Défier les traditions
De jeunes cabinets audacieux ébranlent le marché juridique australien : regard sur la montée des structures d’entreprise alternatives.
Le secteur juridique australien est en ébullition, dans un contexte où les cabinets tous services traditionnels jouent des coudes au milieu des remous causés par leurs nouveaux concurrents, de jeunes cabinets nouveau genre.
Ces nouveaux venus changent la donne en proposant un modèle d’affaires qui est aux antipodes du modèle traditionnel.
Nés des suites de la crise financière mondiale de 2007 2008, ils adhèrent à un credo de transparence et de facturation fondée sur la valeur reçue; ils attirent ainsi instantanément l’attention des clients aux finances serrées, peu attirés par les cabinets traditionnels, qui carburent aux frais généraux et aux honoraires prohibitifs.
Les structures d’entreprise alternatives, en particulier les cabinets d’avocats constitués en sociétés par actions, étaient quasi inexistantes pendant le boom qui a précédé la crise. Aujourd’hui, ces nouveaux cabinets sont plus de deux mille, et ils représentent le cinquième des cabinets australiens.
De nombreux associés principaux et avocats spécialisés se sont joints à ces nouvelles entités ou ont fondé les leurs, drainant la clientèle et, de plus en plus, des pans entiers de pratique des mégacabinets.
À moins d’avoir besoin d’une armée d’avocats ou d’un cabinet au rayonnement international, le recours un cabinet spécialisé relève du bon sens commercial pour le client, explique John Chisholm, consultant reconnu du secteur juridique et ancien PDG de Middletons, rebaptisée K&L Gates.
« Les nouvelles structures d’entreprise ont pris beaucoup de place en Australie, explique-t-il, et, pour bien des gens, la taille ne veut plus rien dire. Ces nouveaux cabinets passaient encore inaperçus il y a trois ou quatre ans, et maintenant, tout le monde en parle. »
« Aujourd’hui, les cabinets les plus prospères sont souvent de jeunes entreprises qui se positionnent sur un créneau, laissant le marché juger de la validité de leur modèle d’affaires. Rien qu’à voir leurs profits, on en a les larmes aux yeux. Presque chaque semaine voit l’arrivée d’un nouveau modèle, et les plus brillants diplômés ne sont plus attirés par les cabinets traditionnels. »
Une affinité naturelle
Issus d’une économie favorisant la mobilité, les nouveaux « cabinets boutiques » conviennent tout naturellement aux professionnels de l’ère techno qui ne veulent pas passer leur vie dans un bureau.
Ces avocats travaillent dans des espaces virtuels et flexibles sans associés, horaires imposés, feuilles de temps ni salles de réunion. Ils utilisent des technologies de pointe pour faire rouler l’entreprise et offrir aux clients ce qu’ils veulent, comme, où et quand ils le veulent, avec à la clé une facture sur mesure.
Cette nouvelle approche pousse les avocats à sortir des sentiers battus pour trouver les meilleures solutions et miser sur les relations plutôt que sur les heures facturables.
Ben Krasnostein, conseiller juridique spécial à Bespoke Law, croit que la certitude quant aux frais à payer est la première raison pour laquelle de nouveaux clients se sont tournés vers son cabinet, avant qu’ils découvrent les incroyables gains en efficacité créés par les avocats « à l’interne » et qu’ils apprennent à bien connaître l’entreprise.
D’après lui, la facturation horaire « entraîne de l’incertitude, nuit à la transparence et oppose les intérêts de l’avocat et ceux du client. Ce mode de facturation ne contribue en rien à la culture que nous voulons bâtir; nos avocats doivent innover et, parfois, faire preuve du même esprit d’entreprise que nos clients. »
« C’est en répondant aux besoins permanents des clients et en leur offrant un service indispensable que nous assurons la pérennité de l’entreprise. La réduction des frais généraux, c’est la partie facile. Les liens que nous nouons avec les clients se renforcent avec le temps à mesure que nous travaillons aux mêmes objectifs, sans nous laisser distraire par la rémunération. »
La Legal Profession Amendment (Incorporated Legal Practices) Act, adoptée en Nouvelle-Galles du Sud en 2000 et utilisée comme modèle ailleurs, a ouvert la porte à de nouvelles structures d’entreprises, comme les cabinets d’avocats constitués en société par actions. Toutefois, très peu d’avocats ont saisi l’occasion de faire œuvre de pionniers tant que les modèles traditionnels demeuraient extrêmement profitables.
