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Un avocat applaudi comme leader de l’action contre les politiques anti-trans


Bennett Jensen est l’un des deux récipiendaires du prix du héros ou de l’héroïne 2024 de la Section de l’alliance de la diversité sexuelle et des genres de l’ABC

Bennett Jensen
Photo fournie

Quand Bennett Jensen s’est déclaré trans il y a près de 20 ans, c’était « un monde complètement différent ».

Il a vécu personnellement l’expérience de ce qu’on ressent quand on se fait pointer du doigt par la société en raison d’un « problème ».

Toutefois, les temps changent.

« Aujourd’hui, quand je rencontre des familles, des fournisseurs et des experts, je me rends compte à quel point les personnes trans sont désormais visibles, et aimées, et à quel point le soutien s’est développé dans la société canadienne », dit-il.

La compassion et l’empathie pour les jeunes personnes trans aident Me Jensen dans son travail de directeur des services juridiques à Egale Canada, une éminente organisation de défense des intérêts de la communauté 2ELGBTQ+.

L’an dernier, Me Jensen a relancé le programme de représentation juridique d’Egale, et créé une vision stratégique de défense des droits des personnes 2ELGBTQ+ au Canada. Il est notamment intervenu dans des cas allant d’actions en diffamation en lien avec des discours transphobes à la contestation de politiques provinciales sur les pronoms ciblant les élèves trans.

Les actions de Me Jensen pour défendre les droits de la communauté 2ELGBTQ+ ne sont pas restées inaperçues : plus tôt ce mois-ci, ses pairs lui ont décerné le prix du héros ou de l’héroïne 2024 de la Section de l’alliance de la diversité sexuelle et des genres de l’ABC. Ce prix salue les juristes, juges et universitaires de la communauté 2ELGBTQ+ qui font progresser les causes de cette communauté au sein de la profession juridique.

Me Jensen partage la distinction de ce prix avec Robert Leckey, doyen de la faculté de droit de l’Université McGill, tandis que Me Claire Hunter a reçu le prix allié/alliée 2024.

Dans leur lettre de mise en nomination de Me Jensen pour le prix, Pam Hrick, directrice exécutive du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes (FAEJ), et Nikki Gershbain, fondatrice et chef de la direction d’IDEA Consulting, l’ont décrit comme un exemple à suivre pour les membres de la profession juridique.

« Il n’y a aucun doute, Bennett incarne les normes les plus élevées d’excellence professionnelle et juridique dans notre profession quant à l’avancement de la cause de l’égalité pour les personnes 2ELGBTQI+, en particulier pour les jeunes trans vulnérables », écrivent-elles.

« (Il) est, c’est le cas de le dire, en première ligne de ce qui est devenu un combat pour les personnes queer et trans au Canada. »

Toutefois, ce qui selon elles le distingue et fait de lui un digne lauréat du prix cette année, c’est « d’abord, son incroyable compassion pour ses clients, malgré les tensions émotionnelles que cela amène dans sa propre vie, et ensuite l’oubli de soi et la modestie dont il fait preuve dans son travail de défense de ces valeurs ».

« Il fait tout pour que les jeunes personnes trans auprès de qui il travaille sachent qu’il est de leur côté. Pour lui, tous les outils juridiques, sociaux et politiques sont bons pour parer les tentatives de les priver de leur humanité. »

Me Jensen « était en état de choc et s’est senti honoré » par ce prix. Il est reconnaissant envers les nombreux autres professionnels et professionnelles du droit avec qui il travaille sur des dossiers émotivement difficiles.

« Je suis très chanceux de ne pas devoir tout faire seul », se réjouit-il.

« Là où ça devient difficile, c’est quand je me laisse aller à la douleur causée aux personnes trans. Ça peut être très douloureux, et c’est très dur de savoir tout ce qui arrive, mais je me sens privilégié de pouvoir m’investir chaque jour dans mon travail, de pouvoir lutter contre cela. »

Des lois anti-trans ont été adoptées aux États-Unis ces dernières années, et les personnes 2ELGBTQ+ au Canada sont visées par des menaces de plus en plus fréquentes, si bien que les leaders d’Egale se sont rendu compte que défendre leurs droits exigerait de se tourner vers les tribunaux « plus souvent qu’il n’avait jamais été nécessaire en 20 ans », depuis que l’égalité en matière de mariage a été réalisée, dit Me Jensen.

