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Distinguer entre information juridique et conseil

Pour tirer pleinement parti des technologies émergentes, les ordres professionnels devraient clarifier les limites entre les deux.

Legal advice vs Info

De nombreux facteurs entravent l’adoption de la technologie et font obstacle à l’innovation dans le secteur juridique — la dépendance au modèle des heures facturables, la structure complexe des documents et processus juridiques, et le sous-financement chronique des tribunaux, entre autres. La difficulté de traiter ces questions tient en partie au fait qu’il n’existe aucun corps administratif capable d’opérer un changement systémique. Toutefois, une action réglementaire pourrait favoriser l’innovation dans le secteur juridique en établissant une meilleure distinction entre ce qui constitue un conseil juridique et une information juridique.

Les progrès de l’informatique permettent de présenter les informations juridiques aux chercheurs de manière plus ciblée. Cela nous rapproche de l’automatisation de la fourniture de conseils juridiques personnalisés. Des outils comme les algorithmes de recherche et les index de livres aident depuis longtemps les utilisateurs à placer les informations dans leur contexte. Aujourd’hui, les systèmes fournissent des informations sous la forme de réponses à des questions ou d’ébauches de documents.

Toutefois, les règles régissant la pratique du droit au Canada imposent des restrictions à la fourniture de conseils juridiques. Bien qu’elles ne s’appliquent pas à la diffusion d’informations juridiques, la ligne de démarcation entre les conseils et les informations juridiques est toujours ambiguë. Cela empêche le développement d’outils et de services susceptibles d’alléger les contraintes pesant sur le système judiciaire et de créer de nouveaux moyens d’accès à l’information juridique.

Entre-temps, des technologies largement répandues comme l’outil ChatGPT, qui facilitent l’automatisation de fonctions qui appartenaient auparavant exclusivement au domaine humain, nous obligent à faire face à une nouvelle réalité. La conception de ces outils et la nature mondiale de l’internet rendent presque impossible l’application des restrictions.

Le conseil juridique est largement défini dans les lois, ce qui octroie aux organismes réglementaires le pouvoir discrétionnaire d’en déterminer le champ d’application. Cela pourrait comprendre diverses applications, des applications permettant de remplir des formulaires à des services entièrement personnalisés. Katie Sykes, professeure à la faculté de droit à l’Université Thompson Rivers, a fait remarquer que les distinctions entre les services juridiques personnalisés et les fonctionnalités des systèmes automatisés sont une question de degré et non de nature. Lorsqu’un juriste rédige une note, il offre une réponse spécifique et complète, alors que le contenu généré par une application tend à l’être moins. Un livre peut présenter les mêmes informations dans un contexte plus général.

Matthew Oleynik, chef de la direction de rangefindr.ca, un fournisseur d’informations juridiques sur la détermination de la peine, explique que l’absence de limites bien définies, interprétées au sens large, signifie qu’un policier avertissant un conducteur d’un risque de contravention pour excès de vitesse offre en fait des conseils juridiques. Parallèlement, d’autres produits juridiques courants, comme les gabarits de testament, sont tolérés. Alors, où tracerons-nous la ligne en ce qui concerne les applications et les services émergents?

La restriction des conseils juridiques trouve sa justification dans la nécessité de protéger le public. Jusqu’à récemment, le fait de développer des outils technologiques juridiques principalement à l’usage des utilisateurs professionnels était un moyen de contourner cette préoccupation. Pourtant, les récentes instructions relatives à la pratique des tribunaux concernant l’utilisation d’outils d’IA dans les procédures juridiques sont conçues pour assurer la surveillance d’outils tels que ChatGPT, car ils pourraient avoir une incidence sur la compétence professionnelle des juristes, compte tenu des difficultés à vérifier l’exactitude des résultats que ces outils génèrent.

Ces outils sont développés à partir d’informations juridiques établies et d’autres contenus qui servent de données de formation. Ils présentent l’information de manière innovante et parfois inédite. Bien qu’ils ne soient pas parfaits, nous devons reconnaître que d’autres sources d’information peuvent également être incorrectes. En limitant trop leur utilisation, on empêche le déploiement de certains des développements techniques les plus prometteurs avant qu’ils ne puissent être affinés. M. Oleynik affirme que de nombreux membres de la communauté juridique souhaitent innover, mais que les outils techniques n’offrent pas aux utilisateurs les protections que les juristes sont tenus d’avoir, notamment l’assurance professionnelle.

Pour l’instant, de nombreuses applications font encore manifestement la distinction entre la fourniture d’informations et de conseils. Mais l’émergence de nouvelles applications et de nouveaux modèles d’entreprise brouille les pistes entre les deux.

Lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de ce qui devrait être considéré comme un conseil juridique, M. Oleynik souligne qu’il est important de veiller à ce que les systèmes innovants ne nuisent pas aux utilisateurs ou ne les désavantagent pas. Une fois ce seuil atteint, il estime que la réglementation devrait être minime, des mesures plus strictes étant réservées aux technologies peu fiables ou non éprouvées.

Les personnes les plus touchées par ce manque de clarté sont sans doute celles qui travaillent dans le secteur juridique sans être des juristes. Ce groupe comprend les entreprises en démarrage du secteur de la technologie juridique ainsi que des professionnels comme les bibliothécaires et les greffiers des tribunaux, qui travaillent à l’intersection du droit et du service public.

Le risque d’être fautif au moment d’offrir des conseils juridiques peut les dissuader d’aider les gens à résoudre leurs questions et problèmes, ce qu’ils seraient autrement enclins à faire.

Il est essentiel de trouver des moyens efficaces de relever ces défis si l’on veut que le public et le secteur juridique puissent un jour profiter pleinement des technologies émergentes, qui ont le potentiel de créer une valeur sociale et commerciale considérable. À cet égard, les bacs à sable réglementaires sont très prometteurs pour recueillir davantage d’informations sur la manière d’encourager le développement de solutions innovantes aux problèmes juridiques tout en protégeant l’intérêt du public.