L’art de l’intervention juridique
Quelques conseils de la juge Suzanne Côté sur la manière de présenter des arguments afin d'assister la cour.
Au fil des ans, la participation des intervenants est devenue une partie intégrante de la procédure d’audience de la Cour suprême du Canada. Leur rôle est d’assister la Cour en fournissant d’autres perspectives et en attirant l’attention sur des questions non soulevées par les parties principales. En effet, les questions examinées lors d’un pourvoi ont souvent des conséquences qui vont bien au-delà de l’intérêt des parties. Cependant, les intervenants ne savent pas toujours très bien ce que la Cour attend d’eux lorsqu’ils soumettent leurs arguments. Lors d’une récente séance de la série « Law » de l’ABC, la juge de la Cour suprême Suzanne Côté a fourni des éclaircissements afin d’aider les intervenants à présenter des observations écrites et une plaidoirie orale qui complètent les arguments des parties principales. Ses observations faisaient suite à l’avis à la communauté juridique publié par la Cour en novembre 2021, qui doit être lu en parallèle avec son avis de mars 2017.
« L’aspect le plus controversé des interventions actuellement est le temps alloué aux plaidoiries orales », expliquait la juge Côté. L’avis de 2017 indiquait qu’en règle générale chaque intervenant se verrait allouer une période de cinq minutes, et que le juge saisi de la requête « conserve le pouvoir discrétionnaire d’accorder une période différente ». Avant la publication de cet avis, tous les intervenants ne disposaient pas d’un temps de parole, et le temps alloué pouvait varier.
Les intervenants qui ont le statut de partie dans un tribunal inférieur disposent généralement de dix minutes pour les plaidoiries orales, et les autres intervenants, de cinq minutes. L’intervenant peut exposer dans sa requête en autorisation d’intervenir les raisons pour lesquelles une période plus longue serait justifiée, mais la Cour reçoit rarement de telles demandes, confiait la juge Côté. Les intervenants interrompus par la Cour pendant les cinq minutes qui leur sont allouées peuvent demander plus de temps au juge ou à la juge qui préside. « Les juges sont tout à fait disposés à prolonger le temps alloué quand les cinq minutes ont été essentiellement prises par leurs questions. »
L’animateur de la séance, Joshua Sealy-Harrington, avocat au cabinet Juristes Power et professeur adjoint à la Faculté de droit Lincoln Alexander, a souligné que les deux avis énonçaient trois grands critères pour autoriser une intervention. « L’intervention doit d’abord être pertinente par rapport à la question examinée; elle doit ensuite être utile à la Cour; et enfin, les arguments de l’intervenant doivent être différents de ceux des parties principales. »
Le critère de la pertinence se comprend aisément. Si les arguments soumis par l’intervenant ne se rapportent pas directement aux questions que la Cour doit trancher, l’autorisation d’intervenir ne sera pas accordée, a résumé la juge Côté. En ce qui concerne l’utilité, la juge a expliqué : « Il s’agit bien sûr d’offrir une nouvelle perspective, mais les idées avancées ne doivent pas avoir déjà été couvertes entièrement et avec compétence par l’une des parties. » Et pour ce qui est du caractère distinct des arguments de l’intervenant, « vous devez démontrer que vous apporterez quelque chose de nouveau ».
Dans leur requête en autorisation d’intervenir, les intervenants doivent « définir leur position, affirmer leur intention de traiter des questions dont la Cour a été saisie et exposer les arguments qui seront avancés, leur pertinence, les raisons pour lesquelles ils seront utiles et en quoi ils diffèrent de ceux des autres parties », a énuméré la juge Côté.
Le juge saisi des requêtes les lit toutes, puis la Cour cherche à déterminer en quoi chaque intervenant diffère des autres. Elle cherche notamment à établir les intérêts que les intervenants cherchent à défendre et la façon dont ils comptent traiter les questions au cœur du litige, a expliqué la juge. « Nous ne voulons pas voir défiler cinquante personnes qui répètent toutes la même chose. Ça ne rendrait service à personne. » Les arguments se ressemblent parfois, mais « s’ils sont défendus par un autre type de groupe, ils peuvent être considérés comme offrant une perspective différente ».
Le mémoire doit être concis et convaincant, a ajouté la juge. « Si le mémoire n’outrepasse pas le rôle de l’intervenant, s’il n’est pas contradictoire et ne prend pas position quant à l’issue de l’appel, il a toutes les chances d’être utile. » Si les intervenants sont nombreux, il faut vous distinguer. « Pour être lu, votre mémoire doit être intéressant — je dirais même percutant — et persuasif. » Les intervenants ne sont pas obligés d’inclure une ébauche de mémoire dans la documentation de leur requête en autorisation, mais un tel document peut être utile et sera pris en considération.
La juge Côté a également conseillé aux intervenants de créer un recueil condensé de sources. « Bien que ces recueils ne soient pas évoqués lors des audiences, je vous recommande d’en préparer un, car nous les trouvons très utiles pour la rédaction de nos motifs. »
L’avis de novembre 2021 stipule que les intervenants ne doivent pas prendre position quant à l’issue de l’appel, a souligné la juge Côté, « c’est-à-dire prendre position sur la façon dont la loi devrait s’appliquer aux faits en cause. Vous pouvez nous faire part de votre position sur une question de droit, mais pas nous dire qu’en l’occurrence l’issue devrait être ceci ou cela en raison des faits en cause ». Prendre position sur une question de droit soulevée dans l’affaire « est précisément ce que nous voulons entendre des intervenants ».
La juge Côté a recommandé aux intervenants d’utiliser les dix pages du mémoire et les cinq minutes de la plaidoirie orale pour parler de droit plutôt que de faits. « Si vous tentez de présenter ce qu’on appellerait une vision stratégique des faits, on vous dira que vous ne pouvez pas aller dans cette direction. Vous êtes là pour discuter d’une question de droit. C’est ce pour quoi on vous a accordé l’autorisation d’intervenir. »
Comme la Cour a lu le mémoire des intervenants avant la plaidoirie orale, « c’est une perte de temps que de simplement répéter ce qui est déjà dans le mémoire », a précisé la juge. « Les meilleurs intervenants, à mon avis, reprennent les arguments présentés à l’audience et abordent les questions qui auraient pu troubler le tribunal. »