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Combler les lacunes en droit des Autochtones

Il faut veiller à ce que nos lois publiées répondent aux besoins des Autochtones.

Gap in Indigenous law concept

Les technologies des données et leur effet transformateur font beaucoup parler, tant et si bien qu’on peut facilement croire que l’accessibilité du contenu juridique en ligne est chose faite. Il reste toutefois d’importantes lacunes, surtout concernant le droit autochtone et le droit des Autochtones.

Or, il importe de bien distinguer ces deux concepts. Le premier touche la common law s’appliquant principalement aux peuples autochtones. Le second englobe l’ensemble du droit établi par les Autochtones eux-mêmes. Idéalement, les deux seraient accessibles à tous, mais il n’en est pas toujours ainsi, en particulier pour le droit des Autochtones.

Les années de 1927 à 1951 furent une époque cruciale : les avocats n’avaient pas le droit d’accepter d’argent pour représenter un Autochtone. Amy Swiffen (Ph. D.), professeure agrégée à l’Université Concordia, a récemment obtenu une subvention quinquennale pour étudier cette période et recenser les activités juridiques ayant eu cours à l’époque.

Cette dernière rappelle qu’au début du 20e siècle, les groupes autochtones se faisaient de plus en plus actifs devant les tribunaux, particulièrement pour des questions de revendications territoriales. En outre, on les voyait présenter des requêtes auprès d’instances internationales, comme la Société des Nations, pour des violations de traités coloniaux. Ces événements ayant suscité l’embarras, le gouvernement fédéral les a étouffés par action législative.

Résultat : la jurisprudence publiée datant de ces années-là est rare. Cela n’empêche pas Mme Swiffen d’émettre comme hypothèse que des actions en justice étaient bel et bien en instance à l’époque, mais comme les avocats acceptant les dossiers étaient peu nombreux, il n’y a pas eu d’appels intentés, donc très peu de jurisprudence. Avec l’aide de ses collègues, Mme Swiffen compte étudier la jurisprudence nous étant parvenue et creuser les dossiers judiciaires d’époque se trouvant dans les archives provinciales pour y trouver des documents faisant valoir les droits des Autochtones et contenant les décisions des juges.

Le projet consiste à étudier les preuves et les instances autochtones de l’époque et d’après. L’équipe de recherche souhaite brosser un portrait plus complet du droit historique pour la recherche et l’analyse tout en procurant des ressources aux communautés autochtones afin d’améliorer leur connaissance de leur propre histoire et de garder l’œil sur les litiges futurs.

Mme Swiffen est d’avis que l’interdiction imposée à la représentation juridique a eu de fortes répercussions sur le développement du droit constitutionnel au Canada. « D’une certaine façon, beaucoup connaissent cette interdiction, mais personne ne l’a vraiment analysée à ce jour, explique-t-elle. Il est intéressant d’imaginer où nous serions aujourd’hui sans cela. »

Mener des recherches historiques sur le droit des Autochtones comporte d’importantes implications pour le présent. Toutefois, il existe aussi des lacunes dans l’accès aux lois actuellement en passe d’être adoptées. Les gouvernements des Premières Nations sont habilités à adopter des lois dans certains domaines, lois qui sont souvent impossibles de consulter et absentes des ressources juridiques publiées sur les plateformes comme CanLII. Les lois promulguées en application de la Loi sur la gestion financière des premières nations sont publiées dans la Gazette des premières nations, et d’autres lois adoptées par des gouvernements autochtones peuvent être incluses à la discrétion de la Première Nation. Cependant, ces ressources ne sont pas connues de l’ensemble du public.

Maggie Wente, avocate chez Olthuis Kleer Townshend LLP à Toronto, est préoccupée par l’accès aux lois des Autochtones, surtout celles touchant la protection de l’enfance. Même si ces lois sont consultées chaque jour par les personnes travaillant avec les gouvernements des Premières Nations, elles ne sont pas faciles à trouver, faute d’être publiées dans les mêmes recueils que les lois fédérales, provinciales et territoriales.

Me Wente soutient qu’il serait logique de les publier aux mêmes endroits que les autres lois. Cela assurerait une meilleure application et faciliterait l’accès pour les personnes ayant besoin de consulter une loi, qu’elles soient parties à une instance, juristes ou mandataires d’un tribunal. Il est aussi important de reconnaître le statut et la valeur du droit des Autochtones, souligne-t-elle.

Il est essentiel pour nous de reconnaître que ce droit a force de loi : « Ces lois sont importantes pour chaque enfant et pour le système judiciaire, insiste Me Wente. Du point de vue de la doctrine, il importe de leur reconnaître la même valeur que les lois promulguées par toute autre instance gouvernementale. »

De nombreux domaines de la recherche en droit, tels que le droit de la propriété intellectuelle, n’intègrent pas adéquatement les traditions orales des Autochtones. Il est nécessaire d’instaurer de nouvelles méthodes de publication et d’exploration de l’information en collaboration avec les Autochtones si nous voulons efficacement incorporer ces éléments aux processus juridiques, surtout en dehors des collectivités locales.

Les projets susmentionnés représentent seulement une partie des travaux sur l’harmonisation du droit publié au Canada avec les besoins et les droits des Autochtones. La Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, CanLII, la Gazette des premières nations et d’autres organisations travaillent énergiquement avec les communautés autochtones pour améliorer l’accès à l’information juridique et mieux combler et refléter leurs besoins et leurs traditions.