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L’effort soutenu pour légiférer sur la surveillance judiciaire de l’isolement cellulaire

« Personne ne peut prétendre connaître vraiment une nation, à moins d’avoir vu l’intérieur de ses prisons. » – Nelson Mandela

Une personne est accroupie seule dans l'obscurité.
iStock/Prapat Aowsakorn

Tout détenu ayant été placé en isolement pendant des semaines, des mois, voire des années, se souvient d’avoir tout tenté pour passer le temps.

Souvent, les seules interruptions sont les repas glissés par une fente métallique, une douche, peut-être une promenade rapide ou parfois une rencontre avec un agent de libération conditionnelle, un aîné ou une infirmière.

Les effets de l’isolement sont bien documentés : crises de panique, comportements agressifs, sentiment écrasant de, automutilation, paranoïa et délires.

« Chaque fois que je demandais de l’aide, on prolongeait mon isolement. »

« Certaines personnes, en particulier les gardiens, pensent que l’isolement n’a pas d’incidence sur les détenus, mais j’ai perdu la tête quand j’étais au trou », raconte Tona Mills, 53 ans, aujourd’hui en soins palliatifs à Halifax.

« Je crains que le cancer dont je suis atteinte aujourd’hui soit en partie lié à la longue inactivité imposée par mon isolement. »

Comme de nombreuses femmes autochtones, elle attribue son séjour en prison, dont la majeure partie d’une décennie passée en isolement, aux traumatismes d’abus ayant marqué son enfance et son adolescence, et qui ont profondément affecté sa santé mentale. L’une de ses premières arrestations a eu lieu parce qu’elle s’était introduite par effraction dans une école pour échapper à un viol.

Lorsqu’elle a finalement eu accès à des soins en santé mentale, on lui a diagnostiqué une schizophrénie induite par l’isolement.

« Chaque fois que je demandais de l’aide, on prolongeait mon isolement », dit-elle.

« Plusieurs amis sont morts de la même façon. Je pense que ce problème touche bien des gens, mais puisqu’ils meurent après leur libération, personne n’y porte attention. »

La plus récente initiative en faveur de la surveillance

En octobre, le Sénat a voté pour renvoyer la Loi de Tona, le projet de loi S-205, en comité pour examen. Il s’agit de la plus récente initiative de la Chambre haute en une décennie pour légiférer sur la surveillance judiciaire de l’isolement.

Le projet de loi modifierait la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition afin d’exiger une ordonnance de la Cour supérieure pour maintenir une personne en isolement pendant plus de 48 heures.

Il exigerait également le transfert à l’hôpital de toute personne souffrant d’un trouble de santé mentale incapacitant et la prestation de soutien accru aux groupes marginalisés et minoritaires.

Une version antérieure du projet de loi a atteint la Chambre des communes, mais est morte au Feuilleton lors de la prorogation du Parlement en janvier.

L’isolement cellulaire se définit généralement comme le fait de passer 22 heures ou plus par jour seul dans une cellule sans contact humain significatif. Selon les normes internationales, y compris les Règles Nelson Mandela de l’Organisation des Nations unies, de telles conditions équivalent à de la torture si elles sont maintenues pendant plus de 15 jours consécutifs. 

En 2019, les cours d’appel de la Colombie-Britannique et de l’Ontario ont conclu que le recours à l’isolement préventif par Service correctionnel Canada (SCC) violait les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le gouvernement libéral a répondu avec le projet de loi C-83, qui visait à remplacer les dispositions qui autorisent le recours à l’isolement préventif par des « unités d’intervention structurées » ou UIS.

Cette approche, perçue comme novatrice, permettait au moins quatre heures par jour hors cellule d’isolement, dont deux avec un « contact humain significatif ».

Aucune justification judiciaire requise

La sénatrice Kim Pate, qui a parrainé le projet de loi S-205, souligne ce que les critiques considèrent comme une lacune cruciale de la réforme de 2019 : le gouvernement a rejeté une modification du Sénat qui aurait forcé SCC à justifier devant les tribunaux tout isolement prolongé.

Au lieu de cela, le gouvernement a mis sur pied un comité consultatif sur la mise en œuvre des UIS, dont le mandat a pris fin cinq ans après une série de rapports critiques se fondant sur les propres statistiques de SCC.

Son rapport final, publié en décembre passé, tirait la conclusion suivante : « Le tableau brossé par les données montre systématiquement que la pratique de l’isolement cellulaire se poursuit et que les groupes vulnérables semblent particulièrement à risque d’en subir les effets négatifs ».

Ces groupes comprennent les Autochtones et les Noirs, ainsi que les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale.

De 2020 à 2024, les rapports du comité ont révélé à maintes reprises que des centaines de séjours dans des UIS avaient duré 61 jours ou plus, dont 434 en 2023 et environ 534 en 2024.

Les statistiques ne reflètent pas les « séjours fractionnés », c’est-à-dire les cas où une personne est brièvement retirée d’une UIS avant d’y être réadmise, ce qui remet le compteur à zéro.

Environ 40 % des personnes placées en UIS y sont restées plus d’un mois, ce qui n’est pas différent des taux observés sous l’ancien régime d’isolement préventif, conclut le comité.

Besoins en santé mentale relégués aux oubliettes

Le comité a également signalé que, parmi les détenus ayant séjourné à plusieurs reprises dans une UIS, environ la moitié des personnes qui avaient des besoins importants et dont la santé mentale se détériorait ont été transférées d’une UIS à l’autre partout au pays.

