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Les conséquences du recul du Canada sur le climat

« Le gouvernement semble hypothéquer l’avenir des générations futures pour payer la crise d’aujourd’hui »

Oil sands operations in Fort McMurray, Alberta
iStock/dan_prat

Selon des militants, la volte-face du Canada sur les politiques climatiques pourrait compromettre la viabilité même du programme politique du Canada. 

Le récent protocole d’entente conclu entre le gouvernement fédéral et le gouvernement de l’Alberta prévoit un accord visant la construction d’un nouvel oléoduc, la suspension du Règlement sur l’électricité propre dans la province et l’annulation du plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier.

Ces mesures font suite à une série de politiques qui ont annulé les précédents engagements climatiques du Canada, dont la tarification du carbone pour les consommateurs, les dispositions législatives sur l’écoblanchiment et les mesures visant à appuyer l’électrification des ménages, notamment le programme Prêt canadien pour des maisons plus vertes. 

Selon le protocole d’entente, le Canada et l’Alberta maintiennent leur engagement envers la carboneutralité d’ici 2050, tout en améliorant l’abordabilité pour les consommateurs, la compétitivité économique et la certitude concurrentielle à long terme. Toutefois, des militants sont d’avis que l’accord a de vastes répercussions pour l’avenir climatique du Canada. 

« Le gouvernement semble hypothéquer l’avenir des générations futures pour payer la crise d’aujourd’hui », dit David Wright, professeur agrégé à la Faculté de droit de l’Université de Calgary. 

« L’économie semble l’emporter nettement sur l’environnement. »

« La Colombie-Britannique est la grande perdante »

L’élément phare du protocole d’entente, l’engagement de construire un oléoduc vers la côte nord de la Colombie-Britannique, a été immédiatement critiqué par les Premières Nations Côtières et des groupes de la société civile de la province. L’oléoduc permettrait la production et le transport d’au moins un million de barils de pétrole à travers la C.-B. et nécessiterait potentiellement une « modification conséquente » de la Oil Tanker Moratorium Act de la C.-B.

« La C.-B. semble avoir été mise à l’écart dans toute cette entreprise », avance Anna Johnston, avocate-conseil chez West Coast Environmental Law. 

Bien que le Canada fasse l’objet de critiques, « la Colombie-Britannique est la grande perdante ».

Le protocole d’entente promet d’accélérer la construction du pipeline grâce à la Loi visant à bâtir le Canada. La combinaison de l’inclusion possible du pipeline sur la liste des grands projets et l’échéancier ambitieux pour la réalisation du pipeline soulève une « véritable question d’actualité juridique » au sujet des droits des Autochtones, souligne-t-elle. 

L’accord prévoit un échéancier fixé au 1er juillet 2026 pour la présentation par l’Alberta d’un projet de pipeline au Bureau des grands projets, précisant un délai maximal de deux ans pour l’autorisation et l’approbation. Le pipeline repose sur le projet Nouvelles voies (pour le captage et l’utilisation du carbone), dont la construction doit commencer simultanément, à compter de 2027. Toutefois, une consultation adéquate auprès des titulaires de droits autochtones ne peut être faite aussi rapidement, selon Me Johnston. 

Il n’est pas clair comment le traitement accéléré d’un projet de pipeline en vertu du projet de loi C-5, lequel permet l’approbation d’un projet avant la réalisation d’un examen, faciliterait une véritable consultation. Il n’y a aucune mention d’un consentement autochtone dans le protocole d’entente.

« Les titulaires de droits autochtones auront un nombre incalculable d’occasions de le contester avec succès. »

Selon Me Wright, le gouvernement fédéral semble adopter une position par rapport au protocole d’entente selon laquelle il n’a aucune obligation de consultation à cette étape. Bien que ce soit vrai au sens strict, d’autres considérations entrent aussi en ligne de compte, comme le travail de réconciliation, le contexte des traités et l’engagement du Canada à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. 

« Tous ces éléments portent à croire que ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder. » 

Les chefs de l’Assemblée des Premières Nations ont voté à l’unanimité pour le retrait de l’accord sur le pipeline. 

Une compromission potentiellement fatale

Bien qu’une grande partie de la réaction initiale au protocole d’entente ait porté sur le pipeline, les conséquences en ce qui concerne le Règlement sur l’électricité propre au Canada sont tout aussi graves, selon Charlie Hatt, directeur du programme sur le changement climatique d’Ecojustice. 

« Essentiellement, le protocole d’entente compromet, peut-être irrémédiablement, le Règlement sur l’électricité propre », dit-il.

