À la recherche de partenaires commerciaux plus prévisibles
Si les décideurs politiques canadiens n’ont rien dit sur un éventuel rapprochement avec l’UE, la question fera sans doute parler dans les coulisses de la rencontre du G7 en Alberta

Après avoir subi la gifle de son principal partenaire commercial, le Canada, sans surprise, cherche à resserrer ses liens avec des alliés plus prévisibles, en particulier l’Union européenne.
Mais comment? Comme il est déjà partie à un accord de libre-échange exhaustif avec ce bloc de 27 membres, que peut-il faire de plus? Rien n’a encore été précisé à ce sujet, mais le renforcement des liens de coopération sera sans doute discuté dans les coulisses du sommet du G7, ce mois-ci en Alberta.
À court terme, les observateurs sont d’avis que le gouvernement fédéral devrait encourager la multiplication des alliances entre sociétés canadiennes et européennes, en particulier entre les petites et moyennes entreprises peu accoutumées aux marchés les unes des autres. De plus, il y aurait lieu d’harmoniser les lois sur les produits dans la mesure du possible.
Cependant, il se peut bien qu’à long terme, les décideurs aient à revoir leurs cadres de lois et de politiques, particulièrement dans les secteurs de l’agriculture, de l’intelligence artificielle et des ressources naturelles, où le Canada aspire à se faire chef de file mondial. Des politiques alimentaires aux droits territoriaux autochtones, en passant par la protection de la vie privée et l’encadrement de l’IA, le Canada doit savoir où apporter des changements pour tirer son épingle du jeu dans ce nouvel ordre mondial, comme certains l’appellent.
« Nous devons nous rapprocher davantage de la réglementation de l’UE », dit Erick Duchesne, professeur à l’Université Laval spécialisé en négociations commerciales internationales.
« Nous devons faire quelques ajustements et nous montrer plus flexibles. Le jeu en vaut vraiment la chandelle. »
Le renforcement des liens avec l’Europe jouit d’un vaste appui populaire au Canada. En effet, à la suite de la parution d’un article dont l’auteur, plaisantant à moitié, suggérait que le Canada rejoigne l’UE, un sondage a révélé que près de la moitié des Canadiens étaient d’accord.
Une situation délicate
Il sera toutefois délicat de nous repositionner sans nous attirer les foudres des É.-U., qui, à l’heure actuelle, reçoivent plus de 80 pour cent des exportations canadiennes. L’économie du Canada – et nombre de ses cadres décisionnels – n’a pas vraiment été pensée en fonction de l’agressivité inattendue de nos voisins du sud. Qui plus est, bien qu’elle compte près 500 millions de personnes et représente le plus grand marché au monde, l’UE reçoit moins de 10 pour cent des marchandises canadiennes.
Nombreux sont ceux qui disent qu’avoir pour voisin l’économie la plus importante et influente a permis au Canada d’ignorer certaines questions inopportunes et d’éviter de se doter d’une politique industrielle cohérente.
Or, il est maintenant impossible de continuer dans cette voie.
« Nous avons été extrêmement complaisants », dit Jacques Shore, associé chez Gowling WLG et ancien chef du groupe Affaires gouvernementales du cabinet, à propos de la dépendance du Canada envers les États-Unis.
D’après lui, on pourrait en faire bien davantage et mettre sur pied des politiques visant à diversifier les échanges commerciaux. Il se dit « confiant que le nouveau gouvernement Carney adoptera des initiatives en ce sens ».
Donner son plein effet à l’AECG
Comment le Canada pourrait-il donc se rapprocher de ses amis outre-mer? La plupart s’entendent pour dire qu’il y a lieu d’exercer des pressions diplomatiques afin de porter l’Accord économique et commercial global (AECG), l’accord de libre-échange conclu avec l’UE en 2017, à sa ratification finale. Actuellement en vigueur à titre provisoire, l’AECG a éliminé presque tous les tarifs dans de nombreux secteurs, ce qui a stimulé les échanges commerciaux dans leur ensemble et entraîné une hausse du nombre d’entreprises canadiennes faisant affaire avec l’UE.
Cependant, plusieurs pays de l’UE, dont la France, l’Italie et la Pologne, hésitent à y apposer leur signature.
Bien que cela n’ait que peu de répercussions au quotidien, puisque le bloc a l’autorité décisionnelle pour toute la région, il est important de surmonter ce dernier obstacle pour mettre fin à l’incertitude.
« Tant que l’accord n’est en vigueur qu’à titre provisoire, n’importe quel état membre de l’UE peut décider de ne pas ratifier l’AECG, ce qui en placerait l’avenir en terrain juridique inconnu », signale Achim Hurrelmann, professeur de sciences politiques et codirecteur du Centre d’études européennes à l’Université Carleton.
