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La constitution proposée par le Québec est une « politique assimilatrice »

Des observateurs juridiques disent que le projet de loi 1 soulève de nombreux drapeaux rouges et menace les droits des Québécois

Un groupe de drapeaux rouges sur fond bleu
iStock/pejft

Le projet de constitution du Québec a pris bien des gens par surprise, compte tenu des signaux d’alerte qu’il soulève et du danger qu’il représente pour les droits et libertés fondamentaux, ainsi que pour la primauté du droit.

Ce n’est pas seulement le contenu du projet de loi 1, la Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec, dont l’objectif est de protéger les valeurs communes de la province, qui fait grincer des dents aux juristes. C’est aussi le processus en vertu duquel il a été créé. Ou plutôt, l’absence d’un processus.

Les principaux cadres juridiques sont généralement élaborés sur plusieurs années, avec de vastes consultations publiques et la contribution d’un éventail diversifié de spécialistes et de groupes de la société civile. Dans le cas présent, des observateurs sont d’avis que le gouvernement du Québec cherche à obtenir des rétroactions après coup.

Le 2 décembre, la section régionale du Québec de la Commission internationale de juristes a déposé une plainte officielle auprès des Nations unies concernant le projet de loi.

« Le mépris flagrant pour ces droits et normes internationaux exige l’intervention des procédures spéciales des Nations unies pour reconnaître les violations des droits de la personne et appeler les autorités à retirer le projet de loi 1 », écrit le groupe dans son mémoire.

Stéphane Beaulac, spécialiste en constitutionnalité et professeur à l’Université de Montréal, dirige la section régionale du Québec de la CIJ. Il dit que plusieurs des griefs concernent des droits de la personne et des libertés fondamentales.

« Lorsque nous traitons de ces questions, cela ne reste pas local, dit-il à l’animatrice Alison Crawford dans le plus récent épisode du balado Verdicts and Voices. Cela relève plutôt d’organismes internationaux, du Rapporteur spécial des Nations unies, par exemple, parce qu’il traite de violations potentielles des droits des minorités et des droits des peuples autochtones, et nous voulons donc le porter à l’attention des autorités de l’ONU à l’extérieur du Canada. »

Le projet de loi a peu de sympathisants dans le milieu juridique canadien. L’Association canadienne des libertés civiles décrit le projet de loi comme illégitime et autoritaire, et le chef de l’Assemblée des Premières Nations pour le Québec et le Labrador dit que la proposition ne reflète pas une vision de coexistence entre les nations. Le bâtonnier du Barreau du Québec le considère comme une dérive vers « l’autoritarisme ».

La Division du Québec de l’Association du Barreau canadien, présidée par Me Alexandre Forest, a demandé le retrait de la loi. Elle soutient que la partie la plus choquante de la lecture du projet de loi a été la description du processus de création. Un projet d’une telle envergure, comme une constitution, ferait généralement l’objet d’un vaste processus de consultation avant d’être déposé, mais cela ne s’est pas produit ici.

« Comment pouvez-vous réellement dire que vous soumettez une loi extraordinaire, mais que vous passerez par le processus très normal de tout type de loi? » dit-il concernant le processus précipité. 

Le premier débat au sein de son organisation était de savoir si elle devait participer aux consultations, car la préoccupation était que cela confère une légitimité au processus.

« C’était un peu nouveau et choquant pour nous de devoir nous demander si nous apportions réellement une contribution à la promulgation potentielle d’une mauvaise loi en participant à un processus avec lequel nous n’étions pas d’accord. »

Au-delà du processus, Me Beaulac dit que le contenu du projet de loi soulève des signaux d’alerte.

« Certaines caractéristiques sont potentiellement dangereuses en ce qui concerne les droits fondamentaux et les libertés, ainsi que la promotion et la protection de la primauté du droit. »

Parmi les dispositions pertinentes, le projet de loi tenterait de normaliser l’utilisation de la disposition de dérogation « sans aucune exigence de contextualisation ou de justification » et l’édiction d’une « interdiction totale de manifestation de la foi dans les espaces publics ».

«Je ne veux pas sembler alarmiste, mais parfois, les gens disent : “Oh, nous ne sommes pas aussi mauvais que ce qui se passe aux États-Unis” », dit Me Beaulac.

Bien qu’il ait tendance à être d’accord, cela ne veut pas dire que ce qui se passe dans la province n’est pas dangereux.

« C’est un terrain glissant. »

Me Forest note qu’un aspect alarmant de ce qui est proposé est l’objectif d’empêcher un tiers d’utiliser les tribunaux pour contester non seulement la constitution elle-même, mais aussi les lois qui pourraient être promulguées en vertu de ce texte spécial.

Par exemple, un syndicat pourrait ne pas avoir la possibilité de contester des lois créées sous le régime de cette constitution.

« Non seulement vous voulez promulguer quelque chose dans un processus précipité, mais vous voulez aussi empêcher ce qui sera évidemment une contestation. C’est vraiment la partie que je trouve effrayante », explique-t-il.

Selon Me Beaulac, la disposition du projet de loi 1 visant à protéger les droits « collectifs » de la nation québécoise est en forte contradiction avec la Constitution canadienne et la Charte des droits et libertés du Québec.

« Au cœur du concept même des droits de la personne se trouvent les droits individuels; ce qui est fondamental, soi-disant inhérent et inaliénable à la personne humaine. Cela ne signifie pas que certains droits ne sont pas abordés en termes collectifs. Il y a des droits collectifs associés à des groupes, comme les Autochtones, des groupes linguistiques minoritaires, etc. », dit-il.

« Lorsque vous diluez les droits de la personne en introduisant un concept comme le droit collectif d’une nation, ce que vous faites réellement, c’est d’enlever quelque chose qui est inhérent. »

Me Forest dit que le concept de protection du patrimoine commun de la nation québécoise dans le projet de loi est en soi un objectif vague.

« Quand vous mettez de tels termes, étranges et bizarres ou vraiment généraux, dans la loi, alors vous laissez de la place pour que tout gouvernement élu puisse définir ces termes et ensuite les utiliser contre les personnes mêmes qu’ils sont censés protéger. »

Me Beaulac est plus direct.

« Appelons ça ce que c’est. C’est l’introduction d’une une politique assimilatrice qui a eu lieu ici, dit-il. C’est véritablement une tentative de monopoliser la définition de ce qu’est un Québécois. Il y a des dispositions qui définissent essentiellement ce que sont les Québécois, ce qu’est la nation québécoise, et quelle langue parlent le vrai Québécois. Tout cela constitue une violation flagrante des droits des minorités au niveau international. »

Écoutez l’épisode complet (disponible uniquement en anglais) pour en savoir plus sur la façon dont le projet de loi 1 pourrait être incompatible avec la souveraineté autochtone au Québec, si quelqu’un de l’extérieur du gouvernement provincial appuyait le projet de loi, et ce dont Mes Forest et Beaulac souhaitent voir lors des audiences publiques qui ont débutées le 4 décembre.