Passer au contenu

Loi symbolique ou invitation à une intervention policière excessive?

Selon des observateurs, si les nouveaux crimes haineux créés par le projet de loi C9 ne sont pas appliqués, ce sera une victoire à la Pyrrhus

Une église vandalisée
iStock/Stephen Barnes

En réponse à la montée de l’antisémitisme et d’autres crimes motivés par la haine au Canada, le gouvernement libéral a déposé sa loi promise sur les crimes haineux au début de la session d’automne.

Le projet de loi C-9 modifierait le Code criminel et érigerait en infraction le fait d’intimider des gens et de les empêcher d’avoir accès à des lieux de culte, ainsi qu’à des écoles, centres communautaires et autres lieux principalement utilisés par des groupes identifiables. Appelée Loi visant à lutter contre la haine, elle criminalise également le fait de fomenter volontairement la haine contre un groupe identifiable par l’exposition en public de symboles terroristes ou haineux et elle érige en infraction distincte les crimes motivés par la haine. Elle vise une dénonciation plus claire et la garantie que les contrevenants rendront compte de leurs actes.

Au moment de déposer le projet de loi, le ministre de la Justice et procureur général Sean Fraser a tenu à préciser qu’il ne créait pas de « zones bulles » qui permettent d’interdire les manifestations à proximité de certains édifices, comme des cliniques d’avortement, puisque cela relève des provinces et des municipalités. Il a dit que la loi a été conçue avec soin de manière à ne pas empêcher les manifestations légitimes.

Ce n’est toutefois pas tout le monde qui est rassuré par les garanties du ministre Fraser.

Anaïs Bussières McNicoll, directrice du programme des libertés fondamentales de l’Association canadienne des libertés civiles, craint que la loi, dans sa version actuelle, criminalise les manifestants. Il en est ainsi parce que la nouvelle disposition sur l’intimidation érige en infraction la conduite dans l’intention de provoquer la peur chez une personne en vue d’entraver son accès à certains lieux. Elle dit que la liste des lieux est générale et vague et que le concept d’intention de provoquer la peur est flou et subjectif.

« La police pourrait facilement comprendre que la disposition lui permet d’intervenir dans des manifestations pacifiques, si elle est d’avis qu’elles comportent un caractère offensant ou perturbateur », dit Me Bussières McNicoll.

Bien qu’elle salue les mesures prises pour s’attaquer à la haine et à la violence visant les communautés 2ELGBTQI, Egale Canada partage les préoccupations au sujet de l’intervention policière excessive. La directrice des communications Jennifer Boyce dit que les infractions vagues sont susceptibles de criminaliser les manifestations 2ELGBTQI et d’imposer un fardeau indu sur leurs communautés.

« Il faut apporter des améliorations, comme l’établissement de distances semblables à celles des lois “zones bulles” et le fait de s’assurer que les dispositions relatives aux symboles ne peuvent pas être utilisées contre les communautés 2ELGBTQI, comme nous l’avons constaté dans d’autres pays. »

Des personnes craignent également que cette loi ne soit que symbolique, étant donné que des dispositions sur les crimes haineux existent déjà dans le Code criminel, dispositions que la police n’applique tout simplement pas.

« J’apprécie le fait que le gouvernement adopte une loi contre les comportements haineux au début de son programme législatif », dit Mark Sandler, président de l’Alliance of Canadians Combatting Antisemitism.

« Je crois que cette loi est en réponse à la montée de l’antisémitisme et d’autres crimes haineux que nous constatons partout au Canada, mais le principal obstacle à la poursuite des criminels motivés par la haine n’est pas l’absence de lois adéquates. »

Bien que les infractions créées par le projet de loi C-9 aient une importance symbolique, étant donné le puissant message qu’elles envoient, il croit que la priorité devrait être accordée à l’application des lois actuelles, qui visent notamment les méfaits, la perturbation du culte religieux et l’intimidation.

Même s’il croit que la nouvelle infraction d’intimidation sera difficile à prouver en fonction de l’élément de l’intentionnalité, Me Sandler appuie sans réserve la création d’une infraction distincte de crime haineux plutôt que la prise en compte actuelle de la haine comme facteur aggravant.

« Le casier judiciaire d’une personne reconnue coupable indiquera le crime motivé par la haine qu’elle a commis. C’est important parce que nous constatons qu’un certain nombre de personnes qui incitent à la haine récidivent », dit-il.

