Protéger notre vie privée à la frontière
Nous devons trouver un équilibre entre la sécurité et le droit à la vie privée sur nos téléphones.

La collecte et la communication de renseignements aux postes frontaliers sont nécessaires pour assurer la sécurité de la population canadienne, à condition que ce soit fait d’une manière qui protège nos renseignements personnels et nos libertés. Voilà l’essentiel d’une lettre de la Section du droit de la vie privée et de l’accès à l’information, la Section du droit de la taxe à la consommation, douanes et commerce, la Section du droit pénal, et le Sous-comité de déontologie et de responsabilité professionnelle en réponse au projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016).
La lettre reprend en partie certains commentaires formulés par l’ABC en 2017 sur les changements proposés par l’ancien projet de loi C-21 et l’ancien projet de loi C-23. Comme le souligne la plus récente lettre, « [l]a dépendance à l’égard de la technologie est encore plus ancrée dans notre vie personnelle qu’en 2017, et le recours aux outils numériques pour surmonter les défis de la pandémie de COVID-19 a accéléré ce processus ». Le besoin d’équilibre entre sécurité et protection des renseignements personnels est encore plus important aujourd’hui qu’il y a cinq ans.
De nos jours, de nombreuses personnes sauvegardent sur leurs appareils des informations personnelles qui remontent jusqu’à l’achat de l’appareil, voire avant. Il peut s’agir de données de géolocalisation à long terme, l’historique des appels, des messages texte, des courriels, des photos, des registres de leurs rendez-vous ou de leurs activités physiques, des détails financiers, l’historique de leurs achats, et bien plus encore. Les journalistes, les juristes ou les médecins, à titre d’exemple, sont également susceptibles d’avoir des informations très délicates sur d’autres personnes stockées sur leur appareil ou accessibles par le biais d’un service infonuagique.
Le nouveau seuil, plus bas, de « préoccupation générale raisonnable » pour les fouilles à la frontière des appareils électroniques personnels d’un voyageur est « trop vague pour être une exigence appropriée », craignent les sections de l’ABC, ajoutant que cette norme n’a jamais été utilisée pour justifier des fouilles ou employée par les tribunaux canadiens. « En l’absence de précisions supplémentaires, il est difficile de savoir la façon dont se fera son application et de déterminer si les agents des services frontaliers y auront recours en conformité avec la Charte. »
Les tribunaux tentent de suivre le rythme des progrès technologiques. Selon la lettre de l’ABC, la Cour suprême « a clairement affirmé qu’en cas d’intrusion dans la vie privée, la protection constitutionnelle et l’obligation de justification de la fouille sont à la mesure de l’ampleur de l’intrusion. S’il est vrai que le droit à la vie privée est réduit aux frontières, ce droit existe toujours ».
Les sections de l’ABC sont de l’avis que « l’effet du projet de loi S-7 n’est pas conforme à la jurisprudence actuelle concernant la fouille d’appareils électroniques, étant donné les intérêts très élevés en matière de protection de la vie privée dans leur contenu. L’exigence minimale définie dans le projet de loi S-7 ne donne aucune protection significative aux intérêts majeurs des voyageurs en matière de protection de la vie privée. » Depuis lors, le Sénat a modifié le projet de loi pour relever le seuil à celui des « motifs raisonnables ».
Secret professionnel de l'avocat
Cet élément fondamental du système juridique canadien doit être respecté aux frontières, ainsi que lorsque des juristes canadiens et leurs clients se rendent aux États-Unis. Les sections de l’ABC recommandent la création d’un groupe de travail pour collaborer à l’établissement d’une politique exhaustive ayant force exécutoire sur le secret professionnel de l’avocat, qui serait ensuite mise à la disposition du public sur le site Web de l’ASFC. « Les agents de l’ASFC et le public, notamment les juristes, devraient disposer de lignes directrices plus détaillées pour veiller à la mise en place de garde-fous visant à prévenir l’accès non-autorisé à des documents protégés par le secret professionnel », peut-on lire dans la lettre.
À l’heure actuelle, aucune disposition particulière de la Loi sur les douanes, des règlements ou du projet de loi S-7 ne traite du secret professionnel de l’avocat, et il y a lieu de s’inquiéter que l’ASFC puisse appliquer l’article 153 de la Loi sur les douanes si un avocat ou un client refuse de laisser examiner des documents protégés par le secret professionnel. Cet article « donne à l’ASFC le pouvoir de mettre une personne physique ou morale en accusation pour refus de se conformer à la Loi sur les douanes ».