L'échec de la Loi sur l’accès à l'information
Les retards croissants érodent notre confiance dans la démocratie et il faudra une volonté politique pour réformer la loi.
« Le gouvernement a tendance à refuser de transmettre des renseignements à ses citoyens pour des raisons de protection de la vie privée déguisée en intérêt public. » Ces mots ne seraient pas déplacés en 2023, mais ils ont été prononcés en 1969 par John Turner dans un discours à l’assemblée annuelle de l’Association du Barreau canadien. M. Turner, alors ministre de la Justice, soulignait à quel point le droit d’un citoyen de savoir est fondamental pour la démocratie participative et laissait carrément entendre que le moment était venu pour le Canada de régler cet enjeu par la voie législative. Les États-Unis avaient récemment adopté la Freedom of Information Act (loi sur la liberté de l’information). En 1970, les pays nordiques d’Europe avaient tous adopté des lois sur l’accès à l’information.
Faisons le saut jusqu’en 1976, année où l’ABC organisait son assemblée annuelle autour du thème de l’accès à l’information. M. Turner revenait pour prononcer un autre discours, accompagné par le protecteur du consommateur Ralph Nader. La dynamique penchait vers l’adoption d’une résolution préconisant un droit prévu par la loi pour que les gens puissent accéder à l’information que détiennent les gouvernements. L’ABC publiait un modèle de projet de loi, que les progressistes-conservateurs appuyaient lors de l’élection de 1979. Le gouvernement de Joe Clark présentait une loi sur la liberté d’accès à l’information, précurseur de la Loi sur l’accès à l’information, qui entrait en vigueur en 1983. La plupart des provinces ont depuis adopté des lois pour accorder des droits semblables dans leur ressort.
Toutefois, les vieilles habitudes sont difficiles à changer. Bien que nos systèmes d’accès à l’information soient toujours jugés essentiels à la responsabilisation du gouvernement, les critiques nous avertissent qu’ils sont plus brisés que jamais, à un moment où la confiance dans nos processus démocratiques est à son plus bas niveau.
Une enquête que mènent actuellement les journalistes du Globe and Mail Tom Cardoso et Robyn Doolittle a révélé que les organismes publics enfreignent régulièrement les lois sur l’accès à l’information. Ils ont constaté que le délai moyen pour traiter une demande d’accès à l’information au niveau fédéral est de 83 jours. En Ontario, il est de 182 jours.
M. Cardoso a participé à un récent panel de l’ABC animé par Sean Holman, professeur agrégé en journalisme à l’Université de Victoria, avec Iris Fischer, avocate spécialisée dans les médias et associée chez Blakes. Selon M. Cardoso, jusqu’à 30 % des demandes sont traitées en dehors des délais prévus par la loi, ce qui signifie que le gouvernement enfreint la loi, car, en vertu de la loi, les institutions fédérales ont 30 jours pour répondre à une demande d’accès à l’information.
L’état de notre système d’accès est si mauvais que les commissaires à l’information du Canada ont récemment signé une résolution conjointe encourageant les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux à moderniser la loi et à renforcer le droit du public à l’information.
« Nos lois ne sont pas à la hauteur. Les systèmes ne sont pas à la hauteur. La gestion de l’information n’est pas à la hauteur. Chacun d’entre nous exhorte nos gouvernements à faire quelque chose à ce sujet », a déclaré la commissaire à l’information Caroline Maynard.
Pour sa part, Me Fischer constate trois grands problèmes avec nos systèmes d’accès à l’information. Premièrement, les organismes publics interprètent souvent les préoccupations en matière d’accès de manière trop restrictive, citant des conflits avec le droit à la vie privée. Au niveau fédéral, la Loi sur la protection des renseignements personnels du Canada, adoptée en même temps que la Loi sur l’accès à l’information, restreint le droit d’accès en interdisant la communication de renseignements personnels à des tiers. La Cour suprême a statué en 2003 que la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information « doivent être lues ensemble et qu’aucune ne doit l’emporter sur l’autre ».
