Compétence réduite
Jugeant inconstitutionnelle la limite de 85 000 $ en Cour du Québec, la Cour suprême force la main à Québec qui devra adopter des réformes en matière d’accès à la justice.
Le 30 juin dernier, la Cour suprême a tranché : l’article 35 du Code de procédure civile du Québec, qui permet à la Cour du Québec d’entendre des causes d’une valeur de 85 000 $ et moins, est inconstitutionnel, et empiète sur la compétence fondamentale de la Cour supérieure du Québec. Par ce renvoi, la Cour suprême a-t-elle fait reculer l’accès à la justice au Québec ?
En 2016, l’Assemblée nationale du Québec a adopté le Nouveau code de procédure civile qui mettait de l’avant de nouvelles mesures destinées à « assurer l’accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile. » On note parmi ces mesures, le devoir des parties de considérer les modes privés de règlement des différends, et de reconnaître la mission du tribunal de favoriser la conciliation des parties et la saine gestion des instances.
Cette réforme comprenait aussi l’élévation du seuil pécuniaire de compétence de la Cour du Québec de 70 000 à 85 000 $. C’est notamment cette question qui s’est retrouvée entre les mains de la Cour suprême.
En 2018, les juges de la Cour supérieure du Québec ont mis en branle un recours extraordinaire : celui par lequel un tribunal s’adresse à un juge de son propre tribunal pour faire invalider la compétence d’un tribunal inférieur.
Le recours à un renvoi par la ministre de la Justice du Québec était inévitable, pour des raisons évidentes, selon le professeur Pierre Noreau. « Dans l’espace public, on comprenait mal qu’un tribunal s’adresse à lui-même pour trancher sur la question de la compétence d’un autre tribunal. » La ministre Stéphanie Vallée a donc renvoyé cette question devant la Cour d’appel en août 2017.
Pierre Noreau est professeur de droit public et chapeaute le projet Accès au droit et à la justice, qui regroupe quelque 23 chantiers de réflexion sur cette question large et multifactorielle qu’est l’accès à la justice. Pour lui, le Renvoi sur le Code de procédure civile n’aura pas un impact déterminant sur l’accès à la justice du point de vue du justiciable.
« Sur le plan empirique d’aujourd’hui, cette idée de la continuité (d’un tribunal de droit commun) qu’on pouvait avoir au 19e siècle comme condition de l’accès à la justice ne correspond plus à la réalité, » avance le professeur Noreau. « Une forme de distance s’est créée entre la justice et les besoins courants des personnes. C’est aussi vrai à la Cour du Québec qu’à la Cour supérieure. »
Au contraire, pour le professeur Guillaume Rousseau de l’Université de Sherbrooke, la Cour du Québec assure une plus grande proximité avec les citoyens. « La Cour du Québec est plus présente sur l’ensemble du territoire. » Pour lui, la Cour du Québec est moins coûteuse que la Cour supérieure, notamment en raison du salaire moins élevé de ses juges. Plus de causes pourront donc être entendues devant cette instance qu’en Cour supérieure.
Noreau est plus nuancé. « Il faut regarder s’il y a plus de causes par juge et la nature des causes. Ça devient compliqué de savoir quelle cour est plus accessible. »
Selon lui, le problème est d’un autre ordre.
« Les gens n’ont toujours pas plus d’accès à des services professionnels pour les représenter, le problème d’autoreprésentation est aussi important (devant les deux tribunaux). Les enjeux financiers des citoyens les amènent de toute façon plus souvent devant la Cour du Québec, » insiste Pierre Noreau. « La Cour supérieure est amenée à entendre des litiges qui impliquent au moins une société commerciale. (…) Ces sociétés ont la possibilité de déduire leurs frais juridiques, » contrairement au citoyen.
Noreau et Rousseau sont d’accord pour dire que le nombre de dossiers qui seront touchés par ce renvoi de la Cour suprême sera minime.
Pour Rousseau, cependant, cela pourrait exercer une influence sur de future réformes que pourrait entreprendre le gouvernement du Québec en matière d’accès à la justice. « Ce jugement vient restreindre la compétence québécoise sur l’administration de la justice, qui permet au Québec d’adopter des réformes en matière d’accès à la justice. »
La question posée à la Cour suprême était donc plutôt abstraite pour le citoyen moyen. Ce renvoi devrait-il amener à une réflexion plus large sur l’administration de la justice ?
« Le problème qui devait se régler là était d’un autre ordre, et tient plutôt à des questions de légitimité de ces deux cours. Si on voulait vraiment avoir un impact sur l’accès à la justice, faudrait simplifier le système et les instances. Une des façons de le faire serait de s’assurer qu’il y ait un seul canal sur le plan procédural, qui conduise à l’un ou l’autre tribunal, » avance Noreau.
Voire la création d’une réelle et seule Cour de première instance au Québec, ce qui impliquerait une modification constitutionnelle.
Pierre Noreau se fait par ailleurs adepte de « la créativité institutionnelle ». Les deux instances qui se sont retrouvées devant la Cour suprême du Québec pourraient suivre une autre voie.
« Cette cause est un grand symbole, et c’est normal que sur le plan argumentaire, on tente de s’appuyer là-dessus. Si on regarde sur le plan de la réalité concrète de l’expérience judiciaire pour le citoyen, la question est plutôt de savoir si tu passes devant un juge, combien de temps ça prend, combien ça coûte, est-ce que ça règle ton problème, et est-ce que tu as le sentiment d’avoir été entendu ? »
Pour lui, ainsi, la solution est procédurale. « Si on ne croit pas que c’est facile de réunir les deux juridictions, il faut peut-être voir comment on peut les faire travailler ensemble. »