Les droits des femmes sont l’affaire de tous
À regarder l’état du reste du monde, il faut constater que les reculs sont possibles et se produisent. D'où l'importance de souligner la Journée internationale des droits des femmes.
Nos voisines se battent pour le droit à l’avortement. Des jeunes femmes se font conseiller sur l'art d’être la parfaite épouse d’un mari pourvoyeur. Ailleurs, elles mènent une lutte pour leur droit de s’éduquer, ou même d’avoir une existence visible et publique.
Non, je ne vous parle pas des années 1960, mais bien de 2024. Entre le renversement de Roe v. Wade aux États-Unis, la tendance qui gagne en popularité sur les réseaux sociaux des tradwives (épouses traditionnelles) et les attaques sur les droits fondamentaux des femmes qui semblent se multiplier tant dans le contexte de conflits armés que de dictatures, il y a de quoi se demander si la Journée internationale des droits des femmes sera bientôt annulée, faute d’objet ! Pourtant, la Journée internationale des droits des femmes doit être soulignée au Québec, et ce, même si la situation des femmes est actuellement meilleure ici.
D'un point de vue formel, les chartes consacrent l’interdiction de discriminer sur le fondement du sexe ou de l’identité de genre. Le droit du travail prévoit des protections particulières interdisant le congédiement ayant pour motif la grossesse ou l’exercice de droits prévus par les normes du travail, dont les congés de maternité. Cependant, dans les faits, l’écart salarial et patrimonial entre les hommes et les femmes demeure. L’Association du Barreau canadien s’est d’ailleurs intéressée à la question de cet écart dans le contexte spécifique des professions juridiques dans un rapport en 2022. La professeure de l’Université Harvard et docteure en économie Claudia Goldin a reçu le Prix Nobel de l’économie en 2023 pour ses travaux qui démontrent notamment que la maternité était le facteur déterminant expliquant ce phénomène.
Le droit civil et le droit criminel reconnaissent de mieux en mieux certaines formes de violence conjugale qui bénéficiaient d’une relative impunité jusqu’à tout récemment, dont le contrôle coercitif et la violence judiciaire. Des modifications ont été apportées à la loi en juin 2023. Celles-ci permettent entre autres au parent victime de violence conjugale de consentir sans l’autre parent à certains soins dont l’enfant pourrait avoir besoin dans un contexte de violence familiale, conjugale ou sexuelle. La théorie de l’aliénation parentale, outil de prédilection des conjoints violents pour priver leur victime de moyen concret de protéger leur enfant, fait l'objet d’une saine remise en cause. Il s’agit, dans son ensemble, de nouvelles qui redonnent espoir au travers du tableau plus sombre dépeint plus tôt. Si le fait d’avoir des enfants nuit encore économiquement aux mères, on peut au moins se réjouir du fait que le droit reconnaît que l’utilisation des enfants dans une dynamique malsaine de violence conjugale existe et doit être minimisée.
Or, qui dit droit, dit dépenses pour les exercer et les faire reconnaître devant les tribunaux. D’où, précisément, l’interrelation directe entre les droits des femmes et leur situation économique. Le droit de la famille a un impact direct sur celle-ci. Dans les années 1980 jusqu’au début des années 1990, des efforts importants ont été consacrés par le législateur pour favoriser l’égalité — ou, au minimum, une forme d’équité — économique au sein des couples. Le recours en prestation compensatoire et le patrimoine familial illustrent bien ces efforts. Le problème, concrètement, est que ces mesures visaient alors et visent toujours une majorité de couples devenue minoritaire au fil du temps, soit les couples mariés.
Depuis l’affaire très médiatisée d’Éric contre Lola, tranchée en 2013 par la Cour suprême, le législateur n’est pas venu rectifier l’inégalité juridique dans laquelle se trouvent les conjoints de fait économiquement défavorisés par rapport aux conjoints mariés, qui bénéficient de mesures protectrices. Au nom de la liberté individuelle, l'État laisse les conjoints de fait sans la moindre obligation légale l’un envers l’autre. Pourtant, au nom de l’ordre public, il interdit aux conjoints mariés d’encadrer leur relation par des obligations mutuelles moindres qu’un partage de certains biens (le patrimoine familial) et l’obligation alimentaire entre conjoints — soit une obligation pendant et après le mariage selon laquelle les besoins essentiels des époux sont assurés par l’union économique qu’ils forment ou ont formée.
S’il est vrai que les conjoints arrivent parfois à un choix de se marier ou non qui soit fait librement et en toute connaissance de cause, certains bémols doivent être apportés. D’une part, un doute subsiste sur le fait que les conjoints de fait économiquement défavorisés — généralement les femmes — choisissent réellement l’union de fait sans pression indue de leur conjoint et connaissent suffisamment les protections offertes par le droit aux couples mariés pour que cette décision soit réfléchie. D’autre part, sans aucun doute, les enfants du couple n’ont, quant à eux, rien à dire sur le choix de l’union de fait et ses impacts sur la protection du parent économiquement défavorisé. Pourtant, celui-ci — généralement, la mère — aura souvent une part plus importante du temps parental en cas de dissolution de l’union. Il est difficile de nier que ses conditions de vie et ses problèmes financiers auront un impact direct sur eux. Une réforme est donc attendue en cette matière.
Tout compte fait, en tant que femme, je me considère chanceuse d’être au Québec à une époque où les efforts de générations entières de pionnières portent des fruits malheureusement pris pour acquis. À regarder l’état du reste du monde, et comme Simone de Beauvoir l’avait bien vu venir, les reculs sont possibles et se produisent. Ne serait-ce pas là l’occasion de positionner le droit civil québécois comme législation modèle en matière de droits des femmes ? Pour reprendre l’idée avancée par Emma Watson lors du lancement de la campagne « He for She » des Nations Unies en 2014, cela nécessite d’avoir une approche plus inclusive en matière de revendications du droit à l’égalité sur le fondement du sexe ou du genre, notamment en ce qui concerne les enjeux liés à la parentalité qui sont loin de concerner exclusivement les femmes.
Après tout, l’égalité réelle des sexes et des genres a vocation à bénéficier à l’ensemble de la population.