« La perturbation de la programmation et de la stabilité que cela crée pour les personnes qui, clairement, ont besoin de stabilité et de programmation est alarmante. »

De plus, « les données de SCC démontrent que de nombreux détenus sont loin de bénéficier du minimum prévu, soit de quatre heures par jour à l’extérieur de leur cellule », conclut le comité.

Il qualifie les réponses du gouvernement à ses nombreuses recommandations de « largement inadéquates ».

Les conclusions du comité soulignent avec insistance qu’un examen obligatoire en comité parlementaire des dispositions du projet de loi C-83, qui devait commencer en 2023, est attendu depuis longtemps.

« Le gouvernement du Canada doit démontrer son sérieux à assurer la légalité des activités de SCC et leur conformité à la Charte. »

Un porte-parole de SCC, non disponible pour une entrevue, a évoqué par courriel une « transformation historique » des UIS.

« Les UIS ne sont utilisées qu’en dernier recours, lorsqu’aucune solution raisonnable n’existe, à la suite des efforts déployés pour gérer les détenus en toute sécurité au sein de la population carcérale. »

SCC cite des améliorations de la programmation des IUS et du soutien aux Autochtones, une politique de tolérance zéro à l’égard des mauvais traitements de la part du personnel et une augmentation du nombre de libérations réussies (c’est-à-dire aucune réadmission dans les 120 jours) dans des proportions de 63,1 % en 2024-2025, contre 59,9 % en 2023-2024.

Vulnérable aux ingérences et aux représailles

Service correctionnel Canada fait également référence à la surveillance exercée par douze décideurs externes indépendants (DEI), nommés par le ministre de la Sécurité publique, chargés d’examiner les longs séjours et les plaintes relatives aux UIS.

Cependant, une de ces anciennes DEI, Janine Lespérance, a publiquement exprimé des préoccupations au sujet de la transparence et de la reddition de comptes à la suite du non-renouvèlement de son contrat.

« Les DEI restent vulnérables aux ingérences et aux représailles, en raison de la résistance du milieu carcéral à la surveillance externe », a-t-elle écrit dans un article publié en mai dernier pour Options politiques.

« Une enquête objective est nécessaire […] pour faire la lumière sur leur expérience et pour vérifier si certains ont été écartés pour avoir rendu des décisions défavorables au SCC. »

En isolement « pendant des années et des années »

La sénatrice Pate visite régulièrement des pénitenciers. Elle a emmené près de cinquante sénateurs avec elle pour rencontrer des détenus et des employés, et pour constater les conditions qui y règnent.

« De récentes visites à l’Établissement Nova pour femmes de Truro, en Nouvelle-Écosse, à l’Établissement de Stony Mountain au Manitoba et au Centre psychiatrique régional de Saskatoon ont permis de mettre en lumière l’isolement préventif nettement disproportionné des femmes autochtones dans des UIS », dit-elle.

Une femme vit en isolement, et ce depuis des années et des années, en raison de ses problèmes de santé mentale.

« Elle est actuellement détenue en vertu d’un mandat de santé mentale, même sans condamnation, et n’a pas été condamnée depuis de nombreuses années. »

D’autres détenus atteints de troubles cognitifs ou de démence sont isolés non pas parce que le personnel essaie d’être cruel ou punitif, mais parce que c’est la façon la plus simple de les surveiller.

« Nous constatons l’existence de plusieurs couches d’injustice dans nos unités d’isolement, parfois appelées UIS, parfois pour observation de la santé mentale, parfois pour association volontaire limitée ou pour un éventail de raisons thérapeutiques », dit la sénatrice Pate.

« Ces gens, s’ils ne meurent pas en détention, sont libérés dans la communauté avec les mêmes problèmes, qui sont probablement plus graves que lors de leur admission ».

Un « trou noir » en matière de responsabilisation

Selon Debra Parkes, spécialiste en droit pénal à la Faculté de droit Allard de l’Université de la Colombie-Britannique, le suivi des données relatives aux UIS est aussi connu comme étant un « trou noir » en matière de responsabilisation.

Elle travaille dans le domaine du droit des détenus depuis 25 ans. Parfois, des gens doivent être isolés pour des raisons de sécurité, souligne-t-elle.

Cependant, le gouvernement pourrait se pencher sur des pratiques exemplaires utilisées à New York et ailleurs, qui mettent l’accent sur la désescalade, les compétences de vie et les soins de santé mentale. SCC a l’habitude de réduire la dépendance à l’isolement quand il fait les manchettes, dit-elle.

Mme Parkes impute la responsabilité à une fixation sur « l’ordre public » pour expliquer la persistance de méthodes de sécurité publique plus coûteuses et moins efficaces, sans parler de leurs effets sur la réadaptation.

Les politiciens répugnent à être accusés de « laxisme en matière de criminalité », dit-elle, ajoutant qu’un changement réel pourrait nécessiter une autre contestation constitutionnelle.

« C’est probablement ce qui va se passer maintenant. Il y aura un autre litige à ce sujet. »

Jeffrey Hartman, avocat de Toronto, a intenté une poursuite en 2020 au nom de deux hommes incarcérés sous le régime fédéral, alléguant que SCC ne respectait pas la loi ou ses propres politiques.

Le recours collectif a ensuite été abandonné « non pas par manque de mérite, mais parce que nous ne voulions pas traîner ce procès pendant une décennie », a déclaré Me Hartman dans un courriel.

Pour Tona Mills, sa dernière volonté est que quelqu’un au pouvoir s’assure que d’autres personnes ne souffrent pas comme elle.

« Même un séjour de quelques jours en isolement cellulaire peut détruire une personne. Je vous demande de mettre fin à la douleur et d’aider les gens à vivre. »