Mettons à jour la Loi sur les langues officielles
En ce 50e anniversaire de la Loi, le temps est venu pour l’adapter aux réalités du 21e siècle de sorte qu’elle puisse faire respecter le bilinguisme législatif et le bilinguisme judiciaire.
Cette année marque le 50e anniversaire de la Loi sur les langues officielles , dont l’un des objectifs premiers est d’assurer l’égalité du français et de l’anglais dans le contexte parlementaire et dans l’administration de la justice. Ces droits sont garantis par le gouvernement fédéral depuis 1867. Malheureusement, les témoins ont clairement indiqué que la Loi n’a pas encore pleinement réalisé son objectif premier, ce qui n’a pas été réglé lors de sa dernière révision majeure il y a plus de 30 ans. Si l’on veut que le Canada incarne pleinement les principes du bilinguisme et de la dualité linguistique, il faut s’assurer de moderniser la Loi afin que tous les Canadiens et Canadiennes y adhèrent.
Les failles de la loi actuelle sont manifestes dans le secteur de la justice, où les décisions des tribunaux fédéraux rendues dans une langue ne font pas toujours égale autorité à celles rendues dans l’autre langue. Sans compter que les décisions ne sont pas disponibles dans les deux langues officielles dans tous les cas. Si elles le sont, leur publication en français et en anglais n’est pas nécessairement simultanée. Cela engendre une inégalité d’accès à la justice.
En outre, il peut y avoir de graves conséquences si les plaidoiries et les procédures ne sont assurées que dans une seule langue officielle. Imaginez, par exemple, un individu en instance de divorce dont la langue maternelle est le français qui essaie de comprendre un règlement concernant la garde de son enfant qui est rédigé uniquement en anglais.
Comme l’a dit au comité Michael Bergman, président et cofondateur de l’Association des juristes d’expression anglaise du Québec, la situation s’applique aussi au Québec où un anglophone peut vivre une situation inverse.
« Il s’agit de l’expérience la plus bouleversante de leur vie » a expliqué M. Bergman, cependant, ces individus peuvent n’avoir aucune idée des résultats de l’audience simplement parce que la Loi n’a pas été mise à jour pour répondre à leurs besoins linguistiques.
Le Parlement est en bonne voie d’adopter des modifications à la Loi sur le divorce pour définir les obligations linguistiques qui en découlent, par l’entremise du projet de loi C-78, qui est en deuxième lecture au Sénat. Le budget fédéral déposé en mars 2019 prévoit même des fonds additionnels pour soutenir ce changement législatif et aider les Canadiens et Canadiennes à faire respecter leur droit d’opter pour l’une ou l’autre des deux langues officielles lors de procédures de divorce.
Mais cette amélioration ne saurait faire ombrage à d’autres problèmes soulevés par les experts du secteur de la justice, notamment dans le cas des personnes qui se représentent elles-mêmes dans des affaires civiles, ou encore, qui n’ont pas un avocat bilingue qui peut leur expliquer le résultat de l’audience.
Dans la loi actuelle, le système de justice ne semble pas mettre les justiciables au centre des préoccupations. Dans un monde idéal, tous les Canadiens et Canadiennes auraient accès à un avocat et à des intervenants du système de justice capables de leur offrir des services dans la langue de leur choix.
Il faut apporter des changements.
Le témoignage de M. Bergman fait partie des consultations menées par notre comité auprès d’experts du secteur de la justice, afin de recueillir leurs points de vue sur les modifications à faire à la Loi pour l’actualiser. Nos conclusions figurent dans un rapport provisoire intitulé La modernisation de la Loi sur les langues officielles : la perspective du secteur de la justice.
Les témoignages recueillis et les mémoires reçus ont mis en évidence la nécessité d’une révision en profondeur de la Loi pour garantir le bilinguisme législatif et le bilinguisme judiciaire.
Voici les trois messages clés du rapport :
Premièrement, les témoins entendus souhaitent une plus grande cohérence entre les dispositions de la Loi qui touchent au bilinguisme législatif et au bilinguisme judiciaire. Ils ont partagé, par exemple, que les décisions de justice devraient avoir la même valeur en anglais et en français et la pratique de corédaction des lois fédérales devrait se retrouver dans la Loi. D’abord et avant tout, il faudrait assurer la traduction d’un plus grand nombre de décisions de justice et prévoir leur publication simultanée dans les deux langues officielles.
Deuxièmement, le comité a entendu que la Loi doit garantir l’accès égal à la justice dans les deux langues officielles pour tous les Canadiens et Canadiennes. Pour atteindre cet objectif d’égalité, il faut entre autres exiger que les juges de la Cour suprême du Canada maîtrisent l’anglais et le français au moment de leur nomination. Ce changement, entre autres, signalerait que l’accès égal à la justice est une priorité.
Troisièmement, les témoins demandent que les mécanismes de mise en œuvre de la Loi soit revus. Par exemple, la partie IV de la Loi oblige le gouvernement à communiquer avec le public dans l’une ou l’autre des langues officielles, mais la portée de cette obligation demeure vague. De plus, la partie VII, telle que rédigée, fait en sorte que les droits des membres des communautés de langue officielle en situation minoritaire ne sont pas toujours respectés.
En ce 50e anniversaire de la Loi, c’est le moment idéal de veiller à ce qu’elle soit adaptée aux réalités du 21e siècle et qu’elle fasse respecter le bilinguisme législatif et le bilinguisme judiciaire, et ce, dans l’intérêt de tous les Canadiens et Canadiennes.
Nous ne voudrions pas qu’il se passe encore 50 ans avant que ces changements ne soient apportés. Voilà déjà 50 ans qu’ils auraient dû l’être.