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Nourrir la bête médiatique

Une présence dans les médias peut accroître votre visibilité et votre influence - à condition de comprendre ce que veulent les journalistes

Media Interview
iStock

Si vous cultivez du cannabis à la maison et qu’un de vos plants a atteint plus d’un mètre, remerciez votre bonne étoile. Un conseil juridique gratuit de dernière minute vous a peut-être bien permis d’éviter de recevoir un constat d’infraction!

Avant de promulguer les règles qui allaient régir le nouveau marché de la marijuana à des fins récréatives, le gouvernement fédéral a tenu des séances de comité sur ces nouvelles mesures législatives. L’avocat criminaliste d’Ottawa Michael Spratt fut l’un des intervenants. Il n’a pas mâché ses mots à l’endroit du gouvernement quant à l’idée de limiter à un mètre la taille des plants cultivés à la maison.

Selon Me Spratt, cette idée était tout simplement absurde. « Imaginons qu’une personne part pour la fin de semaine et qu’à son retour, elle s’aperçoit que le plant de marijuana qui est dans sa cour a grandi trop vite et n’est plus conforme à la loi. Cette personne pourrait alors faire face à des accusations criminelles! »

Grâce aux objections de Me Spratt et d’autres intervenants et intervenantes, l’élément de taille maximale a été retiré du projet de loi. Le Comité de la santé de la Chambre des communes a accordé de l’importance à l’opinion de Me Spratt parce que ce dernier est une référence pour les journalistes de la capitale canadienne en matière de droit criminel. Sa présence médiatique lui permet de jouer un rôle d’influence dans les plus importantes réformes législatives : voilà une illustration concrète du pouvoir de la presse.

Un pouvoir dont tous les cabinets d’avocats peuvent apprendre à tirer profit, particulièrement les plus petits et les juristes qui pratiquent seuls. Les apparitions dans les médias s’apparentent plus à une audition qu’à de la publicité. Il s’agit d’une façon de montrer à vos clients éventuels l’étendue de votre savoir.

Pour Taayo Simmonds, avocat spécialiste en droit des affaires et en droit successoral pratiquant dans un cabinet formé de deux avocats établi à Ottawa, « les relations avec les médias ne sont que le prix à payer pour faire des affaires. Si on veut être connu, les gens doivent entendre parler de nous. »

Pour faire son entrée dans le monde médiatique, il ne suffit toutefois pas de passer quelques coups de fil à l’improviste à une salle de nouvelles. Et cette entrée n’est pas sans risque. Les experts ont identifié quelques éléments à garder à l’esprit pour les avocats et avocates qui songent à faire une première incursion dans la jungle médiatique.

Par où commencer?

« Il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’une relation transactionnelle. Pour obtenir une bonne couverture médiatique, l’histoire doit être authentique », explique Jana Schilder, ancienne directrice du marketing pour un important cabinet d’avocats, aujourd’hui à la tête de son propre cabinet d’experts-conseils en communications juridiques à Oakville, en Ontario.

Bref, la couverture médiatique ne dépend pas du communiqué de presse, mais de l’expertise qui se trouve derrière. La relation entre journaliste et juriste est fondée sur les besoins du premier et les connaissances du second. C’est toutefois la nouvelle qui passe avant tout. Le défi pour les avocats et avocates est donc de partager leurs connaissances avec les journalistes en respectant les brèves échéances avec lesquelles ces derniers doivent composer.

« Se mettre au service des journalistes et leur être utiles : voilà le meilleur état d’esprit à adopter lorsque l’on entretient une relation avec les médias », conseille Jana Schilder. Elle suggère de créer un dossier d’alertes Google, un outil simple et efficace qui permet d’être informé rapidement lorsqu’un domaine d’exercice fait les manchettes. Il est toujours plus facile de commenter une nouvelle quand on sait que les journalistes cherchent à recueillir des commentaires maintenant.

Pour la plupart des avocats et avocates, établir une présence médiatique prend toutefois du temps. La publication d’un blogue a permis à la majorité de ceux et celles qui jouissent aujourd’hui d’une telle présence de faire leurs débuts. Le blogue sert deux objectifs : il permet aux journalistes de constater l’étendue des connaissances de l’avocat, tout en permettant à ce dernier de pratiquer ce qu’il dira aux journalistes s’ils communiquent avec lui.

« Le droit criminel intéresse les non-juristes. C’est plus facile d’établir des liens avec des journalistes pour un ou une criminaliste que ce ne l’est pour une personne qui pratique le droit successoral, par exemple », affirme Anne-Marie McElroy, avocate d’Ottawa exerçant seule.