« Une grande partie du travail que je fais consiste à trouver un équilibre entre l’ouverture, l’accès et le respect de la vie privée, et à m’assurer que cet équilibre persiste, dit Me Fischer. Il s’agit d’un équilibre entre les tribunaux ouverts et le droit à la vie privée. »
La deuxième question concerne les retards, même s’ils varient considérablement d’une institution à l’autre. Une partie de la raison est une culture du secret qui préfère par réflexe protéger les organismes publics contre un examen rigoureux. Il y a aussi une pénurie de ressources. Les lois canadiennes sur l’accès à l’information ont été conçues en tenant compte de documents en version papier. Dans l’environnement numérique d’aujourd’hui, il faut du temps pour rassembler de vastes quantités de courriels et de messages texte, surtout lorsque les systèmes de gestion de l’information laissent tant à désirer. Pour les petites municipalités à court de personnel, cela peut être une tâche impossible, croit M. Cardoso.
Une autre préoccupation urgente est la capacité de nos systèmes d’accès à l’information de s’adapter à la dépendance croissante des institutions gouvernementales sur l’intelligence artificielle dans des domaines comme l’immigration et l’application de la loi. Il ne faut pas s’attendre à ce que la Loi sur l’intelligence artificielle et les données (LIAD), présentée par le gouvernement fédéral dans le cadre du projet de loi C-27, aborde cette question. Bien que la LIAD cherche à réglementer les systèmes d’IA à incidence élevée et à imposer aux organisations l’obligation d’informer le public de la façon dont ils sont utilisés, elle ne s’applique pas aux institutions fédérales.
Une troisième difficulté est l’absence de sanctions sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information. Par conséquent, il n’y a aucune pression significative sur les ministères pour qu’ils se conforment aux délais prescrits par la loi. Sous le régime fédéral, le rôle du commissaire à l’information du Canada s’apparente à celui d’un ombudsman, car il n’a pas le pouvoir d’ordonner la communication de renseignements gouvernementaux (il peut s’adresser à la Cour fédérale du Canada, qui, à la suite d’un examen des raisons du refus de communiquer les renseignements demandés, peut ordonner leur communication).
Selon Me Fischer, la propension des institutions publiques canadiennes vers le secret n’est pas rare. « Nous comprenons tous que l’examen public n’est pas toujours plaisant », dit-elle. Cependant, les nombreuses exceptions prévues par la loi créent des brèches que ceux qui s’opposent à la divulgation peuvent exploiter. « Cela peut prendre beaucoup de temps pour que quelque chose se fraie un chemin à travers le système, explique-t-elle. Donc, même si quelque chose est finalement divulgué, l’information est souvent inutile au moment de son dévoilement. »
Me Fischer ne croit pas non plus que le régime politique du Canada et l’accent qu’il met sur le secret du conseil des ministres soient à l’origine du problème. Pour que le système d’accès à l’information soit adapté à sa raison d’être, il faudra un meilleur cadre législatif, beaucoup moins tolérant aux délais et assorti de sanctions exécutoires. « Si vous corrigez le cadre juridique, cela contribuera à corriger le cadre culturel. »
La volonté politique de mettre à jour nos lois est moins une certitude. Le ressort qui a le plus récemment modernisé sa loi est Terre-Neuve-et-Labrador, et seulement après un scandale retentissant qui a forcé la classe politique à agir.
L’ironie, c’est que plus de gens que jamais déposent des demandes d’accès à l’information, dit M. Cardoso, et l’incapacité de nos institutions publiques à répondre ne fait qu’alimenter la méfiance du public. « Ils ne font pas confiance au gouvernement et ils veulent voir la doctrine. Ils veulent le constater par eux-mêmes. Ils ne veulent pas entendre quelqu’un leur dire que des analyses ont été menées et que les confinements peuvent maintenant cesser. Ils veulent voir les documents. Ils veulent voir les preuves. »