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Faire appel à un « coach »

Les professionnels du droit ont plus que jamais besoin de soutien. Un bon accompagnateur peut les aider à s'épanouir.

Tony Robbins

J’étais directeur général d’un petit cabinet lors de l’éclosion de la COVID-19. La grande démission y a fait suite. Les taux d’attrition étaient en hausse. Les attentes en matière de travail hybride aussi. Les demandes salariales frisaient la folie. L’esprit du siècle s’est déplacé vers la thérapie, l’expression et l’accomplissement de soi. On aurait dit que tout le monde tenait à avoir une discussion avec moi et à épuiser ma capacité à aider les autres. J’ai aussi dû gérer la recrudescence de clients, surveiller les indicateurs de rendements clés de mon cabinet, m’assurer que mes réflexes juridiques restaient aiguisés et aider de jeunes juristes à se développer, peu importe ce qui se passait dans ma vie personnelle. La peur et le doute dominaient mes pensées. Je me dirigeais allègrement vers l’épuisement professionnel.

J’ai partagé mes soucis avec une ancienne cliente, une propriétaire d’entreprise avisée. Elle m’a suggéré de recourir à un coach — ou accompagnateur — professionnel. Elle a dit que ces services faisaient même partie des avantages sociaux offerts à son personnel. Elle m’a juré que cela l’aidait à « surmonter ses peurs » et à « atteindre de nouveaux sommets ». Dans ma tête, je me suis dit : « Un coach, comme Tony Robbins? L’escroc qui prodigue des conseils d’auto-assistance en marchant sur le feu? Pas question. »

Le lendemain, elle m’a envoyé une vidéo de Tony Robbins. La vidéo avait un slogan mémorable, fait sur mesure pour le marché, comme « Libérez-vous des croyances qui vous imposent des limites ». La vignette montrait le gros visage souriant de Tony Robbins, tête baissée, me regardant comme la prochaine victime de ses services d’accompagnement.

Mon cerveau est fait sur mesure pour le doute et le scepticisme. Après tout, je suis avocat en litige de formation et de tempérament. Il n’était pas question que je consacre du temps à un escroc télé-évangéliste, surtout si aucun crédit de formation continue n’y était associé. Les conseils sur l’importance d’exploiter une force intérieure mystique ne sont pas faits pour moi, et s’adressent possiblement à des misérables, ou encore à des gens confus ou irréalistes. Je suis un avocat qui s’efforce de diriger un cabinet.

Mon curseur a survolé le bouton d’archivage, mais une hésitation a germé dans ma tête : ai-je l’esprit si obtus? Peut-être que je possède un pouvoir intérieur insoupçonné à exploiter? Peut-être que j’ai des croyances qui m’imposent des limites? Peut-être que la philosophie de Robbins est pertinente pour le monde pragmatique et rationnel du droit? Les réflexes d’investigation ont pris effet, et j’ai décidé de faire des recherches sur les « services d’accompagnement », de la même façon que je pourrais le faire lors de la réception d’une note juridique.

 

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Les statistiques et les données ont vaincu mon scepticisme. Les entreprises ont longtemps fait état d’un taux de satisfaction élevé représentant près de six fois le retour sur investissement. Depuis 2019, l’industrie des services d’accompagnement elle-même a connu une croissance sans précédent de 54 %. Sans aucun doute, la pandémie a été un accélérateur pour ce genre de service, un peu comme elle m’a poussé à examiner le sujet plus sérieusement.

En effet, la pandémie a bel et bien contribué à créer un essor. La grande démission signifiait qu’un plus grand nombre de personnes s’intéressaient à la réorientation professionnelle et étaient plus sensibles à la santé mentale, et que les services des RH tournaient à plein régime pour tenter de résoudre le problème du taux élevé de désengagement professionnel.

Mais qu’en est-il des juristes et de l’industrie juridique? Quelle valeur les accompagnateurs pourraient-ils apporter à cette tribu pointilleuse? J’ai eu du mal à m’imaginer des juristes prendre les services d’accompagnement au sérieux. Nous sommes des requins, pas des dauphins, non? Nous avons des réflexes « voir-dire » (c.-à-d. débattre de la validité de témoins experts). Nous sommes pratiquement conçus pour voir les accompagnateurs comme des agents de publicité et non comme des professionnels sérieux. Après tout, ce n’est pas une profession réglementée.

