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La justice au quotidien

Éduquer les gens sur le système de justice avant qu’ils y soient confrontés est le premier pas vers un meilleur accès.

Sarah McCoubrey, Réseau ontarien d’éducation juridique, Toronto
Sarah McCoubrey, Réseau ontarien d’éducation juridique, Toronto Photo: Paul Eekhoff

L’information est un élément de base de l’accès à la justice, mais il n’est pas suffisant de simplement informer les gens de leurs droits ou de leur montrer à naviguer à travers le système qui peut porter à confusion.

D’abord, les gens doivent croire que le système n’a pas de parti pris contre eux, souligne Sarah McCoubrey, directrice générale du Réseau ontarien d’éducation juridique.

« Ils doivent vivre un traitement juste et comprendre que vous n’avez pas à connaître quelqu’un dans le système pour obtenir un règlement équitable », dit-elle. « Ces changements d’attitude et de connaissances doivent survenir bien avant de recevoir un cours sur nos droits, ou le processus, ou les formulaires à remplir… »

Selon le rapport de l’ABC Atteindre l’égalité devant la justice : Une invitation à l’imagination et à l’action, 45 % des Canadiens auront un problème juridique dans le courant des trois prochaines années; et la plupart en auront au moins un au cours de leur vie. Mais plusieurs ne chercheront pas à obtenir de l’aide  en raison d’obstacles réels ou perçus — incluant le coût des services juridiques.

C’est pourquoi l’une des stratégies clés identifiées dans le rapport est de « faciliter la justice au quotidien » — entre autres choses, d’accroître les capacités juridiques en enseignant le droit comme une compétence de vie. « Il s’agit de changer les choses, de sorte que toute personne acquière des compétences juridiques de base dans le cadre du programme d’enseignement public, et ait par la suite des possibilités de développer ces connaissances et cette compréhension tout au long de sa vie », dit le rapport.

Il est important de le faire dans le milieu scolaire, avant que quelque chose d’important — un emploi, une maison ou la responsabilité pour des enfants — soit en jeu. « Quand vous êtes en crise, ce n’est pas le bon moment pour apprendre que vous pouvez faire confiance aux gens dans le système », a dit Me McCoubrey lors d’une conférence sur l’importance d’enseigner le droit en tant que compétence de vie, lors du sommet Nouveau regard sur l’égalité devant la justice qui a eu lieu à Vancouver en avril. « Lorsque vous êtes en crise, vous êtes déjà sur vos gardes et vous vous méfiez de tout. »

L’éducation et l’information publiques sont disponibles dans toutes les provinces, et plusieurs curricua contiennent une dimension juri­dique. Mais il n’y a pas de programme national d’enseignement juridique. Avec l’objectif d’avoir cinq millions de Canadiens qui reçoivent une formation leur conférant des capacités juridiques d’ici 2030, le rapport propose que l’ABC et les intervenants en information et vulgarisation juridiques travaillent de concert avec le Conseil des ministres de l’Éducation, les mi­nistères de l’Éducation et d’autres organismes pour intégrer des cours de droit comme compétence de vie dans programmes d’éducation publique.

Contrairement à ce que craignent certains praticiens, la formation sur les capacités juridiques n’est pas une promotion de la représentation sans avocat. « Je ne pense pas que c’est le cas du tout », dit Me McCoubrey. « Je pense que c’est plutôt une question d’encourager les gens à obtenir de l’aide et des conseils avant que leurs problèmes dégénèrent en litige »

Des bilans de santé juridique ont aussi été proposés comme moyen de faciliter la justice au quotidien — une sorte d’examen de routine à être mené annuellement, ou à tout le moins à certains moments charnières de la vie, comme au mariage ou au divorce, lorsqu’il est bon d’avoir un certain accompagnement.

Melina Buckley, présidente du Comité de l’accès à la justice de l’ABC, dit que l’idée est venue au moment de faire de la recherche sur des innovations au plan international. Le comité voit ces bilans de santé comme un moyen de remédier aux causes profondes de certains problèmes récurrents et de gérer ces problèmes sans avoir recours aux tribunaux.

« Le bénéfice de ces deux innovations est qu’elles donnent aux gens le pouvoir de reconnaître des problèmes juridiques réels et potentiels et de connaître les avenues judiciaires qui s’offrent à eux. Nous espérons que ces approches les aideront à éviter des problèmes et des conflits lors de certaines phases de transition importante. »

Les avocats sortent gagnants lorsque l’accent est mis sur la prévention juridique, estime Sarah Lugtig, vice-présidente du Comité d’accès à la justice.

Des clients mal informés peuvent faire perdre beaucoup de temps à un avocat, dit-elle.

« Si vous allez dans la mauvaise direction, et que votre client ne comprend pas vraiment ce qui se passe, ils ne seront peut-être pas capables de vous le dire. »

Les examens de santé juridique peuvent aussi aider à anticiper des problèmes potentiels, « quelque chose qui peut vous aider à faire le point, vous pousser à vous demander si vous pourriez en faire plus ou en apprendre davantage », dit Me Lugtig. Par exemple, « est-ce qu’il y a quelque chose qui se passe dans ma vie qui peut me causer des problèmes plus tard si je ne règle pas la question maintenant? »

D’éduquer les étudiants au sujet du système judiciaire sert aussi de guide aux non-initiés. Imaginez le système comme une vieille maison qui a été bâtie graduellement, en fonction des besoins et du financement disponible. Il pourrait y avoir une vague trace des fondations d’origine et une personne qui visite pour la première fois pourrait avoir de la difficulté à trouver la porte.

Le système judiciaire a commencé avec des cours et des avocats, mais des choses comme l’aide juridique, le travail pro bono et la médiation « se sont développés un peu au hasard », dit Rock Craig, directeur général de la Justice Education Society de la Colombie-Britannique et un membre du comité d’action nationale qui, comme Me McCoubrey, a été impliqué dans les consultations qui ont mené au rapport de l’ABC.

Les gens veulent que leurs problèmes soient réglés, pas de savoir ce que chaque personne dans le système de justice fait, dit-il. Le paradigme du système judiciaire doit changer — et si le principe sous-jacent est d’aider à résoudre des problèmes juridiques le plus tôt et le plus efficacement possible, « alors c’est là que nous devons allouer des ressources… La première ligne du système manque cruellement de ressources. »

Me McCoubrey note qu’en période électorale, le financement de la santé et de l’éducation sont toujours des parties importantes des plateformes des partis, tandis que l’aide juridique « est perçue par la plupart des Canadiens de classe moyenne comme quelque chose qui est destiné aux pauvres ou aux criminels ».

Mais lorsqu’elle parle des coupes dans le système d’aide juridique de l’Ontario dans des écoles, « les enseignants restent bouche bée », dit-elle. Ils ne réalisent pas que leur salaire les place à des milliers de dollars au-dessus de la limite.

Avec une meilleure compréhension du public de la manière dont le système de justice fonctionne, ajoute-t-elle, il pourrait y avoir une meilleure conversation sur « quelles réformes sont les plus importantes; lesquelles sont une priorité politique; lesquelles sont perçues comme étant susceptibles d’améliorer la vie des gens de manière significative ».

Les « premières lignes » du système devront être réparées un pas à la fois, dit Craig, en commençant par la création d’un cadre d’action sous-jacent.

« Je pense qu’il doit y avoir une vision plus large qui réalise qu’on ne devrait pas mettre 95 % des ressources du système dans le 5 % que représente la première ligne; que des ajustements doivent être faits et qu’il doit y avoir une restructuration. »