« Une avancée majeure pour l’ensemble du système judiciaire »
Avec l’adoption du projet de loi C-40, le gouvernement fédéral facilite le renversement des condamnations injustifiées
En octobre, Clarence Woodhouse est sorti libre d’une salle d’audience de Winnipeg – cinq décennies trop tard.
Cinquante ans auparavant, lui et deux autres hommes autochtones avaient été reconnus coupables du meurtre d’un employé de restaurant. Ses deux coaccusés ont été acquittés l’an dernier. Les condamnations reposaient en grande partie sur des déclarations, y compris un aveu signé, faites à des policiers qui parlaient anglais.
La langue maternelle de M. Woodhouse est le salteaux. Même s’il ne parlait que très peu anglais, il n’a pas eu droit aux services d’un interprète durant son procès.
L’homme de 72 ans a passé 12 ans derrière les barreaux avant sa libération conditionnelle. Après l’annulation de la condamnation, le juge en chef Glenn Joyal a présenté ses excuses à M. Woodhouse au nom du système de justice.
« Il n’y a rien que je puisse dire pour vous redonner ces 12 années. », a-t-il dit.
En décembre, le gouvernement fédéral a entrepris de faciliter la correction d’erreurs aussi lourdes de conséquences. Le projet de loi C-40, qui a reçu la sanction royale le 17 décembre, fait passer la responsabilité de réviser les condamnations potentiellement fautives des mains du ministre de la Justice à celles d’une commission indépendante.
Les gens qui réclamaient ce changement croient qu’il pourrait avoir un effet d’entraînement sur tous les éléments du système, des services policiers aux tribunaux… si la politique ne s’en mêle pas.
« C’est une avancée majeure pour l’ensemble du système judiciaire », affirme Me James Lockyer, associé à Lockyer Zaduk Zeeh, et directeur et fondateur d’Innocence Canada, un groupe qui se porte à la défense des personnes condamnées à tort.
« La mise au jour d’un nombre grandissant de ces erreurs judiciaires entraînera une réforme juridique, une réforme systémique. Toutes les personnes concernées, du procès à l’appel, réévalueront leurs méthodes, car elles seront confrontées au nombre important d’échecs des tribunaux d’appel. »
Dans le système actuel, le ministre de la Justice prend les décisions finales au sujet des condamnations potentiellement injustifiées à la lumière des recommandations du Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC) du ministère. Le GRCC examine les demandes de révision de condamnations et les envoie au ministre s’il estime que des éléments ont changé depuis le procès.
Le site Web de Justice Canada indique qu’il « est très peu probable que la demande qui ne fait que répéter les arguments présentés au procès ou en appel et qui n’est pas fondée sur des renseignements nouveaux ou importants soit accueillie. »
En réalité, il est extrêmement rare qu’une déclaration de culpabilité soit revue. En effet, seules 31 révisions de condamnations potentiellement injustifiées ont donné lieu à un renversement de décision au pays entre 1982 et 2024. Durant une période beaucoup plus courte, la commission d’examen des affaires pénales de la Grande-Bretagne – le modèle que suivra la nouvelle Commission canadienne –, a renvoyé plus de 800 cas en cours d’appel.
À ce jour, les ministres canadiens de la Justice n’ont demandé une révision de décision que pour 31 accusés, pour la plupart des hommes blancs, et aucune femme.
La sénatrice Kim Pate, grande défenseuse du projet de loi C-40, juge que l’ancien système n’a pas réussi à remédier aux conséquences de la misogynie et du racisme systémiques envers les femmes, particulièrement les femmes autochtones, qui ont parfois si peu confiance dans le système qu’elles acceptent de négocier leur peine même si elles sont innocentes.
« Je connais deux femmes autochtones qui ont eu droit à un reversement de condamnation pour meurtre et à de nouveaux procès. La Couronne leur a immédiatement proposé de changer leur plaidoyer pour “homicide involontaire”, ce qu’elles ont accepté. », a-t-elle raconté.
« L’une d’entre elles m’a dit : “Peux-tu honnêtement me garantir que si je refuse cette proposition, je ne serai pas condamnée?” Et évidemment, je ne pouvais pas. »
Le projet de loi C-40 substitue le processus de révision ministériel par la Commission de révision des erreurs du système judiciaire, une entité indépendante composée de cinq à neuf commissaires mandatés d’évaluer les demandes de révision, d’enquêter sur les cas et d’exiger un nouveau procès ou de renvoyer le dossier à la cour d’appel concernée s’ils croient qu’une erreur a été commise.
