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Retour aux négociations

La liste des objectifs du Canada pour un accord commercial avec l’Indonésie révèle ses efforts pour renouer des liens avec le monde, même s’ils sont très modestes.

Person holding Indonesian flag in business district

La belle époque des accords commerciaux multipartites n’est pas tout à fait terminée, mais perd de son lustre. Bien que les pays continuent à aspirer à la libéralisation du commerce, la tendance semble pencher vers des négociations en plus petits groupes, voire des accords individuels entre deux parties.

Le Cycle de Doha, inauguré en 2001, continue à piétiner. La présidence de Donald Trump a forcé une renégociation à haut risque de l’ALENA qui s’est traduite par de modestes changements alors que son dédain affiché pour les concessions faites lors de négociations commerciales a jeté une ombre sur l’OMC et sur tout le concept de multilatéralisme.

La pandémie n’a pas non plus arrangé les choses. L’autosuffisance est maintenant en vogue dans maintes capitales commerciales; une réaction aux lacunes des chaînes d’approvisionnement révélées par la COVID-19.

« Tout cela étaye l’opinion exprimée dans les sphères fédérales selon laquelle si le Canada veut appuyer ses secteurs commerciaux, il devra le faire seul », dit Wendy Wagner, associée au cabinet Gowling WLG.

Le Canada avance à l’aveugle vers un possible accord commercial avec l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) tout en explorant les possibilités de conclure un accord de partenariat économique global (APEG) avec l’Indonésie qui est membre de l’ANASE. L’an dernier, Affaires mondiales Canada a publié un appel de propositions à l’égard d’un APGE entre le Canada et l’Indonésie.

L’Association du Barreau canadien a répondu avec une liste brève mais ambitieuse d’objectifs à poursuivre dans le contexte des pourparlers avec Jakarta. Un grand nombre des propositions correspondent au genre que l’on pourrait s’attendre à voir apparaître alors que le Canada fait des efforts pour collaborer plus étroitement avec les acteurs de la plus vaste économie de l’Asie du Sud-Est.

L’Indonésie a fait bien du chemin depuis le « socialisme dirigé » des années 1950 et 1960. Toutefois, il a encore des antécédents de recours à des barrières non tarifaires pour protéger ses industries nationales. Le mémoire de l’ABC (disponible uniquement en anglais, toutes les citations qui en sont tirées sont des traductions) exhorte à un « examen des barrières tarifaires et non tarifaires axé sur l’industrie » dans le cadre des pourparlers avec l’Indonésie; examen portant sur les restrictions à l’importation, les taxes sur les produits de luxe, les limitations imposées aux investissements étrangers.

Les entreprises d’État ont une présence particulièrement importante dans l’économie indonésienne. Le document de l’ABC recommande au Canada d’inclure un chapitre distinct sur les entreprises d’État dans l’accord final « afin de garantir l’existence de limites appropriées à la capacité de l’État à fausser les échanges ou à nuire aux investissements […] ».

L’ABC suggère en outre qu’y soit inséré un article sur le droit de la concurrence similaire au chapitre 16 de l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et recommande qu’il soit exclu des mécanismes de règlement des différends entre États et entre investisseurs et État. Elle souhaite que le gouvernement fédéral cherche à obtenir des exonérations des règles sur les pourcentages des partenaires locaux qui restreignent l’investissement étranger. Elle exhorte à l’adoption d’une approche de « liste négative » pour identifier les professions auxquelles les dispositions sur la mobilité mondiale ne s’appliqueront pas, avec un accent tout particulier sur le fait d’autoriser les sociétés canadiennes à pénétrer dans le secteur indonésien de l’éducation.

Tout cela est relativement prévisible. Cependant, l’ABC ajoute quelques exigences plutôt imprévisibles; des points qui vont au-delà des résultats financiers. Elle exhorte à l’adoption du chapitre sur l’environnement qui figure dans l’accord PTPGP comme modèle pour la protection environnementale et la responsabilité sociale d’entreprise dans toute entente bilatérale avec l’Indonésie. Elle exhorte à une analyse sexospécifique de tout APEG avec l’Indonésie. Elle cite le risque de « piètres règlements en matière de santé et de sécurité, les faibles taux de rémunération et le travail forcé des enfants » dans les entreprises indonésiennes et affirme que le Canada devrait s’assurer que les normes internationales en matière de travail « visant à éliminer le travail des enfants font partie intégrante de tout accord ».

Les éléments connexes aux droits de la personne présents dans la proposition de l’ABC n’ont pas été inclus au seul titre de l’étalage de vertu. Ils sont là pour rappeler l’obligation à la prudence et à la vigilance des sociétés canadiennes qui dépendent de chaînes d’approvisionnement et de main-d’œuvre mondiales car les conséquences d’un manque de discernement peuvent se traduire par une mauvaise réputation, des campagnes de désinvestissement et l’effondrement des prix des actions.

« La nécessité de s’assurer que les chaînes d’approvisionnement à l’étranger demeurent propres est un problème qui se propage de plus en plus rapidement à toutes les sociétés reposant sur des chaînes d’approvisionnement à l’étranger », dit Ke-Jia Chong, avocate principale dans l’entreprise BroadGrain Commodities, qui a contribué à la rédaction du document de l’ABC.

« Une extrême prudence est de mise à cet égard; à l’égard de la manière de faire face au risque de travail forcé, pour toute société ayant des chaînes d’approvisionnement internationales. C’est un problème dans un certain nombre de régions en développement. Les accords de libre-échange sont des accords de nature générale, mais ils fixent néanmoins des attentes quant à la législation nationale. »

Robert Paterson, professeur à la faculté de droit de l’Université de la Colombie-Britannique, est l’un des meilleurs experts du pays en droit du commerce international. Il déclare douter de la capacité du Canada à influencer la politique indonésienne au moyen d’une relation commerciale bilatérale qui ne pesait que 3,9 milliards de dollars en 2018.

« Je crois que je suis un peu désabusé, dit-il. Les accords commerciaux du Canada tendent à être relativement progressistes, mais j’ai toujours eu mes doutes quant à a portée de ces clauses progressistes.

» C’est un pays majoritairement musulman. Ils ne vont pas nécessairement nous écouter en ce qui concerne les droits des personnes gaies, par exemple. Le Canada n’exerce pas vraiment d’influence dans cette région du monde. J’imagine difficilement le gouvernement indonésien s’inquiétant un jour ce qu’en pense le gouvernement canadien. »

Toutefois, les accords commerciaux bilatéraux peuvent parfois préparer le terrain pour de plus vastes ententes. Me Wagner dit qu’elle pense que l’Indonésie pourrait s’entretenir avec Ottawa avec, en vue, une participation régionale plus ouverte.

« Le Canada a pu conclure le PTPGP indépendamment des États-Unis, dit-elle. L’Indonésie a exprimé son intérêt quant à une participation. Il est possible qu’elle considère les pourparlers commerciaux avec le Canada comme un marchepied vers une adhésion au PTPGP. »