Cependant, une foule de nouvelles idées ont vu le jour depuis 2007, quand Slater & Gordon est devenue le premier cabinet d’avocat coté en bourse grâce à des capitaux externes lui ayant permis d’acquérir de plus petits cabinets.
Des services particuliers et uniques
Les grands cabinets d’avocats se sont toujours vantés de pouvoir offrir tous les types de services, en tout temps.
Or les nouveaux cabinets offrent des services particuliers et uniques et sont souvent financés par des non-avocats externes, de plus en plus tentés par leurs énormes profits plutôt que par les vestiges du marché abandonné par ces cabinets.
Ces jeunes entreprises n’acceptent que des mandats spécialisés et offrent soit des solutions rapides grâce à un genre de triage, soit des relations à long terme.
Quelques exemples :
• AdventBalance, un cabinet de Melbourne, utilise un modèle d’« internalisation » pour former une équipe de travail temporaire dans l’établissement même du client.
• À Keypoint Law, à Sydney, les avocats conservent 70 % des frais de mémoire et décident eux-mêmes du mode de facturation des clients.
• Bespoke Law fournit des services de « juristes d’entreprise externalisés » et d’«employés détachés à l’interne».
• Le nouveau venu Hive Legal engage des avocats spécialistes chevronnés en gestion de projet qui peuvent travailler avec des avocats à l’interne ou réunir une équipe à cette fin.
« Ce qui compte le plus, c’est de comprendre nos clients et ce qui les intéresse sur le plan commercial et juridique, puis d’allouer les bonnes ressources aux bons endroits », affirme Jodie Baker, directrice générale à Hive Legal.
Selon elle, la technologie est le plus important facteur de changement dans le secteur, et c’est le fondement du modèle « travailler partout, en tout temps » de Hive, où les avocats travaillent sur des tablettes connectées à un réseau sans fil et à un nuage.
De même, Krasnostein indique que Bespoke a beaucoup investi pour développer les bonnes technologies, car « choisies avec soin et bien intégrées, elles accroissent de beaucoup l’efficacité ».
L’Australie n’a pas établi un régime de permis distinct pour ces nouvelles structures d’entreprise, comme l’a fait le Royaume-Uni; chaque directeur doit respecter les normes et obligations professionnelles et offrir des services juridiques appropriés. À ce jour, les autorités de réglementation n’ont relevé que peu de problèmes.
Dernièrement, des cabinets comme Hive sont retournés à la source, espérant collaborer avec des mégacabinets à certains projets; par exemple, Bespoke a recours aux services d’avocats basés en Australie et connaissant le Royaume-Uni pour travailler à des dossiers britanniques.
Chisholm croit que le marché juridique canadien sera le prochain terreau fertile des jeunes cabinets. Il suggère aux avocats qui tentent l’aventure de miser sur la souplesse, car « les besoins et les attentes des clients changent rapidement, et les clients s’attendent à ce que leurs fournisseurs suivent ».
Toutefois, ces révolutionnaires australiens sentent déjà une pression croissante, plusieurs cabinets étrangers leur faisant désormais concurrence; certaines grandes entreprises réduisent leurs frais généraux et leur nombre d’associés (une centaine de personnes ont été remerciées l’an dernier), offrant des rabais pour certains services comme la communication préalable, et se spécialisant encore davantage.
Il reste que dans l’ensemble, le modèle traditionnel est encore bien en place, et les plus grands joueurs se disputent encore le décile supérieur du marché. D’après un sondage de l’Australasian Legal Practice Management Association mené auprès de 122 grands cabinets et publié en juillet, 80 % des clients réclament des modes de facturation non traditionnels, mais seuls 18 % des cabinets en offrent.