Des mesures concrètes vers la réconciliation
Petites et grandes organisations travaillent sur des idées et des programmes innovateurs pour montrer leur volonté de répondre aux appels à l’action concernant la profession juridique
Bon nombre de cabinets et d’organisations juridiques montrent que l’engagement à la réconciliation avec les Autochtones va bien au-delà de la simple reconnaissance du territoire.
À Calgary, le récent Indigenous Justice Centre of Alberta promeut un système de justice holistique, réparateur et adapté à la culture pour les Autochtones.
Les personnes faisant l’objet d’une accusation criminelle y ont accès à des services pro bono exhaustifs : conseils juridiques, services de familiarisation avec les tribunaux, aide à trouver un logement, ressources en réhabilitation, etc.
Noreen Demeria, directrice générale, souligne que les cabinets et les autres organisations juridiques doivent absolument s’inspirer des peuples et des communautés autochtones.
« Il est important de donner un espace à ces voix », insiste-t-elle.
Alors que les Autochtones représentent environ 5 % des adultes canadiens, ils comptent pour plus de 30 % des personnes purgeant une peine de ressort fédéral, selon des statistiques de 2023 publiées par Sécurité publique Canada. Le même rapport a relevé que les femmes autochtones composent la moitié des femmes incarcérées dans les établissements fédéraux.
Remédier à cette surreprésentation dans le système de justice pénale est l’un des 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.
Mme Demeria, une Anishinaabe de la Première Nation Tootinaowaziibeeng au Manitoba, dit qu’il faut considérer l’histoire et la culture dans ce contexte.
« Regardez les effets qu’ont eus le colonialisme et ses outils, comme les pensionnats, sur nos communautés et nos familles », déplore-t-elle.
S’engager à long terme
Me Charlene Theodore, chef de l’inclusion chez McCarthy Tétrault à Toronto, indique que son cabinet est déterminé à répondre aux appels à l’action lancés par la Commission de vérité et réconciliation du Canada.
« Comme tout le monde, nous avons commencé par la reconnaissance du territoire. Mais nous avions toujours un plan de plus grande envergure, explique-t-elle. Le cabinet a une longue histoire d’engagement à la diversité et à l’inclusion. Nous avons toujours taillé une place pour la sensibilisation culturelle concernant les questions autochtones et la vérité et la réconciliation. »
Selon Me Theodore, McCarthy Tétrault met l’accent sur les compétences culturelles, l’éducation et la participation dans la communauté.
« L’un des principaux mantras du rapport de la Commission de vérité et réconciliation est la création et le maintien de relations mutuellement respectueuses avec les communautés autochtones qui nous entourent. Et il est impossible d’y parvenir juste en reconnaissant le territoire, prévient-elle. Pour réussir, il faut s’engager à long terme, c’est-à-dire faire preuve de compétences culturelles, participer et travailler dans l’authenticité avec elles pour nouer cette relation. »
Me John P. Brown a été un associé du contentieux chez McCarthy Tétrault pendant de nombreuses années avant de devenir le conseiller juridique et stratégique d’initiatives autochtones.
« Le but derrière cela, d’après moi, était d’aider le cabinet à avoir des interactions authentiques et porteuses de sens avec les communautés autochtones dans les villes où pratique notre cabinet », dit Me Brown, basé à Toronto.
Sa famille du côté paternel est Sto:lo, dont le territoire traditionnel se trouve en Colombie-Britannique.
Il indique que son nouveau poste a pour objectif d’améliorer les compétences culturelles du cabinet puis, une fois ces compétences suffisamment développées, d’aider le cabinet à travailler avec les communautés autochtones, surtout sur une base pro bono.
« La première étape était de reconnaître le territoire. Mais ce geste est inutile sans compétences culturelles et sans mesures pour entretenir des interactions porteuses de sens avec les communautés autochtones par la suite », signale-t-il.
Entre autres initiatives, McCarthy Tétrault a contribué à la création de la Trousse d’outils sur la vérité et la réconciliation de l’Association du Barreau canadien, une ressource en ligne aidant les cabinets à élaborer des plans d’action pour la réconciliation.
Le cabinet agit aussi comme partenaire dans le Programme des droits de la personne des peuples autochtones aux côtés du Réseau national d’étudiant(e)s pro bono et d’autres organisations afin d’épauler les membres des communautés autochtones.
« Nous les aidons en leur offrant des conseils et du soutien, et au besoin, en les accompagnant en audience devant le tribunal », résume Me Brown.
Le cabinet tient également une série de conférences, où sont invités des spécialistes autochtones de différents domaines pour alimenter la discussion.
Me Aaron Runge, associé-directeur de MLT Aikins LLP dans l’Ouest canadien, dit que son cabinet a aussi « adopté l’orientation de la Commission de vérité et réconciliation ».
Ce cabinet mise surtout sur l’éducation; plus précisément, il veille à ce que les avocats et le personnel apprennent les injustices historiques qu’ont vécues les Autochtones.
Il organise des événements mettant en valeur des conférenciers et des perspectives autochtones et présente des ressources éducatives à ses avocats et à son personnel. De plus, il compte un centre de ressources en ligne, où il recommande des lectures, des films, des balados et des cours.
Le 30 septembre, la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, MLT Aikins LLP ferme ses bureaux afin de permettre à ses employés de poursuivre leur formation sur les sujets autochtones.
Il cherche aussi à améliorer l’accès équitable aux emplois en créant une bourse d’études qui réduira les obstacles pour les étudiants autochtones embrassant une carrière en droit.
Me Runge estime qu’un engagement envers la vérité et la réconciliation est logique d’un point de vue aussi moral que commercial.
« D’abord, nous pensons que c’est la chose juste à faire. En tant qu’avocats, nous jouons un rôle important dans l’accès à la justice et avons l’obligation morale professionnelle d’aider les communautés autochtones, explique-t-il. En considérant d’un point de vue commercial la population autochtone, qui connaît l’une des plus fortes croissances au pays, on reconnaît la force et l’influence que ces communautés ont et auront sur l’avenir des affaires au Canada. »
Il précise que son cabinet agit aussi comme conseiller juridique auprès de clients autochtones.
« Les communautés autochtones sont désormais des clients institutionnels très sophistiqués et des joueurs majeurs dans de multiples secteurs de l’économie canadienne, alors il leur faut des conseils juridiques sophistiqués pour naviguer à travers des transactions complexes », précise-t-il.
Pour les autres cabinets, surtout ceux de petite taille, souhaitant s’investir davantage pour la vérité et la réconciliation auprès des Autochtones, Me Runge conseille de commencer par la formation sur des sujets comme les préjugés inconscients et l’apprentissage des injustices historiques.
Cependant, il nous met en garde : le travail des cabinets ne doit pas être simplement performatif. Par exemple, un cabinet ne devrait pas se contenter de communiquer des ressources éducatives sans adopter d’autres mesures pour répondre aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.
« Mettez l’accent sur l’embauche et le maintien en poste d’avocats et d’employés autochtones, dit-il. On ne peut pas réellement apprendre des peuples autochtones sans les côtoyer. »
Me Theodore recommande aux avocats de traiter les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation comme une obligation.
« En tant que dirigeants dans nos communautés, les avocats ont la capacité et l’obligation d’aider à améliorer les choses », souligne-t-elle.