Réforme du régime canadien d’extradition
Les recommandations du Comité de la Chambre des Communes donneraient aux tribunaux canadiens le pouvoir de trancher sur l’impartialité des ordonnances.
Peu avant la prorogation de la Chambre des communes pour l’été, le Comité de la justice a déposé un rapport sur la réforme du régime canadien d’extradition, qui propose 20 recommandations.
« Le Comité a entendu des appels à une réforme complète de la Loi sur l’extradition du Canada, peut-on lire dans le rapport. Des cas ont été cités comme preuves de préjudices réels, résultant de failles dans nos lois et procédures existantes, ainsi que comme exemples d’injustices qui continueront probablement de se produire en l’absence de réforme. […] Le Comité exhorte le gouvernement à agir rapidement pour réformer la Loi sur l’extradition et le processus d’extradition du Canada afin de prévenir de nouvelles injustices, résultant de failles dans le système d’extradition du pays. »
Rob Currie, professeur à l’École de droit Schulich à Halifax, juge ces recommandations encourageantes. M. Currie a comparu devant le Comité dans le cadre des travaux de ce dernier.
« À mon avis, la plus importante est la dernière, qui plaide pour une réforme complète de la Loi dès que possible, dit-il. C’est ce point que je mets en avant et sur lequel nous insistons au Colloque d’Halifax depuis 2018, lors de notre rencontre. En vérité, toutes les autres recommandations se rattachent à celle-ci ».
Selon M. Currie, le Comité a rejoint le sentiment public que de graves problèmes se posent sur le plan de la justice et de la procédure et que le gouvernement devrait mieux protéger nos citoyens et les gens vivant sur notre sol.
Le Comité a demandé au gouvernement de déposer une réponse qui, selon le cabinet du ministre de la Justice David Lametti, devrait arriver d’ici le délai fixé à octobre.
Mme Diana Ebadi, porte-parole de M. Lametti, a répondu par courriel en précisant ce qui suit : « Il est essentiel que la justice traite équitablement les personnes faisant face à une demande d’extradition. Monsieur le ministre Lametti remercie le Comité de la justice pour son travail visant la Loi sur l’extradition. Il est impatient d’étudier ce rapport en profondeur ».
M. Currie espère davantage qu’une réponse convenue où on signifie que la question sera étudiée attentivement.
Selon lui, la demande de réponse que le Comité adresse au gouvernement vise directement le ministre de la Justice, qui est responsable des procédures d’extradition. Toutefois, c’est le Service d’entraide internationale (SEI) du ministère de la Justice qui traite toutes les procédures d’extradition. C’est également lui qui établit les politiques qui, jusqu’à récemment, pouvaient se résumer à « extrader autant que possible », explique-t-il. Or le SEI se montre fort peu enclin à envisager un quelconque changement dans la loi ou la procédure.
« La pression sur eux est croissante et je commence à entrevoir quelques fissures dans la façade, mais nous verrons bien quand viendra la réponse et ce qu’elle sera », dit M. Currie.
Me Gary Botting, avocat de la défense en droit criminel à Vancouver dont les travaux sur les affaires d’extradition sont considérables, estime que les recommandations sont justes et répondent à de nombreuses lacunes du régime. Cela dit, il trouve que le Comité a traité avec trop d’égards le témoignage de Janet Henchey, la directrice générale et l’avocate générale principale pour le SEI.
Me Botting souligne aussi une partie du rapport où Me Henchey affirme que la loi a pour objectif l’atteinte d’un équilibre entre les droits de la personne concernée et les intérêts de l’État requérant.
« Si cet objectif était honoré, il n’y aurait pas de problème, soutient Me Botting. Mais il ne l’est pas. C’est toujours devant les intérêts de l’État requérant que le SEI courbe l’échine, donc devant le ministre de la Justice, qui se contente d’acquiescer. C’est un cas classique où la monture mène son cavalier. »
Me Botting appuie la recommandation selon laquelle les traités d’extradition existants devraient être revus : un tiers d’entre eux environ remontent à l’époque de la reine Victoria et ne couvrent pas les domaines problématiques d’aujourd’hui. Il se réjouit aussi de la recommandation faite au gouvernement de se retirer des traités conclus avec des pays qui contreviennent au droit international en matière de droits de la personne — une dizaine au total.
Selon M. Currie, l’extradition de Hassan Diab vers la France en 2014, fondée sur une preuve défaillante, a exaspéré le public en raison du facteur humain et de l’injustice flagrante qu’elle entraînait. Par ailleurs, l’arrestation en 2018 de la haute dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou, accusée de fraude aux États-Unis, n’a pas autant marqué l’imaginaire, même si, clairement, le Canada s’est trouvé injustement pris dans une lutte entre son allié du sud et la Chine.
Dans l’affaire Diab, le rapport soulève les questions de la présomption de fiabilité et de la réciprocité.
