Passer au contenu

La lutte contre les contaminants éternels

L’heure tourne pour les entreprises canadiennes, sur fond d’une déferlante de poursuites contre les fabricants, pour déclarer la présence de SPFA dans leur chaîne d’approvisionnement

Chemical flask with river water in it for testing
iStock/wasja

La sagesse populaire veut qu’un mouvement ne soit véritablement enclenché qu’une fois que la Colombie-Britannique est de la partie. Eh bien, après le recours collectif contre les cigarettiers en 1998 et les producteurs et distributeurs d’opioïdes en 2018, le gouvernement britanno-colombien a déposé en juin dernier une proposition de recours collectif national devant la Cour suprême provinciale contre les fabricants de ces composés chimiques que l’on appelle les « contaminants éternels ».

Premier gouvernement canadien à s’adresser aux tribunaux pour recouvrer les coûts du nettoyage des contaminants éternels, les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (SPFA), dans son eau potable, la province surfe une vague qui, comme tant d’autres, nous arrive des États-Unis.

C’est plus de la moitié des procureurs généraux des 50 États américains qui ont intenté des poursuites contre les fabricants de SPFA. La multinationale 3M a annoncé l’an dernier qu’elle paierait au moins 10,3 milliards de dollars pour mettre fin aux actions engagées à son encontre au motif de la contamination par les SPFA de centaines de réseaux d’eau potable chez nos voisins du Sud.

Semblablement, trois autres entreprises – DuPont et deux sociétés issues de sa scission, Chemours Company et Corteva Inc. – ont signé un accord de 1,18 milliard de dollars pour solder les réclamations d’environ 300 fournisseurs d’eau potable. Qui plus est, 3M promet de cesser la production de SPFA d’ici la fin de l’année.

La Colombie-Britannique a senti le vent tourner : elle s’en prend ainsi à 3M, DuPont, Tyco et BASF – tous des fabricants, négociants, distributeurs et vendeurs de produits contenant des SPFA.

« [Les recours collectifs] sont plus médiatisés, et pris davantage au sérieux, que les actions en justice à moindre échelle », explique Jennifer Fairfax, associée à Osler, spécialisée en droit autochtone et environnemental.

« Les SPFA étant un problème brûlant d’actualité, les regards sont braqués sur l’affaire. »

Les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées s’emploient dans les produits à l’épreuve de la chaleur, de l’eau et des taches, ce qui explique pourquoi on les retrouve un peu partout, des mousses ignifuges aux poêlons antiadhésifs. Extrêmement stables, ces composés ne se dégradent pas naturellement, ce qui cause leur accumulation dans l’environnement, chez les animaux, et chez l’humain. Les SPFA ont été associées au cancer, aux maladies rénales et hépatiques et à des troubles immunitaires… d’où les actions en justice.

Les litiges liés aux SPFA foisonnent au Canada depuis quelques années. Des cabinets privés en Ontario et en Colombie-Britannique ont entrepris des recours collectifs contre des géants de l’industrie chimique pour le compte de particuliers dont les puits auraient été contaminés aux SPFA. Le Conseil national de recherches du Canada se voit attaqué en justice par un groupe de propriétaires fonciers ontariens : son laboratoire aurait pollué leur eau potable. Au Québec, un pompier a convaincu le tribunal que son exposition aux SPFA dans les mousses anti-incendie est à la source de son cancer testiculaire.

L’an dernier, un juge de district américain a sonné l’alarme : toutes ces réclamations pourraient représenter une « menace existentielle » pour les entreprises visées. Les sociétés canadiennes ne peuvent s’attendre à s’en sortir indemnes.

« La connaissance de cause [des fabricants quant aux effets sur la santé] a bien été établie dans les litiges au sud de la frontière, estime Elaine MacDonald, directrice de programme à Ecojustice.

« Il y a beaucoup d’affaires, donc beaucoup de preuves. Maintenant, ce sont des décennies de recours en justice qui nous attendent [au Canada]. »

Les litiges ne se limiteront probablement pas qu’à l’industrie chimique. De grandes sociétés du secteur de l’alimentation ont été poursuivies aux États-Unis. Toute entreprise qui incorpore des SPFA dans ses produits pourrait être écorchée – même si elle n’en a pas encore conscience.

« Les entreprises ne savent pas forcément que ces substances sont présentes dans leur chaîne d’approvisionnement, soutient Rohan Shah, avocat à Osler.

« Cette chaîne peut être extrêmement complexe, et s’étendre sur plusieurs continents. »

Talia Gordner, associée en droit environnemental et en litige commercial à McMillan, est d’avis qu’un problème majeur pour les entreprises qui voudraient mettre au clair leur responsabilité concernant les SPFA réside dans l’omniprésence de ces substances dans mille et une chaînes d’approvisionnement.

« On parle ici d’environ trois à quatre mille composés chimiques distincts, dit-elle. »

« Ils peuvent être présents de bien des façons dans bien des choses, ce qui les rend beaucoup plus difficiles à inventorier que, par exemple, les réfrigérants. »

Le gouvernement fédéral oblige les entreprises à déclarer la présence de SPFA dans leur chaîne d’approvisionnement au plus tard le 29 janvier. Les administrateurs et dirigeants ont un devoir positif, selon la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, de se garantir conformes. Qui plus est, ils engagent leur responsabilité personnelle aux yeux de la Loi si, par exemple, ils ont connaissance de l’obligation de déclaration, mais n’agissent pas en conséquence.

La recherche est la mesure première à prendre pour prévenir les problèmes, conseille Me Gordner aux entreprises – soit tester les produits et les procédés pour détecter la présence de SPFA.

« Peut-être que l’idée d’y être exposé ne vous inquiète pas – si même vous avez considéré la possibilité. Mais comment savoir, si vous ne creusez pas la question? »

Comme il s’agit de substances qui s’accumulent dans l’écosystème, dans le sol et dans la nappe phréatique, les entreprises doivent aussi examiner leurs installations.

« Dans certains cas, nul besoin de passer sa chaîne d’approvisionnement au peigne fin. Vous pouvez faire appel à un expert qui prélèvera des échantillons de vos produits et de votre établissement industriel pour les envoyer en laboratoire. »

« Si vous fabriquez un produit qui a de bonnes chances de contenir des SPFA et vous ne le faites pas analyser… c’est un risque que vous courrez. »

Bon, et que faire si l’on découvre la présence de SPFA?

« Je dirais qu’à ce moment-là, on va vouloir s’adresser à un expert-conseil qui pourra faire une évaluation des risques. »

« Est-ce que les composés trouvés figurent parmi ceux que les autorités de réglementation jugent dangereux? Depuis combien de temps se trouvent-ils dans vos produits? Avez-vous d’autres options? Le but est d’établir l’étendue de la responsabilité de votre entreprise. »

Il arrive que les substances soient en quelque sorte encapsulées, et donc d’une moindre dangerosité. Il faut toutefois voir avec un avocat quel est le degré de risque. Vous saurez, à la lumière de cette évaluation, s’il faudra vous préparer à des poursuites.

« Certaines entreprises, comme les fabricants, sauront se faire une bonne idée de la teneur de leurs produits, dit Me Gordner. Mais ça peut finir par coûter cher. »

« Faut-il prévoir un coussin pour payer votre représentation en justice? Devriez-vous carrément retenir les services d’un juriste? Eh bien, c’est là une question que vous devriez poser… à un juriste. »