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Réformer le droit à la vie privée à l'ère de l'intelligence artificielle

L’adoption responsable de l’IA signifie que nous allons devoir examiner sérieusement nos lois en matière de vie privée.

Image of phone on white background with an eye staring out to illustrate the privacy challenges presented by the use of AI

Le côté sombre de l’intelligence artificielle est de plus en plus apparent, alors que la technologie est accusée de contribuer à la création d’une économie de surveillance et de miner la démocratie. C’est une mauvaise nouvelle pour le Canada, qui compte sur l’IA comme un moteur d’avenir. Comment réagiront les décideurs politiques?

Après des années à se concentrer sur les bons côtés, les gouvernements à travers le monde reconnaissent finalement les conséquences possibles de la manière dont les firmes utilisent l’apprentissage automatique, incluant les impacts de la collecte de données, le carburant de l’IA. Le modèle d’affaires qui mène l’internet – des publicités ciblées générées par l’IA – est plus que jamais sous la loupe. Des scandales presque continus dans le domaine des technologies au cours des 12 derniers mois ont rendu l’industrie toxique aux yeux de plusieurs, qui attendent maintenant l’arrivée de nouvelles règles.

Suivant une étude d’un comité de la Chambre des communes qui a exhorté les décideurs politiques à agir de manière urgente pour mieux protéger la vie privée des Canadiens, le gouvernement Trudeau a indiqué qu’il collaborera à la création d’un panel international sur l’IA qui pourrait mener à une meilleure compréhension de la dualité de la technologie et à des moyens de rectifier ses effets plus néfastes.

« Le gouvernement [canadien] réalise finalement que c’est un enjeu avec lequel il doit composer », note Blayne Haggart, professeur de sciences politiques à la Brock University.

On ignore pour l’instant si ces réflexions se traduiront par des règles plus sévères, ou simplement par des ajustements aux règles existantes. La réponse dépendra en grande partie des demandes du public pour que des changements surviennent. On ignore aussi quand ces réformes seront adoptées, le cas échéant. Des experts estiment qu’une révision des règles sur les données – vieilles de 20 ans, donc presque préhistoriques d’un point de vue technologique – est à prévoir.

« Il y a une reconnaissance croissante que les [lois en matière de vie privée] devront être mises à jour », souligne Patricia Kosseim, avocate au sein du groupe du droit à la vie privée et de la gestion des données au sein de la firme Osler et anciennement avocate générale principale au bureau du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada. « Il semble y avoir plus de voix qui s’élèvent pour réclamer du changement, mais elles ont différentes motivations et opinions quant aux manières d’y parvenir. »

L’un de ces courants penche vers un modèle de coopération et de normes internationales. « Ce n’est pas très sensé de créer une panoplie de nouvelles règles à la maison sans savoir ce que cette coalition décidera à l’échelle internationale », a écrit dans un courriel Robert Gorbet, qui dirige le département d’intégration des connaissances à l’Université de Waterloo. « On ne veut pas nuire à l’industrie canadienne d’un côté, mais d’un autre côté, on ne veut pas manquer de protections. »

Le secteur des technologies dans son ensemble et celui de l’IA en particulier sont très importants pour le Canada, qui exerce une grande influence à l’échelle internationale à cet égard. Le pays a été l’un des premiers à développer une stratégie nationale de l’IA, qui reconnait la présence de centres d’excellence à Montréal, Toronto et Vancouver. Le pays veut contribuer à façonner le débat sur la réglementation en matière de vie privée.

Certaines juridictions, notamment en Europe, ont déjà commencé à agir et ces mesures pourraient forcer des changements de l’autre côté de l’Atlantique. En vertu du Règlement général sur la protection des données (RGDP), les compagnies doivent supprimer les données sur demande, et l’information ne peut être recueillie que pour une raison commerciale spécifique. La législation est proactive, contrairement au système canadien actuel, où les lois en matière de vie privée opèrent sur la base de plaintes.

Au Canada, cela pourrait nécessiter un nouveau coup d’œil à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, qui gouverne la manière dont les firmes peuvent recueillir ce type de renseignements. Cela pourrait aussi vouloir dire accorder plus de pouvoirs au Commissaire à la protection de la vie privée, qui à l’heure actuelle est limité dans sa capacité d’agir.

« Jusqu’à tout récemment, le gouvernement croyait que les [règles] existantes ainsi que la Charte permettaient de gérer toutes les questions relatives à la vie privée et à la propriété et l’usage des données qui pouvaient être soulevées par l’intelligence artificielle et les compagnies axées sur les données de manière plus générale. Il y a un sentiment parmi les experts dans le domaine de la vie privée et parmi les éthiciens que celles-ci ne sont peut-être pas suffisantes », a expliqué dans un courriel Daniel Munro de la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l’Université de Toronto.

Maintenant que le RGPD est en vigueur et que l’édifice des technologies ne s’est pas effondré, il est beaucoup plus facile pour les activistes partout dans le monde de réclamer l’adoption de règles similaires. La question est de savoir si les entreprises appliqueront ces mesures partout, ou si elles s’en tiendront à leurs vieilles manières de faire à l’extérieur de l’Europe. Il reste aussi à voir dans quelle mesure le nouveau panel sur l’IA, inspiré du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, s’attaquera aux questions les plus délicates, ou s’il s’en tiendra à des thèmes plus généraux.

Comme c’est souvent le cas dans le domaine des technologies, les experts ne s’attendent pas à des changements rapides. Mais les changements pourraient survenir d’une manière ou d’une autre à l’échelle internationale. Les menaces de réglementation, de recours judiciaires et la mauvaise presse ont un impact et les investisseurs ont déjà une oreille attentive pour les projets technologiques qui ne sont pas liés à la publicité. En même temps, de plus en plus de gens cherchent à bloquer les publicités pour protéger leur vie privée. Les compagnies réaliseront peut-être par elles-mêmes que d’espionner les clients n’est peut-être pas le meilleur modèle d’affaire.