« Le gros changement, c’est que nous intentons à présent des actions qui deviennent des précédents, et traitons des notions de droit absolument inédites au Canada. »

L’an dernier, sous la direction de Me Jensen, Egale est intervenue dans des dossiers concernant la capacité des autorités de réglementation de prononcer des ordonnances remédiatrices contre les professionnelles et professionnels tenant des propos transphobes (Peterson v. College of Psychologists of Ontario), l’accès aux soins d’affirmation de genre pour les personnes non binaires (Ontario Health Insurance Plan v. K.S.) et l’application de la Charte aux conseils scolaires (Conseil scolaire de district de la région de York c. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario).

« C’est atterrant de savoir que ça a été nécessaire, mais c’est incroyable de constater tout le travail que nous avons accompli en seulement un an », commente Me Jensen.

Plusieurs autres dossiers sont en instance. Me Jensen est l’un des avocats dans la contestation du UR Pride Centre for Sexuality and Gender Diversity contre le projet de loi 137 récemment adopté par la Saskatchewan, projet de loi qui exige le consentement des parents pour qu’un enfant de moins de 16 ans puisse utiliser à l’école un pronom ou nom différent correspondant à son identité de genre.

Il est aussi avocat dans l’action du FAEJ contre une politique similaire au Nouveau-Brunswick, qui exige aussi que les écoles s’adressent aux parents des élèves trans.

Dans ces deux cas, Me Jensen et ses collègues soutiennent qu’il s’agit de politiques discriminatoires.

« Je crois, dit-il, qu’il est important de se rendre compte à quel point ces politiques nuisent au bien-être des personnes trans. »

« Elles sont une façon de dire à la société que les jeunes personnes trans ont un problème, que ce n’est pas une identité acceptable, et qu’il faut mettre en place un cadre serré de surveillance ou de restrictions pour limiter les personnes trans dans leur capacité d’exister. C’est très, très nocif psychologiquement et émotionnellement pour ces jeunes. »

Par ailleurs, Me Jensen est en train de fourbir ses armes en vue d’une possible bataille juridique contre le gouvernement albertain.

Plus tôt cette année, Danielle Smith, la première ministre de l’Alberta, a annoncé une série d’initiatives politiques qui limiteraient les droits des jeunes personnes trans, dénonce Me Jensen, notamment leur droit à une éducation inclusive et sécuritaire, leur droit aux soins médicaux et leur droit de participer aux sports et aux activités parascolaires.

« Les mesures législatives que la première ministre proposent sont est de toute évidence inconstitutionnelles », prévient-il.

« On a ici affaire à des questions juridiques parmi les plus déterminantes pour l’avenir de la nation, pas seulement pour les communautés 2ELGBTQ+. [Cela comprend] l’application adéquate de la disposition de dérogation, le rôle des tribunaux une fois celle-ci appliquée, et la définition des différents droits garantis par la Charte pour leur application à des groupes aux genres divers ».

Selon Me Jensen, les Canadiennes et Canadiens devraient « craindre intrinsèquement » l’utilisation de cette disposition par les gouvernements, disposition que Scott Moe, premier ministre de la Saskatchewan, a dit prévoir invoquer pour appuyer le projet de loi 137.

« Les moyens par lesquels ces gouvernements provinciaux défendent ces politiques portent atteinte à certains des principes démocratiques fondamentaux qui nous sont chers ici au Canada », plaide Me Jensen.

« On a des gouvernements qui soutiennent qu’une fois la disposition de dérogation appliquée, les tribunaux n’ont plus aucun rôle à jouer dans l’exécution de leurs attributions, qui est de déterminer le caractère constitutionnel de la loi. »

Toutefois, ce fut selon lui « un moment fort » de voir de nombreux Canadiens et Canadiennes exprimer leur opposition à ces politiques, et de rencontrer d’autres juristes désireux de se joindre au combat.

« La raison la plus importante que nous avons de contre-attaquer, c’est que nous croyons que les jeunes ont le droit d’exister tels qu’ils sont et d’être soutenus par la société. »