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Exercer ses activités d’une manière qui bénéficie à l’environnement et à la société dans son ensemble

Un projet de loi du Sénat ajouterait les préoccupations d’ordre économique et social aux obligations des administrateurs d’entreprise, ce que certains considèrent comme effrayant et inutile

A man in a suit holds a green plant
iStock/PeopleImages

Un projet de loi du Sénat visant à étendre les obligations fiduciaires des administrateurs et des dirigeants d’entreprise pour y inclure les impacts sociaux et environnementaux de leur société est « très effrayant », disent certains juristes.

Introduit en mai dernier, le projet de loi S-285 propose de modifier la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) pour prévoir que la raison d’être d’une société consiste à servir au mieux ses propres intérêts tout en veillant « à apporter à la collectivité et à l’environnement des bienfaits » et « à réduire tout préjudice qu’elle pourrait causer à la collectivité et à l’environnement ». Il précise que l’objectif doit être d’éliminer tout préjudice à l’environnement.

Patric Besner, qui dirige un cabinet juridique montréalais spécialisé dans le droit de la gouvernance, le droit commercial et le droit des sociétés, est très préoccupé par le projet de loi.

S’il est adopté, il remplacera la primauté des actionnaires par la primauté des parties prenantes, ce qui aura pour effet de décharger les administrateurs de la responsabilité de servir au mieux les intérêts de la société.

« Les sociétés ne sont pas là pour résoudre les problèmes sociaux, » déclare Me Besner, qui prédit que certaines sociétés pourraient transférer leur siège social dans une autre province ou un autre pays si la loi est adoptée.

« Ça ne va pas marcher. »

Le projet de loi, également connu sous le nom de « Loi sur l’entreprise du XXIe siècle », exigerait également des sociétés qu’elles rendent compte de leur impact social et environnemental et permettrait à certaines personnes d’engager des procédures judiciaires si elles estiment qu’une société ne respecte pas sa raison d’être.

« Chaque assemblée annuelle, la société fait rapport, selon les modalités réglementaires, des impacts de ses activités sur la collectivité et l’environnement, et notamment des mesures prises pour réduire tout préjudice à leur égard », précise le projet de loi.

Si elles sont adoptées, ces modifications s’appliqueront à toutes les entreprises, grandes et petites, constituées sous le régime de la LCSA.

Cette proposition marque une évolution significative vers l’intégration du principe de la « double matérialité » dans la loi fédérale régissant les sociétés. Ce principe reconnaît que l’impact d’une entreprise sur la société et l’environnement est important pour son rendement financier.

Carol Hansell, juriste torontoise, est spécialisée dans la gouvernance d’entreprise. Dans le cadre d’un avis juridique de 2020, elle a dit que les membres des conseils d’administration des sociétés sont légalement tenus d’inclure les risques et les possibilités liés au changement climatique dans la gouvernance et l’orientation stratégique de leur société.

Elle remet en question la nécessité d’une double matérialité, expliquant que les administrateurs de sociétés ont un « devoir de diligence » qui englobe de nombreuses questions et s’adapte à des situations changeantes, comme celles imposées par le changement climatique.

« Le droit des sociétés fonctionne parce qu’il est flexible, explique Me Hansell, qui compare les défis climatiques auxquels son propre cabinet juridique est confronté à ceux d’une entreprise du secteur pétrolier et gazier.

C’est ce qui fait la beauté de la chose. »

Selon Mme Hansell, la loi existante ne précise pas toutes les exigences en matière de rapports, mais il est clair que les sociétés ont l’obligation de prendre en compte le risque climatique.

Elle prévoit des difficultés si le projet de loi S-285 est adopté, notamment la possibilité que des entreprises choisissent de se constituer en société ailleurs. Elle ne sait pas quels seraient les avantages découlant des exigences supplémentaires en matière de divulgation ni quel serait le coût réel.

Quoi qu’il en soit, les actionnaires devront payer cette somme et les changements proposés « feront fuir les gens de ces conseils d’administration ».

Ivan Tchotourian, professeur de droit à l’Université Laval, spécialisé en droit des sociétés et en responsabilité sociale, soutient avec enthousiasme le projet de loi S-285.

Bien qu’il soit d’accord avec Me Hansell pour dire que les sociétés ont déjà des responsabilités plus étendues, il estime qu’en « changeant un peu les règles », le projet de loi « envoie un message fort ».

Originaire de France, M. Tchotourian a constaté que la gouvernance et la finance durables faisaient l’objet d’une attention croissante dans son pays d’origine et en Grande-Bretagne. Le projet de loi S-285 s’inspire de la Better Business Act au Royaume-Uni.

« Nous voulons faire les choses différemment », déclare M. Tchotourian. Il reconnaît que ce qui est proposé est « ambitieux », puisqu’il s’agit de passer à un état d’esprit commercial « respectueux de l’environnement ».

« C’est un élément qui distinguera le Canada des États-Unis, ajoute-t-il. Je pense que ce sera bien perçu. »

Bien qu’il n’est pas certain que le projet de loi soit adopté, il pourrait donner lieu à des litiges en matière de nuisances s’il l’était. Toutefois, M. Tchotourian estime que les avantages d’une loi imposant des obligations uniformes aux sociétés canadiennes l’emportent sur les inconvénients. À l’avenir, cela sera bénéfique.

Même si le projet de loi S-285 fait partie d’un vaste débat sur le développement durable, Radha Curpen, responsable de la pratique ESG et développement durable du cabinet McMillan S.E.N.C.R.L./s.r.l., estime que les exigences obligatoires proposées ne sont pas nécessaires.

Elle rappelle les modifications apportées en 2019 à la LCSA, qui ont fait des intérêts des parties prenantes un élément que les administrateurs peuvent prendre en compte « au mieux des intérêts de la société », dans le cadre de leurs obligations fiduciaires et de leur devoir de diligence.

Me Curpen affirme que toutes les sociétés évaluent les risques et les occasions liés aux facteurs ESG sans tenir compte du projet de loi S-285, qui compliquerait les responsabilités des administrateurs et les exposerait potentiellement à des litiges.

« Il n’est pas nécessaire d’imposer des exigences obligatoires en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, dit-elle.

Je ne vois pas comment les sociétés, dans le monde d’aujourd’hui, pourraient faire fi des facteurs ESG. »