Étudiants de l’équité
Leçons de patience, d’humilité et de bonne représentation pour les groupes en quête d’équité.

L’éducation peut être une longue leçon d’humilité, surtout s’il s’agit de déconstruire nos systèmes coloniaux.
« La réalité, c’est que nos systèmes de droit autochtones existent depuis des temps immémoriaux, explique Esentsei Staats Pangowish, étudiante au doctorat à la Faculté de droit Osgoode Hall. Comprenez que le cours du temps n’est pas la même chose pour vous que pour nous. »
Plus précisément, elle dit que les juristes doivent cesser de privilégier ce qu’elle appelle « le temps colonial » ou « l’idée que nous devons faire les choses rapidement et efficacement plutôt que correctement et en prenant le temps de bâtir ces relations ».
Mme Pangowish, qui est Haudenosaunee et Anishinaabe, se rappelle une récente conversation avec quelqu’un qui a insisté pour boucler un dossier en 60 minutes. Sa réponse : « Non, ce n’est pas comme ça que vous allez établir de bonnes relations et mieux nous connaître comme communauté autochtone ou travailler en ayant notre meilleur intérêt à cœur. »
« Mon but, comme femme anishinaabe, c’est toujours le consensus – et comment voulez-vous obtenir un consensus en une petite heure? »
Au bout du compte, la patience et la volonté d’apprendre sont essentielles pour les juristes travaillant auprès de groupes autochtones. Selon elle, par exemple, on se met souvent en rapport avec des communautés autochtones en procédant comme si celles-ci étaient dépourvues de hiérarchie sociale. Mme Pangowish souligne que tout travail avec des Autochtones devrait commencer par des rencontres avec les aînés.
« Et dans ces rencontres, ce sont les aînés qui commandent, poursuit-elle. Ce sont eux qui vous diront si la rencontre va durer 10 minutes ou 10 heures. Vous devez vous incliner. »
D’après Celeste Haldane, c.r., présidente de la Commission des traités de la Colombie-Britannique, il est essentiel, avant d’aller rencontrer une communauté autochtone, de faire des recherches sur son identité, sa langue, sa situation géographique et son territoire traditionnel. « Vous aurez ainsi beaucoup moins de mal à gagner sa confiance et à établir une bonne communication », conseille Me Haldane, qui est Musqueam (Salish de la Côte) et Metlakatla (Tsimshian).
« Ensuite, dit-elle, il faut absolument établir la relation par l’échange d’information. Comprenez que vous avez encore beaucoup à apprendre. Il faut être ouvert à cet apprentissage, et y être réceptif aussi. »
Khalid Janmohamed, directeur des programmes de cliniques juridiques à la faculté de droit Lincoln Alexander de l’Université métropolitaine de Toronto, souligne lui aussi l’importance d’être humble lorsqu’on travaille auprès d’autres groupes méritant l’équité.
« Les clients et les communautés ont une riche expertise. Ils sont experts de leurs propres expériences vécues, et experts des problèmes auxquels ils sont confrontés, explique-t-il. La pratique traditionnelle du droit admet parfois des idées préconçues et des partis pris au sujet des capacités des clients, du degré préférable de leur participation à leur instance, ou de ce que leurs objectifs devraient être. Dans certains cas, cette pratique peut perpétuer l’oppression déjà subie. »
Me Janmohamed dit que pour changer cela, la nouvelle clinique juridique des étudiants et étudiantes de l’Université métropolitaine de Toronto s’efforce d’intégrer à ses pratiques des méthodes de travail et des idées anticoloniales et antiracistes.
La clinique, qui se compose de deux juristes et de huit étudiants de deuxième année, se spécialisera dans les affaires de logement et d’aide sociale.
Pour Me Janmohamed, l’objectif est d’instaurer avec les clients et les communautés, et les uns envers les autres, un climat de pratique holistique, collaboratif et moins hiérarchisé qui favorise l’empathie et la sensibilité aux besoins et aux expériences vécues de tous.
Juristes comme étudiants et étudiantes en droit doivent aussi se rendre compte que les problèmes structurels viennent du système juridique lui-même.
La clinique vise à établir une façon de penser anti-oppressive et tenant compte des traumatismes, ainsi qu’une pratique qui réinvente les rôles des acteurs des systèmes juridiques et en opère l’examen critique.
« C’est peut-être une façon dont nous pouvons grandement améliorer l’efficacité et les résultats concrets de notre travail auprès des communautés en quête d’équité. »
Pour Me Haldane, les juristes, les étudiants et les étudiantes se doivent de garder à l’esprit que le racisme est inscrit en filigrane dans le système judiciaire du Canada et dans nos lois aussi.
« Si vous songez à la manière dont les lois ont été créées, elles sont coloniales et n’ont pas été pensées pour le bien des peuples autochtones, poursuit-elle. On s’en servait comme armes. À l’époque de la colonisation du Canada, les lois et les politiques ont été utilisées contre eux pour les chasser de leurs terres et territoires afin de faire place à la colonisation. »
Tous les juristes, les étudiants et les étudiantes devraient se faire défenseurs des groupes en quête d’équité, martèle Me Haldane.
« Chaque juriste ou étudiant ou étudiante en droit a le pouvoir d’amplifier les voix autochtones à l’heure où le processus de réconciliation est en marche », ajoute-t-elle.
Un exemple récent : un groupe d’étudiants et d’étudiantes de la clinique L. Kerry Vickar de l’Université du Manitoba, spécialisée en droit des affaires, a récemment signé une lettre en soutien à la demande du Réseau de télévision des peuples autochtones au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes pour une augmentation des programmes en langue autochtone dans la programmation.
« Chacun mérite d’avoir des programmes dans sa langue qui racontent l’histoire de son peuple », déclare Lisa Haydey, étudiante de deuxième année en droit à l’Université du Manitoba. Celle-ci ajoute que manifester son soutien est une étape cruciale du processus de réconciliation.
Mme Pangowish, dont les travaux de recherche portent surtout sur la souveraineté autochtone, dit que les juristes doivent aussi reconnaître que le Canada est d’abord et avant tout « un État colonial établi sur des terres et territoires conquis par la force ».
« Le Canada repose sur la doctrine de la découverte, que nous reconnaissons comme étant raciste. Pourtant, dit-elle, ses systèmes juridiques et ses politiques sont entièrement érigés sur ce principe. »
« En tant que colonisateur, vous devez demander des comptes à votre gouvernement. Vous devez pareillement reconnaître que vos lois, vos politiques, vos institutions bancaires, vos sociétés d’habitation sont toutes responsables de l’injustice et alimentent ces systèmes d’injustice, déclare Mme Pangowish, car les droits des peuples autochtones sont des droits de la personne. »