Passer au contenu

Empêcher l’inaction

En se prononçant sur la constitutionnalité de la tarification du carbone, la Cour suprême rappelle qu’il revient à chaque palier gouvernemental à agir.

Carbon dollar symbol

Le renvoi de la Cour suprême sur la loi fédérale sur la tarification du carbone était attendu de pied ferme autant par les groupes écologistes que par les provinces. De nombreux intervenants ont été reçus par le plus haut tribunal du pays pour plaider leurs arguments quant à une cause hautement complexe relativement au partage constitutionnel des compétences entre le fédéral et les provinces.

Dans le camp des provinces, on mettait de l’avant que la tarification du carbone relevait des compétences des provinces, et qu’une intervention fédérale en la matière empiétait sur celles-ci. De l’autre côté, plusieurs groupes écologistes, dont le CQDE, sont venus défendre l’importance cruciale d’accorder au parlement fédéral un pouvoir de légiférer sur l’enjeu fondamental de notre époque que constitue la crise climatique.

À la lecture de l’arrêt, on est d’abord frappé par l’importance accordée à la revue de la science relativement aux changements climatiques. La Cour suprême fait une analyse fine et rigoureuse de la situation au Canada, et ce qui attend le pays advenant son inaction. On y répète que l’Arctique se réchauffe trois fois plus vite que la moyenne du reste de la planète, que le Canada n’est pas du tout en voie de remplir ses objectifs de diminution des gaz à effet de serre, et que les changements climatiques se font particulièrement ressentir dans les régions côtières du pays, ainsi que chez les communautés autochtones qui voient leur mode de vie traditionnel bouleversé et menacé.

Pour Me David Robitaille, avocat du CQDE, la Cour suprême n’a jamais été aussi claire quant à la science des changements climatiques. « Il s’agit de l’arrêt le plus explicite en la matière. On voit que la Cour s’est fondée sur la science. (…)Le juge Wagner utilise le terme « incontestable » pour décrire la science sur le sujet, un terme qui est tout de même assez fort, » a-t-il indiqué en entrevue.

La Cour suprême devait ainsi analyser la loi fédérale selon des critères bien établis relativement à la séparation des champs de compétences. Elle devait établir le caractère véritable de la loi et analyser la matière afin de déterminer si la loi est compatible avec le champ de compétence visé. Est-ce que cette matière présente un intérêt national pour le Canada ? Est-ce que les provinces ont la capacité de s’occuper de la matière de manière à obtenir un effet national ? Est-ce que l’effet de la législation sur la compétence provinciale est compatible avec le partage des compétences ? Une majorité de six juges a conclu que la loi telle que rédigée était effectivement constitutionnelle.

« D’un point de vue politique, c’est d’autant plus important qu’au Canada, on en est encore à tenter d’avoir une adhésion de toutes les provinces sur une reconnaissance que les changements climatiques sont causés par l’activité humaine et qu’il y a une urgence d’agir, » poursuit Me Geneviève Paul, directrice générale du CQDE.

Le contexte politique est effectivement volatile sur la question. Le gouvernement ontarien de Doug Ford avait notamment lancé une campagne de publicité gouvernementale en 2019 qui militait pour l’abolition de la taxe carbone et qui obligeait les stations-service à l’apposer sur leurs pompes à essence. Une campagne qui a depuis été déclarée inconstitutionnelle par la Cour supérieure de l’Ontario, et pour laquelle le gouvernement n’a pas interjeté appel. Ce n’est là qu’un aperçu des divisions politiques que suscite la réglementation du carbone au Canada.

Est-ce que cette décision aura des effets durables sur la jurisprudence canadienne en matière de partage des compétences ? Dans son éditorial du 30 mars 2021, Robert Dutrisac, au Devoir, affirmait qu’il s’agissait d’une décision qui allait favoriser dans le futur une centralisation accrue du gouvernement fédéral. Une position que ne partage pas le CQDE.

« Il était important pour nous de préserver la capacité de chaque palier gouvernemental à agir. (…) Les provinces peuvent avoir la latitude de créer leur propre système, tout en empêchant l’inaction, » indique Me Paul.

Le débat politique pourra-t-il évoluer quant à la tarification du carbone ? Ce jugement conscrit-il au passé les débats idéologiques relativement aux changements climatiques ?

En Alberta, même s’il ne démord pas de ses arguments plaidés devant la Cour suprême, le premier ministre Jason Kenney a promis de consulter la population au sujet d’un système provincial de tarification du carbone.

Malgré tout, un futur gouvernement fédéral pourrait tout aussi bien abolir la nouvelle législation canadienne. Cet arrêt n’impose pas d’obligation positive au gouvernement. « Pour imposer des obligations juridiques positives à l’État, le meilleur véhicule sera les droits fondamentaux (comme) l’article 1 de la Charte québécoise qui accorde le droit à toute personne à la sécurité physique et psychologique et l’article 46.1 qui reconnaît le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité, » poursuit Me Robitaille.