Il s’avère que l’avocat grincheux un peu en retard sur son temps, c’était moi. Mes collègues juristes adoptent cette tendance depuis un certain temps. En 2016, le Barreau de l’Ontario a lancé le Réseau d’encadrement de la pratique (REP), reconnaissant que « les avocats et les parajuristes ont des besoins différents à différents moments ». De nombreux cabinets juridiques ont investi pour offrir des services d’accompagnement interne à temps plein au personnel, pas seulement aux membres de la haute direction et aux associés.

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L’accompagnement est la pratique consistant à écouter et à soutenir une personne, puis à lui donner les moyens d’atteindre des objectifs personnels ou professionnels précis en lui offrant une formation et des conseils non directifs. Les services d’accompagnement aident les gens à mieux définir leurs objectifs, proposent des stratégies pour les atteindre, remettent en question les préjugés et font régulièrement le point pour que les clients rendent des comptes au fil du temps. Un soutien personnel sans équivoque, des questions ouvertes ainsi qu’une écoute active et empathique sont les compétences de base essentielles.

Il y a deux types de coach : les accompagnateurs « internes » (c.-à-d. des employés d’un cabinet) et les accompagnateurs « externes » (c.-à-d. des tiers contractuels qui ne font pas partie du cabinet). Les avantages des accompagnateurs internes sont qu’ils ont souvent une meilleure compréhension de la culture organisationnelle, qu’ils ont développé des relations étroites avec les employés, qu’ils sont confrontés — compte tenu de leur proximité — à moins d’obstacles lorsque vient le temps d’accepter les conseils qu’ils prodiguent, et qu’ils ont une plus grande disponibilité. Cependant, ils peuvent aussi avoir des idées préconçues sur la culture de l’organisation et de l’industrie; il peut y avoir un manque réel ou perçu de confidentialité lors d’échanges avec eux et des responsabilités qui peuvent être considérées comme conflictuelles. Finalement, leur exposition à d’autres pratiques organisationnelles et industrielles peut être limitée. Les accompagnateurs externes sont plus objectifs et indépendants, mais les avantages et inconvénients associés à leurs services s’opposent à ceux des accompagnateurs internes.

Il existe différents types de service : accompagnement pour cadres ou pour couples, coachs de vie, en mieux-être, etc. Plusieurs d’entre eux possèdent des diplômes et des certifications dans des domaines connexes (travail social, psychologie), mais ils sont nombreux à ne pas en avoir.

L’accompagnement est une compétence que tout le monde peut développer. Beaucoup de gens au sein d’une organisation pourraient obtenir une formation (comme les paraprofessionnels des ressources humaines, les cadres de la haute direction). Il s’agit d’une compétence utile que peuvent posséder les gestionnaires et les cadres pour renforcer leur leadership, car cela leur permet de veiller à ce que les membres de l’équipe se sentent écoutés tout en leur donnant l’impression de progresser. Les dirigeants peuvent aussi obtenir plus facilement l’adhésion des parties prenantes. Le coaching est un stimulateur de compétences non techniques.

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Alors, votre prochaine réflexion pourrait être : « En quoi les accompagnateurs sont-ils différents des mentors, des gestionnaires, des psychologues, ou même des amis et collègues? » N’y a-t-il pas déjà assez des gens sur qui nous pouvons nous appuyer?

Oui, mais ils ont tous leurs limites.

Tous les gens de mon cabinet ont leur programme personnel. Faire preuve d’ouverture avec eux et montrer une certaine vulnérabilité pourraient jouer contre moi, sans compter de possibles problèmes de gestion de l’image. Quant à eux, les amis et la famille ne peuvent pas s’investir autant que vous dans vos problèmes et ils ont leurs besoins personnels. Le rôle des psychologues est de diagnostiquer les pathologies mentales et d’aborder divers sujets comme les relations avec les parents.

Qu’en est-il des mentors? Le manque de mentorat dans les cabinets constitue l’une des principales raisons du départ d’associés. Le mentorat est utile, mais il a aussi ses limites. Un mentor vous dit quoi faire, tandis qu’un accompagnateur vous guide pour que vous tiriez vos propres conclusions.

La réalité est que les avocats principaux et les associés n’ont souvent pas le temps ou les compétences nécessaires pour encadrer les juristes de leur cabinet. Les compétences requises pour devenir un associé sénior ne sont peut-être pas les mêmes que celles nécessaires pour être un bon mentor. Les mentors peuvent aussi imposer une vision du monde susceptible de freiner ou de restreindre la croissance des juristes.

Par exemple, j’ai eu la chance d’avoir un excellent mentor lorsque je travaillais dans un cabinet national. Il m’a aidé à perfectionner mes réflexes professionnels et m’a fourni des renseignements utiles pour avancer dans ma carrière. Il a mis à profit son expérience professionnelle et sa perspicacité juridique.

