Se préparer au choc
Les juristes canadiens doivent se retourner rapidement et souvent vu l’incertitude causée par la guerre commerciale avec les États-Unis

Au Canada, juristes et clients se préparent aux répercussions des tarifs américains et des contre-tarifs canadiens qui, selon certains, risquent de plonger le pays dans une récession économique.
Greg Kanargelidis, qui pratique le droit commercial international depuis plus de 30 ans, rapporte que les semaines ayant suivi l’annonce des tarifs sur les importations canadiennes par l’administration Trump, laquelle prévoit d’ailleurs en imposer d’autres, « ont été incroyablement occupées dans un domaine du droit où l’on ne chôme déjà pas au départ ».
Juriste du cabinet torontois Kanargelidis Global Trade and Customs Law, il dit que beaucoup de ses clients s’y connaissent en conformité interne et se sont préparés à l’arrivée des tarifs.
« Ils ont communiqué avec moi, mais ont déjà des plans ou, à tout le moins, une idée de la façon d’opérer la restructuration », dit-il.
« En revanche, de nouveaux clients m’ont inondé d’appels – des sociétés auprès desquelles je n’avais jamais travaillé et qui me disent ne pas avoir d’expertise dans ce domaine ni en droit des douanes, ne pas avoir de conseiller d’entreprise et ne pas savoir quoi faire. »
Me Kanargelidis estime que les tarifs américains et la surtaxe que le Canada y oppose causent des difficultés à maintes entreprises canadiennes vu l’incertitude qu’ils engendrent.
« Il y a beaucoup d’ambiguïté dans les règles qu’on annonce. Et les annonces se multiplient », poursuit-il.
« Il faut suivre la situation scrupuleusement pour ne rien perdre de vue. »
Robert G. Kreklewetz, qui lui aussi compte 30 ans d’expérience en droit commercial international, est d’avis que les tarifs ajoutent une difficulté colossale pour les entreprises canadiennes.
« Actuellement, c’est le Far West! Depuis mes débuts dans la profession, nous avons toujours – ou à peu près – été dans une zone de libre-échange avec nos voisins du Sud. Le Canada a profité d’échanges commerciaux presque entièrement libres avec son plus important partenaire commercial », relate-t-il.
« L’administration Trump a changé cela du tout au tout avec ses tarifs. Les entreprises canadiennes et américaines participant au commerce transfrontalier sont, disons, en état de choc. »
Me Kreklewetz, associé chez Millar Kreklewetz LLP, à Toronto, fait le même constat que Me Kanargelidis : son cabinet s’est mis à recevoir de plus en plus d’appels de clients souhaitant savoir comment réagir aux tarifs.
« En commerce transfrontalier, dit-il, c’est rarement un échange à sens unique. » Il signale que beaucoup d’entreprises importent des marchandises et des matières premières des États-Unis pour fabriquer ici des produits qu’elles exportent ensuite chez nos voisins du Sud.
« Elles sont donc touchées par les tarifs de Trump sur leurs exportations aux États-Unis avec en plus les contre-tarifs canadiens sur leurs importations au Canada. Ces entreprises sont frappées des deux côtés de la frontière. »
Me Kanargelidis estime que beaucoup de ses clients logent à la même enseigne et que « ça les touche de plein fouet ». Ils recherchent des moyens de limiter les impacts.
« Par exemple, dit-il, certains songent à la relocalisation. Certaines sociétés qui importent des composantes au Canada et y fabriquent leur produit fini pour ensuite l’expédier aux États-Unis vont peut-être se mettre à importer leurs matières brutes directement aux États-Unis pour les traiter ou les transformer en produits fabriqués sur place. »
« Autrement dit, elles éviteront d’importer le produit fini du Canada aux États-Unis, s’approvisionneront à l’étranger et importeront les matières brutes directement aux États-Unis; elles éviteront ainsi les tarifs américains sur les importations canadiennes. »
Me Kanargelidis signale toutefois que ce n’est pas une solution réaliste pour les entreprises dont les opérations de fabrication nécessitent beaucoup d’immobilisations.
Max Reed, de Polaris Tax Counsel, à Vancouver, est du même avis. Spécialiste du droit fiscal transfrontalier, il dit qu’essentiellement, cela dépendra du degré de difficulté d’un déménagement des ressources manufacturières.
« Un tel déménagement au Sud serait impossible pour une usine à valeur élevée. »
Si les tarifs continuent, Me Reed s’attend à ce que sa pratique explose, car des entreprises canadiennes vont alors songer à relocaliser aux États-Unis leurs opérations de fabrication, de traitement, etc. Son cabinet ne prodigue pas de conseils sur les tarifs eux-mêmes, mais plutôt sur le fardeau fiscal qu’impliquerait un déménagement du lieu de fabrication et d’exploitation.
« Si votre entreprise déménage ses activités d’assemblage au Sud, vous devez en analyser toutes les conséquences fiscales », résume-t-il.
Bradley Thompson, avocat spécialiste du droit fiscal transfrontalier et associé chez Altro LLP, rapporte que « l’inquiétude est palpable » chez les clients comme dans les cabinets juridiques.
« Tout le monde se prépare à une récession économique ou à des contrecoups dans son industrie. »
« Ce qui inquiète à mon avis, dit-il, c’est que la récession économique pouvant en résulter touchera certainement nos activités. Les tarifs diminuent l’intérêt de faire du commerce transfrontalier. »
Pour l’heure, les clients propriétaires d’immobilisations aux États-Unis signalent d’autres problèmes selon le lieu où se trouvent leurs immobilisations.
« Il se peut que leur voisin parle du 51e État, etc. Ils ressentent l’hostilité », résume Me Thompson.
« On voit donc beaucoup de clients qui mettent en vente leurs immobilisations américaines, que ce soit en raison de la baisse du marché immobilier ou en réaction à ces tensions. »
L’éventualité d’une récession économique inquiète beaucoup Me Kreklewetz. Les tarifs lui donnent beaucoup de travail à court terme, mais il craint une disette à long terme.
« Si ces tarifs persistent, conclut-il, je crois que ce sera comme une bombe atomique sur l’économie : quelque chose que la plupart des Canadiens n’ont jamais vu. »