Forte prévalence de détresse et de dépression dans le milieu du droit
Les résultats d'une étude nationale sonnent l'alarme sur le bien-être des professionnels du droit
Selon une nouvelle étude nationale sur la profession juridique, la première en son genre au Canada, plus de la moitié des répondants ressentent de la détresse psychologique, des symptômes dépressifs et de l’épuisement professionnel. La consommation d’alcool et de drogues chez les professionnels du droit atteint également des niveaux inquiétants.
Les constats troublants sont décrits en détail dans un rapport d’une équipe de recherche dirigée par la Pre Nathalie Cadieux de l’Université de Sherbrooke dans le cadre d’un projet financé par la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et par l’Association du Barreau canadien.
« Les données présentées dans ce rapport global jettent un éclairage cru sur le poids écrasant que le travail fait peser au quotidien sur les juristes et leurs proches », a déclaré le président de l’ABC, Steeves Bujold.
Le président de la fédération, Nicolas Plourde, qualifie les conclusions de « signal d’alarme pour la profession et les organismes de réglementation », ajoutant qu’il appartient désormais aux intervenants « de décider, à partir de données probantes, quelles politiques et pratiques sont susceptibles d’aider ».
La recherche montre des niveaux considérablement plus élevés de détresse psychologique chez les professionnels du droit que chez ceux de la population active canadienne (57,5 % comparativement à 40 %) et des niveaux d’anxiété tout aussi élevés (35,7 % comparativement à 13 %).
Selon les données, près d’un professionnel du droit sur quatre a eu des pensées suicidaires depuis ses premiers pas dans la profession, alors que cette proportion est de 2,4 % au sein de la population active générale. Fait tout aussi troublant, deux professionnels du droit sur trois ayant eu des pensées suicidaires depuis le début de leur carrière n’ont pas cherché de l’aide après avoir reconnu en avoir besoin.
Les taux d’épuisement professionnel les plus élevés sont observés chez les professionnels du droit âgés de 31 à 35 ans (67,0 %), chez les femmes de moins de 40 ans (67,4 %), chez les personnes handicapées (69,8 %), chez les stagiaires (62,9 %) et chez les personnes qui s’identifient comme des membres de la communauté 2ELGBTQ+ (62,7 %).
« En tant que membre de la communauté 2ELGBTQ+, je suis extrêmement attristé par les taux élevés de stress, d’anxiété, d’épuisement et de dépression observés au sein de ma communauté, a déclaré M. Bujold. Ces données devraient tous nous préoccuper, tout comme les répercussions sur les femmes, les jeunes juristes, les juristes ayant un handicap, les juristes autochtones et d’autres professionnels du droit racialisés. »
Les groupes minoritaires éprouvent également des problèmes de santé mentale à des niveaux beaucoup plus élevés que les professionnels du droit de race blanche.
En ce qui concerne la consommation d’alcool, 14,1 % des femmes interrogées et 17,5 % des hommes ont des niveaux de consommation dangereux ou nuisibles, alors que 4,3 % des femmes et 7,0 % des hommes sont susceptibles d’être fortement dépendants de l’alcool.
Un répondant sur quatre a eu recours à un programme d’aide aux employés (PAE) offert par son organisation ou par son barreau. Cependant, plus de 40 % d’entre eux déclarent qu’ils ne se sentiraient pas à l’aise d’aller chercher de l’aide auprès du programme offert par leur employeur s’ils avaient besoin d’y recourir.
Dans tous les domaines, la première étape vers l’amélioration consiste à saisir l’ampleur du défi, affirme la Pre Cadieux, professeure agrégée à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke. « Sans une mesure rigoureuse des enjeux de santé, ainsi que des facteurs de stress à l’origine de ces problèmes, il n’est pas possible de prendre des mesures durables afin de soutenir la santé des professionnels du droit. »
Les résultats du rapport se fondent sur les réponses d’un échantillon global de 7 300 professionnels du droit travaillant dans chaque province et territoire du Canada. Les données ont été recueillies à l’automne 2021, à la suite de la troisième vague de la pandémie de la COVID-19.
L’équipe de recherche a également examiné plusieurs facteurs de stress pour les professionnels du droit. Les résultats obtenus démontrent que le modèle des heures facturables a des effets hautement délétères sur la santé mentale des juristes, mais les effets les plus importants proviennent des demandes émotionnelles suscitées par le travail avec les clients. Les chercheurs ont également identifié le conflit entre la conciliation travail-vie personnelle comme un facteur de stress aigu qui pousse les gens à quitter la profession.
De plus, bien que l’ancienneté soit généralement un facteur que favorise une certaine protection contre les problèmes de santé mentale, la pression des heures facturables sur la santé augmente, plutôt que de diminuer, avec l’expérience.
Les domaines de pratique où les juristes sont le plus enclins à souffrir de fatigue de la compassion – où ils portent la souffrance des clients qui ont subi un grand stress ou traumatisme – sont le droit pénal, le droit des enfants et de la jeunesse, le droit de la famille, le droit des personnes aînées, le droit de l’immigration, les droits de la personne et le droit de la santé.
La publication du rapport marque la fin de la première phase de l’étude. L’équipe de recherche de la Pre Cadieux formulera des recommandations à l’automne sur les mesures susceptibles d’être prises pour favoriser le mieux-être des professionnels du droit au Canada. La phase II, qui est en cours, consistera à mener des entrevues qualitatives auprès des professionnels du droit afin d’explorer les différences par province et par territoire, et devrait prendre fin en 2024.