Divisions en matière de compétences
Préparez-vous à d'autres contestations en matière de responsabilité climatique.
Lorsque le gouvernement fédéral a présenté un projet de règlement sur l’électricité propre au mois d’août, la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, n’a pas perdu de temps avant de le qualifier « d’inconstitutionnel et d’irresponsable ».
« Il ne sera pas mis en œuvre dans notre province – un point c’est tout », a-t-elle déclaré.
Le règlement vise à établir un réseau électrique carboneutre d’ici 2035 – la base pour atteindre des émissions nettes nulles de gaz à effet de serre à l’échelle de l’économie d’ici 2050.
Plus de 84 % de l’électricité au Canada provient de sources renouvelables et non polluantes. Alors que de plus en plus de gens passent aux thermopompes et aux voitures électriques, les représentants du gouvernement estiment que le Canada devra doubler la production d’électricité actuelle pour répondre à la demande à l’avenir.
Le projet de règlement établit une norme d’émissions de GES pour les producteurs d’électricité d’ici 2035, avec une exemption pour l’utilisation d’appareils alimentés avec du combustible fossile en cas d’urgence. Ils permettent également à la production de combustibles fossiles de jouer un rôle limité et décroissant pour éviter que de grandes immobilisations ne soient bloquées et pour maintenir des tarifs d’électricité abordables.
Les collectivités rurales et éloignées qui ne sont pas reliées au réseau principal pourront également utiliser des sources comme le diesel après l’entrée en vigueur du règlement, le 1er janvier 2025.
Le gouvernement fédéral a-t-il outrepassé ses pouvoirs? En vertu du sous-alinéa 92a(1)c) de la Loi constitutionnelle, il est de la compétence exclusive des provinces et des territoires de légiférer dans « l’aménagement, la conservation et la gestion des emplacements et des installations de la province destinés à la production d’énergie électrique ».
La ministre de l’Environnement de l’Alberta, Rebecca Schulz, souligne que les restrictions à l’exploitation future du gaz naturel de la province sont un motif de préoccupation constitutionnelle, affirmant que cela est carrément de compétence provinciale.
Eric Adams, professeur de droit à l’Université de l’Alberta et constitutionnaliste, affirme que les tribunaux devront trancher cette question.
« Il y a des arguments de part et d’autre, et quiconque dit que c’est une affaire facile ne comprend pas tout à fait la mesure dans laquelle il sera difficile de bien réfléchir à cette cause », dit-il.
Établir la compétence provinciale exclusive n’est pas aussi simple que de se référer à un article de la loi. « La Constitution ne fonctionne pas comme ça », croit Me Adams.
En vertu de la « théorie du double aspect », les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral peuvent légiférer sur le même sujet. Dans ce cas, bien que le règlement puisse avoir une incidence sur certains aspects de la production d’électricité, qui est de compétence provinciale, son véritable objectif est de traiter les émissions que génère la production, aspect qui relève du fédéral. « Cela ne rend pas la chose inconstitutionnelle, précise Me Adams. Il s’agit simplement de la réalité du fédéralisme dans lequel nous vivons. »
Le règlement sur l’énergie propre est le plus récent exemple de l’un des défis du fédéralisme canadien en ce moment : comment déterminer l’étendue de la compétence fédérale dans la gestion de la crise climatique sans passer par la compétence provinciale?
Le règlement crée une infraction relative à la production d’électricité. Matthew Keen, expert en droit de la réglementation de l’énergie et de l’environnement chez Norton Rose Fulbright à Vancouver, prévoit un procès qui soumettra l’article 92a à la théorie de l’intérêt national.
Il s’attend à ce qu’Ottawa s’appuie sur la décision qu’a rendue la Cour suprême en mars 2021, qui confirmait la constitutionnalité de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Plus précisément, la cour a statué que les répercussions du réchauffement climatique vont au-delà des frontières provinciales, ce qui en fait une question d’intérêt national en vertu en vertu de la disposition sur « la paix, l’ordre et le bon gouvernement ».
Cependant, la plus haute cour au pays n’a pas encore rendu sa décision sur la Loi sur l’évaluation d’impact, une autre affaire de partage des pouvoirs.
