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La réalité des OBNL

Des avocats et avocates réclament des modifications à la loi régissant les organisations à but non lucratif afin qu’elle corresponde davantage aux réalités prévalant dans le secteur.

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Lorsque la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif est entrée en vigueur en 2011, elle a été accueillie avec un mélange d’approbation et de déception par les avocats et avocates qui œuvrent dans le secteur des organismes de bienfaisance et à but non lucratif. Maintenant qu’elle s’apprête à faire l’objet de l’examen décennal obligatoire par le Parlement, on espère que certaines modifications y seront apportées.

À l’époque, la LCOBNL avait obtenu un certain mérite pour avoir modernisé le droit du secteur des organismes à but non lucratif. Néanmoins, les conseillers et conseillères juridiques des organismes de bienfaisance et à but non lucratif (OBOBNL) ont peiné à mettre en œuvre certaines de ses règles et ont dû trouver des solutions de rechange, explique Me Cliff Goldfarb, avocat pour le cabinet Gardiner Roberts de Toronto. Selon lui, « elle a permis de régler certaines lacunes et de mettre en œuvre plusieurs de nos demandes ». Mais plusieurs de ses collègues l’ont trouvée inutilement prescriptive, trop protectrice et sans aucune adéquation philosophique avec la culture qui avait évolué dans le secteur des OBOBNL au cours des décennies précédentes.

Me Goldfarb soutient qu’Industrie Canada (le nom d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada à l’époque) a imposé un cadre qui était tout à fait étranger au secteur, au sein duquel existaient des pratiques et des conceptions déjà bien établies. « Ils ont choisi d’appliquer, de façon arbitraire, des concepts qui ne s’appliquaient pas, sans même se questionner sur les répercussions éventuelles. Si un de ces concepts n’existait pas dans une situation donnée, ils le créaient, sans que cela soit nécessairement pertinent par rapport au fonctionnement du secteur. »

Alors que sa prédécesseure, la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes, ne traitait qu’assez peu de la question des OBNL, « la loi actuelle fournit beaucoup plus de directives et d’information », reconnaît Me Linda Godel, associée au sein du cabinet Torkin Manes de Toronto. Un des points positifs de la loi a été la mise en place d’un système souple pour l’inscription, les communications et les dépôts par voie électronique.

À bien des égards, la LCOBNL est un reflet de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA), ce qui a posé de nombreux défis aux avocats et à leurs clients du secteur des OBOBNL afin d’adapter leurs pratiques à ce cadre juridique fondé sur un modèle de société par actions.

« Les organisations à but non lucratif ne sont pas comparables aux sociétés par actions, souligne Me Godel. L’objectif des sociétés par actions est de maximiser le profit de leurs actionnaires, alors qu’il n’y a aucune participation dans les capitaux propres du côté des organisations à but non lucratif. » Plusieurs principes empruntés à la LCSA concernant le droit de propriété ne « conviennent simplement pas », ajoute-t-elle.

Une loi mieux adaptée

En vue de l’examen de la LCOBNL, la Section du droit des organismes de bienfaisance et à but non lucratif de l’ABC a déposé un mémoire [en anglais] auprès de Corporations Canada. On y trouve une série de recommandations qui visent à « éliminer certaines difficultés et, de façon générale, à rendre la Loi plus pertinente et plus utile dans le secteur ». 

En novembre 2018, à l’occasion de son témoignage devant le comité spécial du Sénat sur le secteur de la bienfaisance, Me Goldfarb a décrit le régime actuel comme artificiel, complexe et fondé sur des principes de droit des affaires importés et non pertinents. Il a identifié certains éléments de la Loi qui gagneraient à être modifiés, dont trois qu’il a décrits comme fondamentaux, soit la distribution des actifs aux membres ou à d’autres OBNL, la démocratie au sein de l’organisation et la reddition de comptes. Si ces trois aspects sont résolus, « de nombreux autres problèmes le seraient également », soutient Me Goldfarb.

Selon lui, le concept d’« organisation ayant recours à la sollicitation » de la LCOBNL, l’homologue du concept de « société ayant fait appel au public » de la LCSA, qui s’applique aux grandes sociétés ouvertes, est déstabilisant et ne convient pas. Il s’applique à plusieurs petites OBNL administrées par des bénévoles, en plus de s’appliquer à certains organismes de bienfaisance, mais pas à d’autres, et de varier d’une année à l’autre. Il peut également s’appliquer à des personnes morales qui reçoivent du financement d’organisations ayant recours à la sollicitation, mais qui n’en prennent conscience que plus tard. 

Le fait de conférer le droit de vote aux membres sans droit de vote et l’obligation de prévoir au moins une catégorie de membres ayant le droit de vote pour les organisations avec plusieurs catégories de membres constituent un sérieux problème. Bien que les actionnaires des sociétés par actions et les membres des OBNL jouent un rôle semblable, une différence majeure subsiste : les membres de l’OBNL n’ont aucun intérêt économique dans l’organisation. Cela se traduit par une diminution de la démocratie au sein des organisations, puisque bon nombre d’entre elles ont opté pour l’élimination complète de toutes les catégories de membres sans droit de vote, observe Me Goldfarb. « D’autres organisations ont usé de moyens détournés complexes pour réduire le nombre de catégories à un seul. »

Diminuer le fardeau entraîné par les vérifications

En ce qui a trait à la responsabilité comptable, « plusieurs organisations se voient contraintes d’effectuer des missions de vérification; celles-ci coûtent très cher et grugent une bonne partie du budget des plus petites organisations », note Me Goldfarb. Un organisme de bienfaisance qui récolte plus de 50 000 $ est tenu d’effectuer soit une mission de vérification soit une mission d’examen. Pour pouvoir se soustraire à cette obligation de vérification, l’organisation doit obtenir le consentement de tous ses membres habiles à voter; Me Goldfarb fait remarquer que cela est presque impossible pour les organisations qui comptent un nombre important de membres, ce qui mène plusieurs d’entre elles à éliminer les membres externes.

Le mémoire déposé par la Section du droit des organismes de bienfaisance et à but non lucratif de l’ABC, élaboré sous la direction de Cliff Goldfarb, recommande de supprimer certaines dispositions non pertinentes de la LCOBNL, notamment celles qui introduisent le concept d’organisations « ayant recours à la sollicitation » et « n’ayant pas recours à la sollicitation », ainsi que celles qui créent l’obligation de prévoir une catégorie de membres possédant le droit de vote et confèrent le droit de vote aux membres sans droit de vote, tous des points d’achoppement pour les parties visées par la LCOBNL. 

Une autre suggestion contenue dans le mémoire est de modifier la Loi afin de supprimer l’obligation de vérification et de prévoir que les membres qui désirent nommer un expert-comptable ou qui demandent une vérification ou un examen aient le droit de voter sur ces questions.

Me Godel croit bien que Corporations Canada tiendra compte des recommandations de la Section de l’ABC étant donné que ses membres travaillent avec la Loi depuis plusieurs années. « J’ai bon espoir que Corporations Canada sera réceptif à ces commentaires formulés par des membres du barreau qui ont cumulé une grande expérience auprès des organisations à but non lucratif, et que l’organisme mettra en œuvre bon nombre des modifications que nous suggérons, si ce n’est pas la totalité. »

Inscrivez-vous au Symposium de l’ABC sur le droit des organismes de bienfaisance (page en anglais seulement).