Mais il était également influencé par les mêmes présomptions que celles de la culture juridique au sens large du terme. Ancien chef d’un cabinet de litiges commerciaux, il m’a un jour adressé une mise en garde éclairée lorsque j’ai accepté un poste de direction : « Soyez prudent. Les juristes sont des gens ingérables. Ils sont intelligents, calculateurs, sceptiques et doués pour garder des secrets. Leur travail à temps plein consiste à manipuler le pouvoir. »

Sombre, injuste ou tout simplement vraie, c’était une déclaration de valeur qui reflétait sa vision du monde. Cela m’a amené à adopter une croyance dont j’ai eu du mal à me défaire. S’il avait été accompagnateur au lieu de mentor, il m’aurait peut-être poussé à développer ma propre philosophie sur la gestion des juristes, une philosophie potentiellement plus libératrice que j’aurais pu faire mienne.

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Certes, le coaching n’est pas une panacée pour tous les défis de la profession juridique. Les gens qui dépassent les bornes et prodiguent des conseils d’experts sur des sujets dans lesquels ils ne sont pas des spécialistes peuvent être une mauvaise influence. Dans une profession non réglementée, il y aura toujours des personnes qui s’attaqueront aux groupes vulnérables et défavorisés. Ces gens peuvent aboutir dans un groupe sectaire qui les exploite, être séduits par des influenceurs clairvoyants se présentant comme des coachs de vie sur Instagram, et tomber dans le piège d’intrigantes organisations pyramidales. La Federal Trade Commission a d’ailleurs publié page de mise en garde à leur sujet.

Toutefois, la crise de santé mentale chez les juristes n’est pas nouvelle et pourrait ne pas se résorber de sitôt. Nous souffrons d’anxiété près de trois fois plus que la population générale. Les taux d’attrition dans les cabinets juridiques sont environ 50 % plus élevés que la norme. Les juristes ont également des problèmes de consommation d’alcool et d’autres substances dans une proportion considérablement plus élevée que la population générale. Avoir un accompagnateur ou une accompagnatrice externe digne de confiance qui peut aider les employés à décompresser et à se sentir en sécurité peut réduire le risque que des juristes perdent la boussole.

Il est inutile de marcher sur le feu comme Tony Robbins si son style ne trouve tout simplement pas écho en nous. Cependant, j’ai mon propre coach (le hasard a voulu qu’il soit lui aussi avocat), et cela m’a sans doute aidé à accepter le concept de l’accompagnement, qui vaut son pesant d’or.

Il m’a fallu près d’un an et, oui, un épisode d’épuisement professionnel, pour mordre à l’hameçon, même si j’avais utilisé des services thérapeutiques cliniques pendant des décennies par le passé. Cette expérience m’a aidé à réaliser les éléments autolimitatifs du scepticisme qui était profondément enraciné en moi et de mes réflexes épuisants de perfectionnisme autonome. Mon accompagnateur garde un œil sur moi et veille à ce que je reste sur la bonne voie. Bien qu’il fasse partie de la tribu des juristes, il ne me dit pas quoi faire. Il m’aide à composer avec les sentiments ambigus qui m’assaillent et s’assure que je rends des comptes par rapport aux choses que j’ai dit que je ferais.

Plus de 30 % des juristes estiment que leur cabinet ne favorise pas leur bien-être. Ils passent à côté de quelque chose d’énorme s’ils croient que les accompagnateurs ne sont pas un investissement précieux.

Au fur et à mesure que la demande en services d’accompagnement augmentera au sein de l’industrie juridique, la nature de ces services eux-mêmes évoluera probablement. Nous pourrions être témoins de l’émergence de services spécialisés, conçus spécialement pour les juristes et axés sur des domaines comme le renforcement de la résilience, le développement du leadership, la gestion du stress et même la prospection de clientèle pour les juristes en pratique privée. Il pourrait s’agir d’un outil précieux pour contrer l’épuisement professionnel et les troubles de santé mentale, pour aider les cabinets à maintenir leurs employés en poste plus longtemps, pour contribuer à la prestation de services plus efficaces et pour améliorer l’expérience des intervenants.

Pour ma part, je suis certainement mieux placé pour résister aux aléas de la vie, je me sens mieux orienté et j’ai l’impression d’avoir les idées plus claires dans ma vie quotidienne. J’en suis venu à comprendre que j’ai un pouvoir intérieur mystique. Quelque part, Tony Robbins rit.