Nous ne savons pas encore avec certitude dans quelle mesure le Canada peut influencer ce processus. Parmi les différentes préoccupations des pays réfractaires, les désaccords en matière de sûreté des produits alimentaires demeurent l’une des grandes entraves à la ratification finale. En effet, les citoyens européens appuient vivement la prohibition de certaines pratiques agricoles courantes et bien acceptées au Canada et aux États-Unis, dont l’emploi de certains organismes génétiquement modifiés (OGM), hormones, pesticides et herbicides.
« Le conflit à propos des facteurs de croissance et de la viande date de plus d’une trentaine d’années, et il y a peu de chances qu’on en vienne à un terrain d’entente », indique Elizabeth Smythe, professeure émérite de sciences politiques au Collège universitaire Concordia de l’Alberta, à Edmonton.
Quant à eux, les producteurs agricoles canadiens ne seront sans doute pas enclins à changer leurs façons de faire, d’autant plus que les États-Unis représentent les deux tiers des exportations agroalimentaires.
Certains estiment qu’outre l’AECG, ce qui freine le secteur n’est autre que l’absence d’une politique agricole unitaire tenant compte des objectifs nationaux de durabilité, d’exportation, de santé et de sécurité alimentaire dans un contexte de changements climatiques effrénés.
Il faut mentionner que souvent, les objectifs gouvernementaux se contredisent. Dans la dernière décennie, Agriculture et Agroalimentaire Canada a milité pour une hausse des exportations, tandis que le gouvernement Trudeau, en 2015, a demandé aux ministères de la Santé et de l’Environnement de se pencher sur certains aspects de l’alimentaire, de la santé et du développement durable.
« Le gouvernement se doit de faire mieux », estime Mme Smythe.
Un meilleur encadrement des minéraux bruts
L’agriculture n’est pas le seul secteur à surveiller. L’industrie minière nécessite elle aussi des mesures concertées, particulièrement en ce qui concerne les droits territoriaux autochtones. D’aucuns croient que le régime législatif canadien fait entrave à l’expansion du secteur, compte tenu entre autres des différends en matière de souveraineté territoriale, qui prolongent – parfois de plusieurs décennies – le processus d’obtention d’autorisations et de permis miniers.
« Pour accélérer ces processus, nous devrons probablement trouver des solutions novatrices permettant d’équilibrer les obligations et les intérêts des promoteurs de projets, des communautés locales et des gouvernements », indiquaient récemment des juristes d’Osler dans un bulletin.
En ce qui concerne les processus d’obtention de permis, « le Canada doit mettre ses affaires en ordre, » insiste Mark Camilleri, juriste et chef de la direction de la Canada EU Trade and Investment Association.
« La réglementation canadienne devra être revue ou actualisée pour ne plus gêner ce type de projets, mais pour les faciliter. »
Des ressources comme le nickel, le lithium et le cobalt, pierres d’assise de l’économie numérique comme de la transition énergétique, représentent d’importants postes d’exportation canadiens, et l’UE a clairement signalé en vouloir davantage.
Le Canada est particulièrement bien positionné pour tirer parti de l’explosion de la demande en semiconducteurs, en batteries et en panneaux solaires, parmi la foule de produits essentiels à la vie moderne qui nécessitent des métaux et des minéraux. Non seulement le Canada dispose-t-il d’abondantes réserves naturelles, mais sa réputation en matière de source durable répond à de nombreux critères, tant chez les investisseurs que chez les gouvernements.
Comme le dit souvent le premier ministre Mark Carney, « ce que le monde veut, le Canada l’a. »
Nombreux sont ceux qui espèrent qu’il créera un environnement plus propice au développement minier – et aux affaires – pour les entreprises qui font dans les ressources naturelles, chez nous comme à l’étranger.
En 2021, l’UE et le Canada ont établi un partenariat stratégique en matière de minéraux bruts. Maintenant que l’UE a son plan « ReArm Europe Plan/Readiness 2030 » afin d’accroître rapidement ses capacités de défense en réponse à la menace posée par la Russie, le bloc est mûr pour faire davantage affaire avec le Canada, comme il lui manque plusieurs métaux essentiels.
Toutefois, les métaux et minéraux abondants du pays se trouvent presque tous en territoire autochtone, et les diverses parties prenantes ont du mal à s’entendre sur la propriété de ces terres et les droits qui les visent : qui possède quoi, où et aux termes de quelles règles ou de quels traités?
De nombreuses ententes ont déjà été conclues, ce qui a généré des partenariats féconds, et les entreprises minières comprennent qu’un projet ne peut être viable qu’avec l’appui local. Cela dit, de nombreuses incertitudes subsistent, mettant un frein à certains projets alors que les parties prenantes débattent, souvent devant les tribunaux. Plus particulièrement, il reste des questions à trancher : en quoi consiste une « consultation valable », dans quelle mesure un projet peut faire l’objet d’un véto et dans quelles circonstances ses modalités peuvent être négociées.
« La participation autochtone, c’est clairement la voie de l’avenir », assure Me Camilleri.
« L’Europe veut faire davantage affaire avec le Canada, mais celui-ci doit montrer au monde qu’il peut mener des projets vers une issue plus que satisfaisante. »