« Il s’agit d’un changement majeur qui n’était pas prévu parce que le gouvernement Carney s’est exprimé en faveur du Règlement sur l’électricité propre. »

Le Règlement devait permettre la transition du réseau électrique du pays vers la carboneutralité d’ici 2050, ce qui en faisait le fondement de la décarbonisation au Canada, selon M. Hatt. 

« Il faut d’abord obtenir un réseau électrique carboneutre qui peut ensuite être utilisé pour électrifier d’autres secteurs de l’économie. »

Néanmoins, le Règlement était controversé. Au printemps, le gouvernement de l’Alberta a intenté une poursuite contre le gouvernement fédéral, alléguant qu’il s’agissait d’un exercice fédéral inconstitutionnel de la compétence législative. 

Le protocole d’entente a suspendu le Règlement sur l’électricité propre en Alberta, où il devait avoir l’effet équivalent de retirer 49 millions de véhicules de la route, et de les remplacer par un système de tarification du carbone, initialement fixé à 130 $ la tonne.

Toutefois, la tarification du carbone ne suffit pas toujours pour réduire les émissions. En remplaçant le Règlement par la tarification du carbone, M. Hatt dit que le gouvernement fédéral a échangé les faibles émissions obligatoires contre un outil qui n’offre aucune garantie de résultat.

On ne sait pas non plus quel mécanisme le gouvernement fédéral utilisera pour exonérer l’Alberta. Bien qu’il semble y avoir un accord d’équivalence, ce libellé n’est pas utilisé dans le protocole d’entente, ce qui soulève des questions quant à savoir si le gouvernement envisage un changement à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement pour ajouter un nouveau mécanisme d’octroi d’exemptions.

Dans un cas comme dans l’autre, cette situation risque d’avoir un effet d’entraînement au-delà de l’Alberta. Déjà, le ministre fédéral de l’Énergie Tim Hodgson a avancé qu’il est ouvert à négocier des exemptions avec d’autres provinces. M. Hatt dit que cela créera de l’incertitude dans les règlements sur le climat. 

« Essentiellement, le gouvernement fédéral permet à tout gouvernement provincial qui dépend fortement des énergies fossiles polluantes, comme le gaz naturel, pour générer de l’électricité, de tenter de conclure une entente avec le gouvernement fédéral. »

Le respect des cibles climatiques désormais « impossible »

Me Wright explique que, même s’il est raisonnable de penser que les récentes politiques du gouvernement fédéral sont susceptibles de saboter les progrès du Canada quant à la réduction des émissions, il est trop tôt pour l’affirmer. À son avis, le gouvernement fédéral doit modifier de façon transparente sa comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre.

En vertu de la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, le gouvernement fédéral est tenu de préparer un plan détaillé de réduction des émissions et d’en faire rapport. Le plus récent plan, publié en 2023, laissait entendre que le Canada était plus ou moins sur la bonne voie pour respecter ses engagements pris en vertu de l’Accord de Paris. Cela dit, un récent rapport de l’Institut climatique du Canada indiquait que le Canada n’atteindrait pas sa cible provisoire de 2030. 

Le prochain rapport doit être publié à la fin du mois, ce qui donne aux groupes de la société civile et aux groupes de réflexion la possibilité d’examiner la comptabilisation du gouvernement, selon Me Wright.

Me Wright a aussi noté qu’il est « manifeste » que le protocole d’entente ne contient aucun engagement de la part de l’Alberta pour réduire ses émissions avant 2050, bien que la science climatique ait établi que la réduction des émissions doit déjà être en cours et s’accroître rapidement

En définitive, cette omission entraînera des conséquences pour l’ensemble du pays.

« Cela aura pour effet de rendre difficile pour le Canada de respecter ses cibles à plus court terme en vertu de l’Accord de Paris, plus probablement ceux de 2030 et de 2035. »

Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement dans le gouvernement Trudeau, a démissionné du cabinet du premier ministre Carney en raison du protocole d’entente et d’une mésentente « profonde » quant à la politique climatique. Il dit que la position du Canada est insoutenable; le respect de nos cibles climatiques est désormais « impossible ».

« Je pense que le gouvernement doit être honnête avec les Canadiennes et les Canadiennes », a-t-il récemment déclaré à l’émission Power Play.

« À cause du recul constaté ces derniers mois à l’égard de différentes mesures de changement climatique adoptées au cours des années par moi-même et certains de mes prédécesseurs, il est impossible de voir comment nous allons atteindre nos cibles de 2030. »