L’avenir malheureux du règlement de différends
Un système de règlement des différends rapide et abordable n’offrira aucune garantie qu’un « résultat juste » sera atteint.
Il y a une différence entre le système de justice et le système de règlement de différends. Nous devons bien saisir ces différences, et leurs implications sérieuses, très rapidement.
Dans un système de justice, parvenir à un règlement a préséance sur la rapidité et le coût du processus. Une perception répandue dans le milieu juridique est que la justice avance lentement, mais sûrement. La justice requiert souvent de longues délibérations et des analyses minutieuses, mais le seul fait d’y parvenir justifie les longs délais et les ressources importantes qui y sont investies.
Dans un système de règlement des différends, c’est plutôt le contraire : la rapidité et le coût du processus ont préséance sur l’atteinte d’une résolution juste. Déterminer qui a raison et qui a tort n’est pas aussi important que de régler le différend en question. Si le résultat s’apparente à une forme de justice, tant mieux, mais ce n’est pas essentiel.
Bien sûr, nous préférons tous le meilleur des deux mondes : un système réellement juste qui livre des résultats équitables et rapides pour tous. Mais notre système judiciaire offre plutôt une justice lente et dispendieuse au nombre très restreint de parties qui ont le temps et les ressources pour se le permettre. Le système de justice n’est pas conçu, financé ou opéré pour être rapide et abordable.
Mais il est important de noter qu’un système de règlement des différends rapide et abordable ne requiert pas qu’un « résultat juste » soit atteint. On ne l’appelle pas un système de règlement de différends pour rien : sa raison d’être est de résoudre les conflits. Point final.
Dès lors, nul besoin d’être doté d’une imagination particulièrement fertile pour visualiser comment on pourrait voir apparaître un jour des systèmes qui ne font pas que prioriser l’efficacité plutôt que la justice, mais qui en font leur unique objectif.
Imaginez un gouvernement populiste avec peu d’égard pour les avocats et une obsession pour réduire les dépenses publiques dans le système de justice. Imaginez ce gouvernement soumettre le droit de la famille – lui-même aux prises avec des enjeux importants – à un nouveau régime délesté de ses avocats et de ses juges, dont la mission législative serait de prioriser non pas l’intérêt supérieur de l’enfant, ou une résolution équitable pour les ex-conjoints, mais le moyen le plus rapide et le moins cher de passer à autre chose.
« La pension alimentaire pour époux est de X $ pour Y mois, pas un jour de plus. Les parents ont la garde partagée de tous les enfants, peu importe les circonstances. Aucune variation. Les frais pour ce service sont de 1000 $, à être partagé par les époux. Suivants! »
Un tel système réglerait peut-être les questions entourant le coût et les délais : vous payez des frais fixes pour un processus bureaucratique, vous déposez votre requête de divorce auprès du ministère de la Résolution des Différends, et vous obtenez votre approbation de divorce par courrier recommandé dans les 10 jours. Ce système rendrait le droit de la famille rapide et abordable. Les arriérés des tribunaux disparaîtraient en quelques mois. Et un certain pourcentage des parties impliquées accepterait le changement et serait heureux du résultat.
Mais l’application bureaucratique de critères simples peut avoir des impacts dommageables sur toute situation complexe; en droit de la famille, où abondent les enjeux de rapports de forces inégaux, d’abus conjugal et de vulnérabilité des enfants, les conséquences pourraient être dévastatrices.
Rassurez-vous, je ne dresse pas ici ce portrait imaginaire pour rallier du soutien en faveur de notre système de justice brisé. Et je reconnais le caractère improbable qu’un tel système puisse un jour être adopté, en particulier parce que les cours pourraient avoir un mot à dire sur le retrait d’une juridiction qu’elles considèrent être la leur.
Mais à mon sens, ce qui est encore moins probable que la concrétisation de ce scénario est la possibilité que les problèmes qui affectent nos tribunaux de la famille soient un jour réglés.
J’aimerais avoir un système judiciaire juste, rapide et accessible. Mais les gouvernements ne veulent clairement pas dépenser les sommes requises pour bâtir ce genre de système – et les électeurs ont clairement indiqué le peu d’importance qu’ils accordent à cet enjeu. Regardez la diminution sans fin du financement de l’aide juridique au Canada, aux États-Unis, et au Royaume-Uni, et comment l’électeur moyen dans ces pays ne pourrait pas moins s’en soucier. Nous n’avons pas à aimer cette réalité. Mais nous serions naïfs de continuer à prétendre le contraire.
Je souhaiterais aussi que nous soyons capables de réformer notre système de justice de l’intérieur, sans avoir à forcer la main aux gouvernements. Mais il est aussi évident à quel point notre système résiste au changement, principalement par les efforts de juges réactionnaires et d’avocats récalcitrants qui ne prennent pas la réforme au sérieux. Le système de justice est dans l’état dans lequel il se trouve aujourd’hui en très grande partie parce que les professions juridique et judiciaire ont décidé qu’ils peuvent très bien vivre avec.
Les arriérés et les dépenses et l’agonie du système atteignent malgré tout un niveau et un volume que les législateurs peuvent entendre, même si les avocats ne l’entendent plus eux-mêmes. Les gouvernements pourraient donc régler le problème de la manière la plus expéditive possible : en créant un système alternatif qui substitue vitesse et économie à la justice, peu importe ce qui est perdu ou brisé dans le processus.
C’est l’issue la plus probable : un système judiciaire de plus en plus décrépit qui livre une justice de plus en plus lente et chère pour les riches, les compagnies et les quérulents – avec, en parallèle, un système abordable et rapide de règlement des différends accessible à tous, qui gère les conflits de la même manière qu’une ferme industrielle gère le bétail.
C’est pourquoi nous devrions nous préparer à l’émergence des systèmes de règlements de différends, créés et gérés par les gouvernements – ou peut-être sous-traités au secteur privé – dont le mandat sera simple : résoudre des conflits. Les faire disparaître, d’une façon ou d’une autre. Réduire les arriérés, de manière juste et équitable – ou autrement. Peu importe comment.