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Une meilleure stratégie contre le négationnisme

La lutte contre l’antisémitisme est trop importante pour être enfouie dans la Loi d’exécution du budget.

The Hall of Names in Yad Vashem, Jerusalem
Salle des noms de Yad Vashem, Jerusalem.

La Section du droit pénal de l’Association du Barreau canadien appuie les initiatives de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les autres formes de haine. Mais comme elle l’explique dans sa lettre (ce document n’existe qu’en anglais; les citations qui en sont tirées ont été traduites librement) au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, elle s’oppose à ce que l’on criminalise le négationnisme en passant par le projet de loi C‑19, Loi d’exécution du budget.

La Section reconnaît que les incidents d’antisémitisme sont de plus en plus nombreux, au Canada comme ailleurs. Elle émet toutefois quelques réserves quant à une telle application du projet de loi C‑19, à commencer par une objection de fond contre le fait de passer par un projet de loi d’exécution du budget en vue de promulguer ou de modifier d’importantes dispositions législatives sans lien direct avec les finances, l’impôt ou les dépenses. « À notre avis, lit-on dans la lettre, une modification du Code criminel nécessite un examen adéquat par les parties intéressées, soit une instance qui sera principalement consacrée à la question. »

La section 21 de la Partie 5 du projet de loi C‑19 modifie le Code criminel en créant l’infraction de fomenter volontairement l’antisémitisme en cautionnant, en niant ou en minimisant l’Holocauste par la communication de déclarations autrement que dans une conversation privée.

« Si l’objectif du gouvernement est de punir les actes d’antisémitisme, poursuit-on dans la lettre, ce projet de loi ne le remplit pas. S’il s’agit toutefois, plus précisément, de lutter contre le négationnisme, alors oui, le projet de loi remplit cet objectif. » Mais même dans ce cas, la Section a d’autres réserves.

Première réserve : l’obligation que le procureur général donne son consentement pour que puisse être portée une accusation de fomenter volontairement l’antisémitisme en cautionnant, en niant ou en minimisant l’Holocauste. Bien qu’elle soit d’accord avec cette exigence, la Section estime qu’il faudrait expliciter les critères de refus d’un tel consentement, « de façon à prévenir le risque de refus arbitraire sans explication ». Comme il est aussi écrit dans la lettre, les mesures autres que la poursuite ne devraient être accordées qu’après consultation des victimes et prise en compte de leur volonté, quand le contrevenant n’a pas d’antécédents de violence ou d’infraction de ce genre et assume la responsabilité de ses actes et que l’infraction ne constitue pas un danger pour la sécurité publique.

La seconde réserve a trait aux moyens de défense couramment invoqués dans les affaires de discours haineux : plaider la véracité des propos, ou avancer qu’ils ont été dits de bonne foi comme argument religieux, que leur auteur avait des motifs raisonnables de croire qu’ils étaient véridiques et servaient l’intérêt public, ou qu’ils ont été dits de bonne foi pour attirer l’attention sur des tensions raciales ou religieuses.

Comme l’ABC l’explique dans sa lettre, en criminalisant le négationnisme, la loi pose la prémisse que cette position est non véridique, « rendant ainsi ce moyen de défense impossible à utiliser. » Difficile en effet d’imaginer un contexte où le négationnisme pourrait servir d’argument religieux. « Enfin, si l’objet est de faire du négationnisme une infraction, alors toute exception fondée sur le service de l’intérêt public et la croyance raisonnable transformerait le procès en arène de débat où théories du complot et autres études historiques non moins douteuses seraient invoquées à l’appui de la défense. »

La Section de l’ABC conclut que si l’objectif est de créer une infraction sans plus, il serait sage de réduire les moyens de défense disponibles à un seul, celui voulant que l’auteur des propos reprochés, prononcés de bonne foi, « voulait attirer l’attention, afin qu’il y soit remédié, sur des questions provoquant ou de nature à provoquer des sentiments antisémites à l’égard des Juifs ».