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L’art de bâtir la confiance

La négociation collaborative, un style de pratique

People negotiating at corner of table
iStock

Le droit familial collaboratif a pour but de régler des dossiers sans procès. Ses défenseurs affirment qu’il peut donner de meilleurs résultats pour les clients et même améliorer l’expérience des avocats eux-mêmes.

« On évite les poussées de colère et les guerres de tranchées qui caractérisent le contentieux, affirme John-Paul E. Boyd, qui pratique le droit de la famille en Alberta et en Colombie-Britannique. On met l’accent sur la famille dans son intégralité plutôt que de plaider pour un seul client en faisant abstraction de l’ensemble de la question. »

En droit collaboratif, les parties et leurs avocats signent une entente les engageant à trouver des solutions ensemble, entente qui oblige à une divulgation complète. Si les parties décident ensuite d’aller en cour, les avocats doivent se retirer et les parties, en désigner de nouveaux.

Nancy Cameron, avocate de Vancouver et auteure de Collaborative Practice: Deepening the Dialogue, explique le raisonnement sous-tendant ce processus : « Cette pratique favorise la confidentialité dans l’ensemble du processus de négociation, et change la dynamique en dispensant les parties d’avoir à faire du positionnement stratégique. Le but est de créer dans la salle un cadre sûr pour les clients, qui sauront que je ne vais pas contre-interroger l’autre partie, et d’établir un lien de confiance. »

Il est essentiel que les deux avocats se fassent confiance et que la divulgation complète soit exigée, sinon ça ne marche pas. Cameron et Boyd s’entendent là-dessus.

« Si je découvre que mon client cache de l’information, dit Me Cameron, j’ai l’obligation de résilier l’entente de collaboration et d’en aviser l’autre partie; ceci signale qu’il y a incompatibilité avec le processus de collaboration. »

Me Boyd dit préférer parler d’une « négociation collaborative », car il ne s’agit pas d’un secteur du droit, mais d’un style de pratique.

Il ajoute toutefois que le droit familial se prête particulièrement bien à la pratique collaborative.

« Une affaire de droit familial n’a pas les mêmes caractéristiques que l’habituel dossier de droit civil, explique Me Boyd, qui travaille comme arbitre, médiateur et coordonnateur en matière de parentage. La principale différence entre le droit familial et le droit civil en général réside dans le fait que les parties à ce type de litige sont engagées dans une relation qui se poursuit après que le tribunal s’est prononcé. »

« À la différence des affaires civiles, ajoute-t-il, le motif d’action en droit familial est en constante évolution. »

« Dans une affaire au civil, ce motif reste figé une fois le tribunal saisi de l’affaire : un accident de la route datant de 10 ans, un actionnaire intimidé lors d’une réunion il y a trois ans, etc. En droit de la famille, les faits s’inscrivent dans une chaîne d’événements jamais bouclée; ils continuent d’évoluer avant, pendant et après le procès. »

De plus, les affaires de droit familial sont habituellement tournées vers l’avenir, et les actions civiles, vers le passé.

« En matière civile, explique Me Boyd, le but est d’obtenir un dédommagement qui place la partie lésée dans la situation qui aurait été la sienne n’eût été le préjudice subi. C’est différent en droit familial : le tribunal a les yeux fixés sur demain. Quel est le meilleur règlement pour l’avenir des enfants? De combien d’argent telle personne aura-t-elle besoin pour sa subsistance? »

Pour Boyd, le règlement d’un litige en droit familial peut s’avérer destructif pour la famille, le système accusatoire ayant le potentiel de pourrir les relations entre ceux qui devront ensuite continuer à travailler ensemble malgré ce qui les oppose.

« Dans la pratique collaborative, on peut traiter de questions extrêmement délicates telles qu’une déficience cognitive, un problème de dépendance et même des choses comme la violence au foyer, et ce, tout en évitant la polarisation des positions et en encourageant les parties adultes à collaborer. »

« Il peut être difficile pour les deux parties de se réunir dans une salle pour négocier, admet Me Cameron, mais ça reste bien moins difficile que devant le tribunal. C’est moins intrusif. Cela se fait en privé puisque c’est en dehors des salles d’audience, et il n’y a pas de dossier de tribunal ni d’autres personnes qui écoutent. »

« De plus, ajoute-t-elle, la pratique collaborative est habituellement plus rapide et moins chère. »

« D’entrée de jeu, souligne Me Boyd, les avocats adoptent une vue d’ensemble du dossier, ce qui comprend le bien-être de leurs clients en plus de leurs intérêts juridiques. La collaboration en droit familial vise à trouver un règlement qui laisse un maximum de ressources aux parties, notamment pour leur collaboration future. »

Pour les avocats, la pratique collaborative est « bien meilleure pour éviter les ulcères, dit Boyd en souriant. Elle vous épargne les moments d’anxiété à fixer le redoutable télécopieur dans la crainte qu’en sortira une requête de dernière minute, et le stress de comparaître. On sort de la dynamique du tout ou rien. »

Sur ce point Me Cameron ajoute : « Du point de vue de l’avocat, c’est un type de pratique bien plus agréable. L’échéancier est plus facilement gérable. Vous ne verrez pas d’avis de requête atterrir sur votre bureau au moment où vous partez en vacances. »

Mes Cameron et Boyd s’entendent pour dire que le travail avec un avocat adverse formé en pratique collaborative peut par ailleurs se révéler une très belle expérience professionnelle.

« Les avocats ainsi formés travaillent dans une optique de coopération et de collégialité, souligne Me Boyd. »

Il poursuit : « L’autre avantage de la pratique collaborative, et c’est bien ce qui la distingue du litige en cour, est que vous pouvez faire intervenir d’autres personnes dans le processus. Il arrive que des conseillers en santé mentale interviennent auprès d’une partie pour l’aider à surmonter les émotions que suscitent les négociations ou la douleur d’une séparation. De plus, les avocats peuvent consulter directement les professionnels de la santé mentale. »

Il fait toutefois une mise en garde : ce processus peut être plus fatigant sur le plan psychologique que les autres types de pratique.

« Cela vous oblige à fortement vous investir dans le dossier. Penser seulement à votre client ne suffit pas; vous devez aussi songer à l’autre partie, et ça peut devenir plus intense.