« J’ai commencé à tenir un blogue parce que le droit criminel m’intéresse et que j’avais envie d’écrire à ce sujet. Je voulais aussi utiliser mon blogue comme façon de permettre à mon nom de sortir plus facilement via les moteurs de recherche, ce qui aide à avoir plus de clients. »

« Tout est dans le contenu », précise Me Spratt, qui blogue aussi depuis plusieurs années. « Il faut miser sur la qualité plutôt que sur la quantité, faire ses interventions au bon moment et être cohérent. »

Me Simmonds anime quant à lui une baladodiffusion. Il choisit ses invités en fonction des intérêts de ses auditeurs. Le mois dernier, il a reçu un représentant de la LNH et en septembre, une avocate qui représente des athlètes amateurs aux prises avec des allégations de dopage. 

Risques et bénéfices

S’entretenir avec un journaliste n’a rien à voir avec s’adresser à un juge ou à un jury. D’abord, tout se passe beaucoup plus vite.

Les échanges rapides et souvent imprévus avec les journalistes peuvent prendre de court les avocats et avocates inexpérimentés. S’ils ne sont pas bien préparés, ils risquent de s’éloigner du sujet et d’être alors horrifiés de la façon dont leurs propos sont cités.

« Lorsque vous répondez à la question d’un journaliste, écoutez bien sa question, c’est important, conseille Me Spratt. S’emballer ou être trop bavard peut mener droit au désastre. Si vous quittez une entrevue en ne sachant pas trop ce qui sera retenu par le journaliste, il y a fort à parier que votre message n’était ni clair ni concis. »

Il est sage de se préparer de la même façon à une entrevue de presse qu’on le ferait pour une audience devant le tribunal : en mettant ses arguments par écrit et en les gravant dans sa mémoire. « Il est préférable de s’en tenir à quelques éléments clés sur lesquels on souhaite être entendu, pour ne pas s’écarter du sujet », conseille Me McElroy.

Jana Schilder met en garde contre les entretiens à micro fermé, surtout si on ne connaît pas bien le journaliste et si on n’est pas certain de s’entendre sur la signification de « micro fermé ».

« Les journalistes ne sont pas nos ennemis, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont nos amis, souligne-t-elle. Si on ne veut pas que quelque chose soit repris, vaut mieux ne pas le dire. Avant d’aller en entrevue, prenez le temps de faire la liste des éléments sur lesquels vous souhaitez être cités. »

Si le sujet de la conversation touche une affaire en cours, il faut redoubler de prudence. Assurez-vous de d’abord obtenir l’autorisation du client et discutez avec lui de ce que vous souhaitez apprendre aux médias.

« Les avocats et avocates n’aiment généralement pas prendre de risques et les contacts avec la presse ont tendance à nous rendre nerveux, observe Me Simmonds. Le fait d’en discuter avec mon client m’aide beaucoup à gérer cette nervosité. »

Il faut s’en tenir à ce que l’on sait et reconnaître que l’on ne sait pas tout. « Tenez-vous-en à votre champ d’expertise, conseille Me Spratt. À vouloir étendre votre expertise à tous les domaines, vous risquez d’enfreindre des règles déontologiques et même de déconsidérer l’administration de la justice. »

« N’inventez surtout rien, recommande Jana Schilder, il ne faut pas exagérer. Si on ne connaît pas la réponse à une question, on le dit tout simplement. On peut toujours demander combien de temps il reste avant l’heure de tombée du journaliste et proposer de lui revenir rapidement avec la réponse. »

En fin de compte, c’est à chaque avocat et avocate de décider le genre de relation qu’il ou elle souhaite entretenir avec les journalistes. 

Me Spratt est conscient que son franc-parler et ses nombreuses apparitions devant les comités de la Chambre des communes ferment la porte à certaines perspectives de carrière. (« Je peux tout de suite oublier la carrière de juge - il faudrait que je sois fou pour même y penser. ») Le jeu en vaut quand même la chandelle selon lui, puisque cela lui permet d’exercer une influence directe sur « l’évolution même du droit pénal ».

Pour d’autres, le simple plaisir de collaborer avec les journalistes sur des histoires qui évoluent rapidement (et de veiller à ce que les grands cabinets ne dominent pas l’espace médiatique) l’emporte sur tout autre avantage.

« Je pourrais m’en passer. Je ne le fais pas pour obtenir un avantage immédiat, précise Me Simmonds. Mais pour une raison qui m’échappe, les grands cabinets semblent dominer les commentaires dans les médias, et je ne vois aucune bonne raison pour que ça reste ainsi. »

« Je ne connais pas la corrélation exacte entre chacune de mes apparitions dans les médias et chacun de mes nouveaux clients, observe Me McElroy. Mais il arrive que des clients entrent dans mon bureau et me disent qu’ils ont apprécié l’une de mes interventions à la radio. »