« Si ces personnes sont simplement condamnées pour avoir menacé de tuer ou d’agresser d’autres personnes, le casier judiciaire ne montrera pas qu’il s’agit d’une infraction motivée par la haine. »

Kyla Lee d’Acumen Law à Vancouver et ancienne présidente de la Section du droit pénal de l’ABC, a un point de vue différent. Elle craint que l’infraction distincte expose les gens à une plus grande responsabilité criminelle.

« Le problème à l’heure actuelle est que les contrevenants doivent présenter une défense contre deux infractions en même temps, la défense de l’une étant applicable à l’autre, mais qu’aucune défense apparente n’est possible contre l’infraction distincte de crime haineux », dit Me Lee, s’exprimant en son nom, puisque la section n’a pas encore pris position sur le projet de loi.

« Le projet de loi crée donc en fait une double incrimination législative. »

Elle prédit qu’il sèmera la pagaille dans la loi et qu’il faudra plus de temps pour régler des affaires, ce qui augmentera le fardeau sur le système judiciaire.

« Nous avons un problème avec la haine, mais ces infractions ne font pas souvent l’objet de poursuites, alors si nous rendons plus compliquées les infractions qui font l’objet de poursuites, cela ne fera qu’ajouter aux tâches qui occupent réellement le système de justice », dit Me Lee.

Rationaliser les accusations contre les crimes haineux

Le projet de loi élimine l’infraction actuelle de méfait en ce qui concerne les lieux de culte et d’autres endroits vulnérables lorsque la motivation est fondée sur des préjugés ou de la haine. Bien que cette élimination découle probablement de la croyance selon laquelle les nouvelles infractions d’obstruction et d’intimidation seraient suffisantes, Me Sandler pense que le libellé actuel devrait être conservé.

« En ce moment, beaucoup de lieux de culte et de centres communautaires sont vandalisés et, pour condamner une personne pour méfait en vertu du paragraphe 430(4.1), il faut prouver seulement que le geste était motivé par des préjugés ou de la haine, il n’est pas nécessaire de respecter le seuil de la haine pure, ce qui est un fardeau plus élevé », dit-il.

« C’est une différence importante, mais on l’a perdue de vue pendant l’examen. »

Le projet de loi C-9 a pour but de rationaliser le processus de dépôt d’accusations pour propagande haineuse par le retrait de l’exigence d’obtenir le consentement du procureur général, ce qui devrait permettre à la police d’agir plus rapidement. Bien que la bureaucratie et l’absence de volonté de déposer des accusations l’exaspèrent souvent, Me Sandler s’oppose néanmoins à la révocation de cette exigence.

« À première vue, ça semble très attrayant », dit-il, faisant remarquer qu’elle a été adoptée au départ pour éviter les abus des dispositions sur la propagande haineuse.

« J’ai vu des exemples où des gens cherchaient à instrumentaliser ces dispositions lorsque la preuve ne justifiait pas leur emploi. Je peux comprendre dans l’environnement polarisé dans lequel nous vivons maintenant que notre communauté pourrait être préoccupée à juste titre par l’abus de ces dispositions en l’absence du consentement du procureur général. »

Me Lee reconnaît que la disposition sur le consentement du procureur général devrait être maintenue, puisqu’il est possible que les infractions pour crime haineux puissent mettre à l’écart des communautés déjà marginalisées, en particulier compte tenu de l’historique des interactions des personnes queer et trans avec la police.

Dans une entrevue avec Power & Politics, l’ancien procureur général de l’Ontario Yasir Naqvi a dit que le processus relatif au consentement était exigeant parce que ce dernier ne pouvait être délégué. Maintenant que la loi sur les crimes haineux est plus complète, il ne croit plus qu’il est nécessaire.

Me Sandler pense que, plutôt que de retirer cette « soupape de sécurité », il vaudrait mieux pour les gouvernements fédéral et provinciaux de démontrer l’engagement de leur procureur général à déposer des accusations dans les cas appropriés et de créer un processus plus expéditif pour demander et obtenir ce consentement.

Il croit également que la loi devrait comporter des dispositions relatives à la criminalisation de la glorification du terrorisme. Il préférerait voir un libellé sur la fomentation volontaire conforme à d’autres parties du Code criminel, lesquelles portent sur le fait de fomenter volontairement la haine contre un groupe identifiable. Il espère présenter cet élément lorsque le projet de loi sera examiné en comité.

Peu importe le résultat, Me Sanders espère que la modification des crimes haineux dans la loi ne sera pas que symbolique.

« Si ces nouvelles lois ne sont pas appliquées, il s’agira d’une victoire coûteuse pour la communauté. »