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Le principal tribunal de l’Ontario affirme que l’action climatique des gouvernements est assujettie à la Charte

Décision unanime montre clairement que la simple promulgation d’une loi sur le climat ne suffit pas; peut exercer une incidence sur les efforts politiques visant à annuler des mesures existantes

Seven youth applicants
Photo d’Ecojustice par Tilly Nelson, Kendra Martyn et Kira Evenson

Une décision judiciaire concluant que l’action climatique de l’Ontario est assujettie à la Charte des droits et libertés pourrait entraîner des répercussions sur les partis politiques fédéraux qui cherchent à annuler les mesures fédérales existantes de lutte contre les changements climatiques.

Le 17 octobre 2024, la Cour d’appel de l’Ontario s’est prononcée en faveur d’une poursuite liée à l’action climatique qu’intentent des jeunes contre le gouvernement provincial, soutenant que la décision d’abolir le programme de tarification du carbone de la province avec la Loi de 2018 annulant le programme de plafonnement et d’échange et de réduire la cible climatique de 2030 viole les droits garantis par les articles 7 et 15 de la Charte.

La cour a rejeté l’argument de l’Ontario selon lequel son action climatique n’est pas assujettie à la Charte. Bien que cet enjeu ait été soulevé dans d’autres affaires de justiciabilité et de requêtes en radiation, cette « décision historique » est la première où un tribunal se prononce relativement à un dossier complet sur la preuve et affirme que le programme et l’action d’un gouvernement dans la lutte contre les changements climatiques sont assujettis à la Charte, dit Me Fraser Thomson d’Ecojustice, qui soutient les sept jeunes demandeurs, avec l’appui de Stockwoods LLP, dans l’affaire Mathur v. Ontario.

Dans sa décision unanime, la cour indique sans équivoque qu’il ne s’agit pas d’une affaire de droits positifs, puisque la demande ne vise pas à imposer à la province de nouvelles obligations positives en matière d’action climatique.

[Traduction] « En promulguant la Loi de 2018 annulant le programme de plafonnement et d’échange, l’Ontario a volontairement assumé une obligation législative positive de lutter contre les changements climatiques et de produire un plan et une cible à cette fin, a dit la Cour. L’Ontario avait donc l’obligation de produire un plan et une cible conforme à la Charte. »

Nick Daube, avocat-conseil chez Resilient LLP, souligne que cela « est très important » venant du tribunal supérieur de la province, et que les effets d’entraînement se feront sentir au-delà de l’Ontario.

« De toute évidence, il y a beaucoup de choses qui évoluent politiquement en ce moment », explique Me Daube, qui a été directeur des politiques auprès du ministre de l’Environnement et du Changement climatique de l’Ontario pendant la mise en œuvre du premier régime de tarification du carbone de la province.

« Donc, si l’objectif (des partis fédéraux) est de rester dans le domaine climatique, mais de restreindre certaines mesures que les libéraux ont mises en place, je pense que des cas comme celui-ci ne feront qu’entraîner de plus en plus de litiges. »

Aussi, bien que l’abolition de la taxe fédérale sur le carbone ne soit possiblement pas si simple à la lumière de cette décision, Me Daube est de l’avis qu’elle va au-delà de cela et qu’elle inclut des règlements sur l’énergie propre, un plafond sur les émissions de pétrole et de gaz, des taxonomies climatiques et des divulgations climatiques.

« Compte tenu de la quantité d’éléments pour lesquels le gouvernement fédéral a entamé un processus, on peut dire qu’il y a un certain engagement de sa part. Pour tout nouveau gouvernement, il sera politiquement ardu de tout laisser tomber, dit-il. Des décisions comme celle-ci compliquent réellement certains des enjeux politiques auxquels les partis d’opposition peuvent être confrontés en ce moment. »

L’affaire Mathur a été lancée en 2019. Elle a été entendue par la Cour supérieure de l’Ontario il y a deux ans, qui a rejeté la demande au printemps 2023. L’appel de cette décision à un tribunal inférieur a eu lieu en janvier dernier. Les trois juges de la Cour d’appel de l’Ontario ont renvoyé l’affaire à la Cour supérieure pour un nouvel examen.

Bien que l’affaire soit loin d’être réglée, la conclusion de la Cour d’appel pourrait servir à d’autres personnes dans leurs efforts pour tenir les gouvernements d’autres régions du pays responsables de l’action climatique, ou de l’absence d’action climatique.

