de loi qui met fin aux pipelines (« No More pipelines Act »), la décision de la cour garantit que la compétence fédérale sur les pipelines demeure intacte.
Si le gouvernement fédéral peut restreindre suffisamment la portée de la LÉI, il peut la sauver, croit Me Leach, établissant des parallèles avec la décision de 1992 de la CSC dans l’affaire Friends of the Oldman River. Cette décision confirmait la compétence fédérale de procéder à une évaluation environnementale d’un grand barrage construit par le gouvernement de l’Alberta, tout en y allant d’une mise en garde sur le caractère non absolu de la compétence fédérale.
« Vous ne pouvez pas simplement créer un régime réglementaire pour tous les projets potentiels qui pourraient avoir un effet sur des choses comme les émissions de gaz à effet de serre », dit-il.
Andrew Bernstein, associé chez Torys LLP à Toronto, dit : « Vous ne pouvez pas utiliser la compétence fédérale comme les pêches ou les peuples autochtones comme un hameçon ou un levier. Si cela affecte les pêches, vous pouvez vous demander si l’impact est trop important pour que le projet soit approuvé. Vous devez rester à votre place, et votre place en ce qui concerne un projet réglementé par la province est beaucoup plus petite. » De même, la Cour rejette l’idée que les effets interprovinciaux relèvent de la compétence fédérale en vertu de la doctrine de l’intérêt national.
En fin de compte, cela soulève des doutes quant à la capacité du gouvernement fédéral de considérer les émissions de gaz à effet de serre comme un effet fédéral, souligne Me Bernstein. Il ajoute qu’Ottawa devra bien réfléchir aux limites de sa compétence sur ce front.
« La cour a clarifié ce qui était déjà clair dans son renvoi sur la tarification du carbone, affirme Nathalie Chalifour, professeure de droit à l’Université d’Ottawa. Il n’y a pas de compétence globale à l’un ou l’autre des ordres de gouvernement sur les gaz à effet de serre ou sur les changements climatiques en général, mais il y a une compétence fédérale claire sur certains aspects des changements climatiques et des règlements sur les GES. »
Me Chalifour note également que les dissidents exprimaient plus de confiance dans la capacité du gouvernement d’appliquer la LÉI de bonne foi. « La façon dont la loi a été appliquée jusqu’à maintenant a été très rigoureuse et de bonne foi, et je ne pense pas que ce soit une sorte de tentative déguisée d’empiéter sur la compétence provinciale. »
Josh Ginsberg, directeur de la Clinique de droit de l’environnement Ecojustice, est également déçu de la décision majoritaire. Toutefois, il trouve encourageant que la cour ait réaffirmé le rôle des évaluations environnementales fédérales. « Nous allons envisager le dépôt d’une loi qui maintiendra le rôle du gouvernement fédéral dans l’évaluation environnementale dans toute la mesure du possible, comme défini par la Cour suprême dans ce jugement », a dit Me Ginsberg.
Au cours du débat sur la loi qui est devenue la LÉI, alors appelée projet de loi C-69, la Section du droit de l’environnement, de l’énergie et des ressources et la Section du droit des autochtones de l’ABC ont appuyé l’utilisation de l’approche fondée sur la liste de projets afin d’assurer une plus grande certitude quand de nouvelles évaluations d’impact s’appliqueraient.
« Nous jugeons nécessaire de définir des critères clairs et d’établir une procédure transparente pour réviser périodiquement la liste de projets, et assurer ainsi une évaluation adéquate des projets visiblement liés à des questions d’intérêt fédéral », précise le mémoire.