« À cause de la manière dont le principe de présomption de fiabilité est formulé dans la loi et celle, bien différente, dont les tribunaux l’ont interprété, cette présomption nous apparaît impossible à renverser, observe M. Currie. Les présomptions sont censées être réfutables, mais il est concrètement impossible de même remettre en question la cause de l’État demandeur : tout ce qu’il est tenu de communiquer est un résumé de la preuve qu’il dit détenir ».
Dans une étude, M. Currie a conclu que dans 130 cas examinés, la personne visée n’avait échappé à l’extradition que dans 8 d’entre eux, et c’était parce que l’État demandeur n’avait pas suffisamment de preuves sur un élément crucial de la requête.
M. Currie observe également que le ministère de la Justice entretient l’opacité sur le nombre de demandes d’extradition qu’il reçoit chaque année, et sur le nombre d’entre elles qui sont rejetées avant le déclenchement d’une quelconque procédure.
Me Botting souligne aussi l’intérêt d’une recommandation du Comité de la justice selon laquelle le pays demandeur devrait être prêt à l’éventualité d’un procès. Après son extradition, Hassan Diab a été placé en détention avant jugement pendant trois ans, essentiellement en isolement cellulaire, avant que les accusations qui pesaient contre lui ne s’effondrent, les magistrats ayant déterminé que les preuves à charge étaient insuffisantes.
« Le Royaume-Uni a adopté une disposition selon laquelle, si une affaire n’est pas prête à être entendue, il est justifié de mettre fin à l’extradition », mentionne Me Botting.
Le rapport soulève aussi la question de l’introduction d’un « forum bar », qui donnerait compétence au Canada pour engager des poursuites, dans les affaires de cybercriminalité par exemple, pour lesquelles l’extradition serait rejetée sauf si l’État demandeur peut établir que ce serait dans l’intérêt de la justice.
« Bien sûr, on peut toujours dire que les États-Unis pourraient poursuivre dans telle affaire, mais le Canada le pourrait tout autant, affirme M. Currie. Nous aussi avons compétence. Si l’accusé est un citoyen canadien, la jurisprudence en matière d’extradition dit que l’article 6 de la Charte s’applique – il a le droit de rester au Canada. » C’est alors au tribunal de décider si le gouvernement a clairement déterminé que l’intérêt de la justice impose les poursuites dans le pays demandeur.
La Couronne est censée évaluer si elle devrait poursuivre ou laisser l’affaire à l’État demandeur, explique M. Currie, qui ajoute qu’en réalité, la réponse consiste généralement à laisser les Américains s’en charger. « C’est une formalité vide de sens, et j’ai toujours soutenu que ce n’est pas une bonne façon de traiter un droit que la Charte garantit aux citoyens canadiens. »
D’après M. Currie, une règle de forum bar permettrait de présumer qu’en l’absence d’une bonne raison d’agir autrement, les poursuites devraient se dérouler au Canada.
Me Botting est aussi favorable à la recommandation selon laquelle toute preuve disculpatoire devrait être divulguée à la défense, même si elle met en évidence la faiblesse de la cause de l’État demandeur. Les avocats de la défense demandent cela depuis longtemps.
M. Currie soutient en outre qu’il est nécessaire de rééquilibrer les pouvoirs des tribunaux face à ceux du ministre. Actuellement, le tribunal détermine seulement si la cause de l’État demandeur est fiable et si l’infraction alléguée est un crime au Canada. Quant au ministre, il tranche sur toutes les questions essentielles, en particulier celles touchant aux droits de la personne, comme le risque de torture, de double incrimination, ou d’autres conditions abusives.
« Je défends l’idée que les problèmes de ce genre devraient trouver réponse dans les tribunaux parce qu’il s’agit de problèmes juridiques, lance M. Currie. Le gouvernement soutient que l’extradition a une incidence politique et diplomatique et que nous devrions donc la laisser au ministre, mais alors, c’est une décision politique que prend le ministre. La norme de contrôle implique une déférence telle pour le ministre qu’il devient pratiquement impossible de gagner ».
Il y a aussi une recommandation voulant que le rôle des avocats et avocates qui prennent des décisions sur l’extradition soit distinct de celui du SEI pour assurer davantage d’objectivité.
De manière générale, M. Currie se dit satisfait des recommandations, de l’unanimité du Comité dans son rapport, et de l’importance accordée au respect du droit international de sorte que le Canada n’envoie pas des gens vers des États comme l’Inde qui n’ont pas signé la convention internationale contre la torture.
Il est arrivé plusieurs fois que le ministre approuve une demande d’extradition après avoir reçu l’assurance que les droits de la personne concernée seraient respectés, pour finalement découvrir qu’ils ne l’avaient pas été. En 2022, la Cour fédérale a conclu que le gouvernement fédéral avait violé l’article 7 de la Charte en extradant Régent Boily vers le Mexique pour trafic de marijuana, en sachant qu’il serait exposé à un risque de torture, qui s’est effectivement concrétisé.
« Cette affaire est choquante », s’exclame M. Currie. « Le Comité s’est également penché sur ce genre d’assurance, et j’en suis heureux, parce que c’est un problème qui mérite notre attention ».