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Combien ça gagne?

La transparence dans la profession juridique sur les questions de rémunération est un enjeu complexe aux préoccupations contradictoires en matière de protection de la vie privée et d’égalité.

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Erin C. Cowling est de l’avis que l’inclusion du salaire dans les avis d’emploi vacant va de soi.

« Ce n’est tout simplement pas sensé de cacher cette information et de ne pas faire preuve de transparence. C’est du gaspillage de temps, pas seulement pour les candidats, mais aussi pour le cabinet juridique », dit Me Cowling, avocate plaidante indépendante, et présidente fondatrice de Flex Legal Network Inc., un réseau de juristes autonomes qui aident des cabinets juridiques et d’autres organisations sur une base de contrats ou de projets.

« Vous pouvez passer à travers le processus d’entrevue dans son intégralité, mais lors de la discussion finale entourant le salaire, vos attentes sont si loin de ce qui est offert que le cabinet doit tout recommencer pour trouver la juste candidature. »

Me Cowling, elle-même employeur, dit avoir fait preuve de transparence dans ses avis d’emploi vacant en ce qui concerne la rémunération.

« Lorsque j’ai procédé aux embauches pour FlexLegal, ma société de juristes autonomes, j’ai publié le salaire. Vous vous sentez quelque peu vulnérable, car vous vous exposez, et vous vous demandez si vous offrez une rémunération suffisante ou si vous payez trop. »

L’un des avantages de la publication du salaire, toujours selon Me Cowling, est que cela élimine toutes les personnes qui s’attendent à gagner beaucoup plus. Aussi, les gens savent ce qui leur est offert lorsqu’ils présentent leur candidature.

Elle affirme avec conviction qu’elle publierait à nouveau des avis d’emploi vacant en y mentionnant le salaire offert.

« Il est inutile d’avoir cette conversation inconfortable, car le sujet a déjà été abordé. Il y a toujours possibilité de négocier et je ne crois pas que le fait de partager cette information élimine totalement cette option, mais au moins une partie de la conversation n’a pas à avoir lieu parce que l’information est publique. »

Sara Forte, fondatrice de Forte Workplace Law, explique qu’elle choisit de ne pas publier les salaires dans ses avis d’emploi vacant, car elle préfère personnaliser le régime de rémunération et les conditions de travail selon la candidature.

« L’une des choses que je fais avec mon équipe pour éviter toute discrimination systémique est que nous déterminons précisément les conditions de travail et les dispositions financières avec chaque personne afin de répondre à ses objectifs et besoins individuels. J’adapte les conditions de travail et la rémunération à la personne. C’est une des choses qui fonctionnent vraiment bien pour notre équipe à ce jour. Il y a des solutions pour toutes les personnes et pour tous les modes de vie, et les nouveaux employés n’ont pas à s’adapter à une situation qui ne leur convient pas. »

Carrie Gallant, accompagnatrice en leadership pour cadres supérieurs, croit que les employeurs du secteur juridique doivent être au courant que de nombreux candidats se préoccupent de questions autres que celui du salaire.

« Beaucoup de recherche a été effectuée sur ce qui incite les gens à travailler à un endroit et à y rester. De nombreuses personnes recherchent un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, et ne se demandent pas seulement si elles vont gagner de l’argent. Plusieurs juristes sont attirés à la profession parce qu’ils souhaitent changer les choses, se charger de dossiers intéressants, être stimulés intellectuellement et, bien sûr, faire de l’argent. »

Si un employeur décide de ne pas publier une échelle salariale dans ses avis d’emploi vacant, Me Forte est d’avis qu’il est important d’aborder cette question tôt dans le processus d’entrevue.

« Vous ne voulez pas passer par cinq entrevues et ensuite informer les candidats de la rémunération pour vous rendre compte que ça ne correspond absolument pas à ce qu’ils recherchent, dit Me Forte, qui pratique dans les domaines du droit de l’emploi, de travail et des droits de la personne en milieu de travail. C’est une dépense considérable en temps, en argent et en ressources organisationnelles dans une profession où la facturation dépend du temps consacré. »

Me Cowling recommande aux cabinets juridiques et aux autres organisations du secteur qui ne sont pas à l’aise avec l’idée de publier un salaire fixe de publier une échelle salariale.

Selon elle, certains employeurs du secteur juridique peuvent choisir de ne pas publier leur échelle salariale, car ils accordent de l’importance à la protection des renseignements privés et parce qu’ils perdraient une marge de contrôle dans le processus de négociation.

« Tout cela ne nuit qu’aux gens qui ne s’y connaissent peut-être pas bien en matière de rémunération et d’attentes salariales, soutient Me Cowling. Malheureusement, certains membres de groupes en quête d’équité sont parfois désavantagés lorsque vient le temps d’obtenir le salaire qu’ils méritent. »

Me Forte est d’accord et croit que la profession juridique, de façon générale, a besoin de plus de transparence en ce qui concerne la rémunération.

« La rémunération et tous les aspects pécuniaires liés au secteur du droit sont si jalousement protégés. Selon moi, c’est une expression de pouvoir et de privilège. Ces renseignements sont détenus par un petit groupe de gens et le reste du monde essaye de deviner la vérité, dit-elle. Ce manque de transparence renforce encore plus la discrimination systémique. »

Les juristes doivent aborder l’enjeu de la transparence de la rémunération dans un contexte plus large, selon Mme Gallant.

« Le manque de transparence fait partie d’un système qui n’a pas du tout bien fonctionné pour certains groupes, comme les femmes, les personnes de couleur, ainsi que les personnes ayant des capacités différentes et un genre différent, estime-t-elle. Cela a favorisé ceux qui ont le plus de pouvoir ».

Toutefois, elle est d’avis que la transparence de la rémunération ne constitue pas l’unique solution au problème de l’inégalité fondée sur le genre et la race.

« Il s’agit d’un moyen dont l’objectif est d’améliorer la capacité des gens pour avoir un accès équilibré à l’information. Ça ne crée pas du tout l’égalité des chances. »

Selon Me Cowling, plusieurs juristes sont mal à l’aise de discuter de questions comme la rémunération, mais elle espère que la culture juridique changera et que ces discussions deviendront un peu plus acceptables avec le temps.

« Je sais que certaines personnes et certaines cultures ne parlent pas d’argent et de salaire, mais il est ardu de négocier quelque chose si vous ne savez pas que vous êtes sous-payés ou surpayés, et si vous ne connaissez pas le salaire que font les personnes qui ont une expérience semblable à la vôtre, dit Me Rowling. Le résultat est que vous vous trouvez dans une situation désavantageuse lors de négociations. »

La transparence est un concept avec lequel Me Forte se heurte encore aujourd’hui lorsqu’il est question de rémunération.

« C’est une question personnelle et je suis toujours en réconciliation avec cette idée. Les préoccupations concurrentes en matière de protection de la vie privée, tout comme la capacité à personnaliser et à accepter cette transparence, sont importantes pour éradiquer la discrimination systémique », croit Me Forte.