« Cela sert d’avertissement à tous les gouvernements et leur montre qu’ils ne peuvent pas continuer à aggraver la crise climatique sans risquer des poursuites judiciaires semblables en vertu de la Charte », dit Me Thomson.

Il fait remarquer que, depuis que le groupe de jeunes a lancé l’affaire, l’Ontario s’y est opposée, soutenant qu’elle n’était pas justiciable, qu’il s’agissait d’une affaire de droits positifs et qu’il n’y avait pas de recours possible. Un à un, ces obstacles juridiques sont tombés.

« C’est un moment important pour la justice climatique et un moment important pour la responsabilité du gouvernement. »

Christie McLeod, juriste du groupe de représentation de Miller Thomson à Vancouver et directrice de Lawyers for Climate Justice, est du même avis.

Elle souligne les arguments de l’Ontario selon lesquels ses émissions sont sans importance, son objectif climatique est dénué de sens et il n’a pas l’obligation de se conformer à un objectif établi, ce que la Cour supérieure de l’Ontario et la Cour d’appel ont rejeté.

« C’est vraiment important parce que le Canada établit ses cibles d’émissions, sans être en mesure de les atteindre, depuis que je suis toute petite et même avant la naissance de l’un ou l’autre des demandeurs de cette affaire », dit Me McLeod.

Il est également important que la Cour d’appel ait évoqué le rejet par le tribunal inférieur de l’affirmation de l’Ontario selon laquelle sa cible et sa mesure législative sur le climat n’ont pas causé ou aggravé les changements climatiques, reconnaissant que les émissions transcendent les frontières.

« L’argument de causalité a toujours été un gros obstacle, croit-elle. Dans le cas présent, les deux tribunaux ont déclaré que les émissions de chaque province contribuent aux changements climatiques et que le défaut de l’Ontario de fixer une cible plus rigoureuse contribue à l’augmentation du risque de décès et nuit à la sécurité des gens. »

Dans une déclaration, un porte-parole du procureur général de l’Ontario dit que la Cour d’appel n’a pris aucune décision sur la constitutionnalité du plan ou de la cible de l’Ontario en matière de changements climatiques.

« L’Ontario est un chef de file dans la lutte contre les changements climatiques, 86 % des réductions totales des émissions au Canada étant attribuées aux efforts de notre province, a écrit Jack Fazzari, attaché de presse. Nous sommes sur la bonne voie pour atteindre les cibles de réduction des émissions et nous continuerons de miser sur notre succès en veillant à ce que l’Ontario demeure un chef de file mondial. »

L’affaire Mathur fait partie d’une vague croissante de litiges climatiques intentées sur le plan mondial des dernières années. Me Daube note que les poursuites climatiques diffèrent des efforts juridiques dans d’autres domaines, car elles se déroulent dans un contexte plus large, avec des enseignements importants transmis d’un territoire de compétence à l’autre. Les cas sont étayés par la science, qui est également internationale et, à ce stade, irréfutable.

Dans de nombreux cas, ce sont des jeunes qui mettent en cause les échecs du gouvernement à réduire les émissions et à limiter le réchauffement climatique.

« Je pense qu’il est important de le reconnaître, dit Me McLeod. C’est vraiment gênant que des jeunes aient été contraints à intenter une poursuite en tant qu’enfant ou jeune adulte, surtout parce qu’il y a un consensus scientifique depuis plusieurs décennies maintenant selon lequel notre monde se réchauffe en raison de l’action humaine. Nous devrions les remercier pour ce qu’ils font. »

Me Thomson dit que leurs clients s’imposent en tant que leaders du climat.

« Ils ont montré à quel point la voix des jeunes est cruciale pour faire avancer la lutte contre les changements climatiques, dit-il. En fin de compte, les jeunes ont le plus à perdre d’un monde plongé dans le chaos climatique, et ils le savent. Ils connaissent la science, ils la voient dans leurs collectivités et dans les conséquences qui se font sentir. Ils apportent de l’espoir à ce combat parce qu’ils savent que c’est un combat qui déterminera leur avenir. Ils sont habilités pour agir, et ils croient pouvoir gagner. »

Quant au moment où les choses pourraient progresser, Me Thomson dit espérer que cela se fasse le plus tôt possible.

« Nous sommes dans une situation d’urgence climatique et nous n’avons pas de temps à perdre. »