Promulguée en 2019, la LEI confère à Ottawa le pouvoir d’évaluer les conséquences climatiques des nouveaux projets de ressources. En contestant la constitutionnalité de la loi, l’Alberta s’appuie en grande partie sur l’article 92a, soutenant qu’elle empiète sur la compétence provinciale et qu’elle bloque les nouvelles infrastructures énergétiques. En mai 2022, la Cour d’appel de l’Alberta s’est rangée du côté de la province, qualifiant la loi de « boulet de démolition » par rapport au partage des pouvoirs et de « préemption stupéfiante de l’autorité provinciale ».
Me Keen affirme que la prochaine décision de la Cour suprême influencera une contestation contre le règlement sur l’énergie propre.
Pourtant, des affaires judiciaires récentes ont clarifié quelques éléments clés, selon M. Adams. Premièrement, les tribunaux acceptent la réalité selon laquelle les gouvernements sont confrontés à une crise climatique.
Tous les arguments qui tentent de minimiser la situation ou qui suggèrent que le gouvernement ne peut pas régler le problème ont peu de chances de réussir et se retrouvent dans une « impasse ».
Cependant, cela ne veut pas dire que le gouvernement fédéral a carte blanche pour faire ce qu’il veut.
« La Cour suprême cherchera toujours des façons dont l’exercice de la compétence fédérale dans le domaine de l’environnement est étroitement lié à une compétence limitée », dit-il.
Selon Martin Olszynski, professeur agrégé en droit de l’environnement et des ressources naturelles à l’Université de Calgary, le gouvernement fédéral ne pourra s’appuyer sur la théorie de l’intérêt national pour faire respecter le règlement sur l’énergie propre. Son pouvoir devra être ancré dans le droit pénal, dit-il, citant l’affaire R. c. Hydro-Québec, où la Cour suprême a statué que « la responsabilité de l’être humain envers l’environnement est une valeur fondamentale de notre société, et que le Parlement peut recourir à sa compétence en matière de droit criminel pour mettre cette valeur en relief ».
De plus, le pouvoir fédéral en matière de droit pénal « ne constitue nullement un empiétement sur la compétence législative provinciale, bien qu’il puisse toucher à des matières qui en relèvent ».
Le gouvernement fédéral s’en est servi pour défendre le règlement exigeant que tout le carburant diesel canadien contienne au moins 2 % de carburant renouvelable. En 2016, la Cour d’appel fédérale a confirmé à l’unanimité ce règlement dans l’affaire Syncrude c. Canada. « Les tribunaux ont dit très clairement que les changements climatiques sont un mal que le Parlement peut réprimer avec sa compétence dans le domaine du droit pénal », affirme Me Olszynski. Il ajoute qu’il ne s’agit pas d’une simple formalité, mais que « sur la base de la jurisprudence existante, le gouvernement fédéral a un meilleur argument que la province ».
En contestant le règlement, Me Olszynski laisse entendre que l’argument le plus solide de l’Alberta serait de restreindre l’application du pouvoir en matière de droit pénal en soutenant qu’il éviscère la compétence provinciale. « C’est évidemment un territoire inconnu », croit-il.
Il sera également ardu de persuader la plus haute cour du pays de revoir des principes bien établis et des précédents jurisprudentiels – plus encore s’il s’agit de changements climatiques, considérés comme une menace existentielle.
Me Olszynski affirme que le contexte actuel n’est pas favorable pour les provinces, d’autant plus que leurs émissions ne cessent d’augmenter.
Il espère que pendant la période de consultation du règlement, qui prendra fin le 2 novembre, les politiciens pourront éviter les tactiques de peur, comme les déclarations contestées du premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe selon lesquelles le règlement est « irréalisable » et « qu’il doublerait le coût de l’électricité, si ce n’est plus ».
Cependant, Me Olszynski s’attend à une nouvelle contestation devant les tribunaux et craint que certains premiers ministres refusent de se conformer au règlement, même après une décision qui le confirme. Ils signalent essentiellement qu’ils ne respecteront pas la primauté du droit, dit-il, les mécanismes et processus normaux par lesquels ces différends sont résolus.
« Si le règlement est valide, il n’y aura pas d’espace constitutionnel pour cette question. Nous cesserons d’être un pays fonctionnel à ce stade. »