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La justice doit venir des gens du Nord

Maître Jean-Claude Latraverse désespère de voir un jour un système de justice par et pour les Inuits.

Jean-Claude Latraverse

Vingt ans après son premier appel du rôle au Nunavik, l’avocat Jean-Claude Latraverse a repris le flambeau dans les derniers mois, cette fois à titre de rapporteur spécial pour le ministre de la Justice du Québec. Il avait pour mandat de proposer des solutions pour réparer les défaillances de la justice au Nunavik.

D’emblée, la pandémie aura au moins apporté quelques améliorations techniques au fonctionnement de la Cour itinérante. ABC National rapportait récemment les énormes déplacements auxquels devaient se livrer les accusés du Nunavik lorsqu’ils devaient comparaître. « Il y a eu quelques avancées au niveau technologiques, des enquêtes sur remise en liberté qui se font du Nord, plutôt que de descendre les gens au Sud. Ça évite que les gens descendent jusqu’à Montréal, et reprennent un camion jusqu’à Amos. C’est une belle avancée », souligne Me Latraverse.

Cependant, à ses yeux, là s’arrête la progression de la justice au Nunavik. Au cours de ses années de pratique, Jean-Claude Latraverse a exercé sa pratique dans les gymnases, a mené des entrevues avec des accusés dans des chambres de joueurs, a tenu des interrogatoires dans un aréna. « Pas chauffé », précise-t-il. « À Kuujjuaq et Kuujjuarapik, c’est un peu mieux. Mais dans les autres communautés, ce sont dans des endroits qui ne sont pas nécessairement adaptés à la cour. »

C’est que les problèmes de la Cour itinérante, qui sillonne le Nunavik, ne datent pas d’hier. En 2019-2020, Me Latraverse note 2917 dossiers ont été ouverts pour 1356 accusés uniques, un chiffre « alarmant », estime-t-il. La population totale au Nunavik atteint un peu plus de 12 000 individus. « Ces statistiques sont connues depuis longtemps et ne cessent d’augmenter. La surjudiciarisation des Nunavimmiuts est évidente et inquiétante et elle se traduit par une surreprésentation dans le milieu carcéral. Le taux de récidive demeure, selon mon expérience, élevé », précise le rapport en introduction.

Autant le Barreau, le Protecteur du citoyen, la Cour du Québec et de nombreux chercheurs ont déploré tour à tour les conditions du système de justice au Nunavik.

Le ministre de la Justice Simon Jolin-Barette a demandé au procureur d’expérience de faire des recommandations de solutions pour améliorer la situation et réduire les délais. Arrivez-moi avec des solutions pratico-pratiques qui vont être réalisables, qui ne seront pas du pelletage de nuages, et qui vont nous permettre vraiment d'avancer », avait-il alors déclaré avoir dit à Me Latraverse, dans une entrevue avec le journaliste Daniel Leblanc, de Radio-Canada.

Le résultat : un rapport qui compte 60 recommandations. L’espace manque dans cet article pour en faire la nomenclature complète.

En entrevue avec ABC National, Jean-Claude Latraverse mettra cependant l’accent sur la création d’une Cour régionale au Nunavik à laquelle participeraient les autorités locales. Ce tribunal serait ainsi chargé de traiter les contestations de règlements municipaux et de la partie XXVII du Code criminel.

Une expérience déjà testée dans la région, jusqu’en 2006. Ainsi, pour que la justice soit efficace au Nunavik, elle doit respecter les codes d’autorité déjà en place dans les communautés. « Chaque fois qu’un elder parle, les jeunes écoutent. Je pense qu’il y a encore possibilité d’intervenir dans le système », avance Me Latraverse.

Pour lui, cela passe par la création de postes de juges de paix magistrats inuits, selon des critères de nomination plus souples que ceux de la magistrature du Sud. « Ça fait depuis 1982 qu’il y a des rapports qui disent qu’on devrait leur laisser la justice. [...] Même les juges de la Cour du Québec pensent que ce serait une bonne idée d’avoir des juges de paix locaux. Il y en a eu jusqu’en 2006, et ça fonctionnait », poursuit Me Latraverse. L’expérience ne sera pas un succès total, nuance le juriste, en indiquant que le gouvernement l’avait fait « un peu par obligation ».

« Ça fonctionnait! Malheureusement, ils n’étaient pas assez utilisés, mais quand ils étaient utilisés, je peux vous dire que ça passait par là, et les gens étaient beaucoup moins méfiants. La leçon était beaucoup mieux apprise par les délinquants », lance avec ferveur le rapporteur. 

« Les gens ne s’investissaient pas là-dedans », se désole-t-il cependant. D’où une autre recommandation, celle que Makivik, l'organisation chargée des revendications territoriales des Inuits au Nunavik, fasse de la question de la justice une priorité à long terme. « C’est pour ça que je demande dans mon rapport que des dispositions irréfragables soient prises par les conseils pour que la justice soit au cœur de leurs préoccupations pendant les 20, 25 prochaines années », demande Me Latraverse.

Pour lui, la question de la justice ne devrait pas être soumise à la seule volonté politique des élus, par définition, temporaires de Makivik. « On recommence à partir d’une base qui s’est étiolée complètement », poursuit Me Latraverse.

Il ne s’agit là que d’un aperçu de ce rapport aux recommandations très précises et souvent techniques. Mais de manière générale, « on n’a pas pensé à l’inclusion des Inuits dans le système. On les intègre dans le système. On prend des décisions dans le Sud qui n’ont pas nécessairement rapport avec la réalité des choses dans le Nord. On prend ces décisions-là et on demande aux gens de les appliquer, et ça fonctionne très peu. Il faudrait que les décisions viennent des gens du Nord », conclut Me Latraverse.