Me Lockyer croit que la nouvelle Commission sera extrêmement occupée pendant une longue période.
« Si l’on se fie à l’expérience des commissions d’autres pays, on pourrait s’attendre à ce qu’il y ait 70 demandes ou plus par année au départ, ce qui devrait toutefois diminuer à environ 20 ou 30 par la suite », explique-t-il.
Certains experts se demandent si la nouvelle Commission a les ressources et le personnel pour assumer une telle charge de travail. Me Tony Paisana de Peck and Company et membre de la Section du droit pénal de l’ABC, a exprimé sa pensée au sujet du projet de loi devant les comités de la Chambre des communes et du Sénat. Selon lui, le gouvernement demande à la Commission de faire beaucoup avec peu de moyens.
« En ce moment, il y a neuf commissaires, dont seulement cinq à temps plein. », a-t-il indiqué.
« Cette Commission aura beaucoup de pain sur la planche, et si l’on souhaite faire savoir que son travail est très important, on utilise peut-être la mauvaise approche en nommant du personnel à temps partiel pour le faire », a-t-il ajouté.
La loi elle-même n’établit pas de seuil de financement référentiel pour la Commission. Les critiques affirment que cela pourrait la rendre vulnérable si les prochains gouvernements n’en voient pas l’utilité. La sénatrice Pate rappelle le démantèlement de la Commission du droit du Canada par les gouvernements précédents et le fait que de nombreux services d’aide juridique provinciaux sont sous-financés.
« Il se peut que le prochain gouvernement ne voie pas d’un aussi bon œil la Commission et sa mission. », a-t-elle affirmé.
« C’est donc une question ouverte : La Commission peut-elle s’attendre à recevoir le financement et le soutien administratif nécessaires? »
Me Paisana et l’ABC soutiennent que la loi doit inclure un nouveau motif d’appel, un « verdict risqué », pour les situations où, comme l’a indiqué Me Kent Roach de la Faculté de droit de l’Université de Toronto, « la cour d’appel n’est pas en mesure de relever une erreur judiciaire précise, mais n’est pas à l’aise avec la condamnation ».
Selon Me Lockyer, la norme d’appel actuelle est le verdict déraisonnable, ce qui place la barre extrêmement basse pour la poursuite.
« Ce n’est pas une norme mise en place pour éviter les condamnations injustifiées. C’est un critère juridique qui vise à déterminer s’il y avait une preuve, aussi infime soit-elle, pour établir la culpabilité lors du procès », précise-t-il.
Et d’ajouter : « Les cours d’appel doivent être en mesure de dire qu’elles ont des doutes. Et si c’est le cas, elles doivent pouvoir annuler les verdicts de culpabilité. »
Me Roach souligne que la Commission n’aura aucun pouvoir de révision des peines ni d’accès légal aux renseignements auxquels pourraient s’appliquer les revendications de secret professionnel de l’avocat.
Il ajoute que cela pourrait devenir problématique avec le temps.
« Essentiellement, la Commission a le même pouvoir qu’une commission d’enquête publique; il pourrait donc y avoir des revendications de secret professionnel. La commission du Royaume-Uni a accès aux renseignements pouvant faire l’objet de telles revendications, mais la loi canadienne ne s’exprime pas sur le sujet. »
La sénatrice Pate soutient également que la Commission devrait être composée d’un nombre fixe de commissaires autochtones et noirs pour comprendre le contexte raciste entourant tant de condamnations injustifiées.
Toutes ces critiques sont légitimes selon Me Lockyer, mais omettent de tenir compte de l’effet transformateur que pourrait avoir le travail de la Commission sur le système de justice en éduquant le public sur le caractère fréquent des condamnations injustifiées.
Le projet de loi C-40 mandate la Commission de proposer des changements de politiques et de publier des rapports annuels sur son travail, y compris des données démographiques. Avec la publicité générée par la révision de verdicts, la pression pourrait s’intensifier pour qu’il y ait des réformes juridiques diminuant le risque de condamnation injustifiée.
Toujours selon Me Lockyer, les gens ont tendance à présumer que si une personne passe par le processus d’appel, elle ne peut pas être condamnée à tort.
« Mais ça arrive; David Milgaard est passé par le système d’appel et il n’a quand même pas obtenu justice. »