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Érosion du capital

Augmenter le CV dans un contexte où les taux d’intérêt sont faibles rendrait la vie difficile à de nombreux organismes de bienfaisance.

Activités de bienfaisance
iStock

Le contingent des versements (CV) est la somme minimale qu’un organisme de bienfaisance doit verser pour ses activités de bienfaisance et ses dons à des donataires reconnus. Ce seuil a pour but de garantir que les fonds collectés par un organisme de bienfaisance sont consacrés à des activités de bienfaisance et non pas accumulés indéfiniment. Le CV est calculé en fonction de la valeur des biens de l’organisme qui ne sont pas utilisés pour mener ou administrer ses activités caritatives.

La Section du droit des organismes de bienfaisance et à but non lucratif de l’Association du Barreau canadien s’oppose à une majoration du CV. Dans une lettre adressée à Finances Canada – et qui faisait suite à une autre lettre adressée à la ministre des Finances (les deux lettres sont disponibles uniquement en anglais et les citations qui en sont tirées sont des traductions) – elle affirme qu’augmenter le CV dans le contexte actuel, où les taux d’intérêt sont très faibles, rendrait la vie difficile à de nombreux organismes de bienfaisance.

Le CV a été introduit en 1975. En 2004, en raison des faibles taux d’intérêt et des difficultés rencontrées par les organismes de bienfaisance pour respecter leur CV, il a été abaissé pour les fondations privées et publiques, passant de 4,5 % à 3,5 %, un taux qui a été étendu aux organismes de bienfaisance.

Le rapport d’un comité sénatorial présenté en 2019 soulevait des inquiétudes par rapport au CV. Le comité se demandait notamment si le fait de permettre aux organismes d’accumuler des fonds répondait aux besoins du public, si les organismes ne pourraient pas faire preuve d’une plus grande transparence, et si le bien public ne devrait pas l’emporter sur les intérêts privés dans la répartition des dépenses.

La section est d’avis que l’augmentation du CV n’est pas une bonne façon de répondre à ces inquiétudes. Elle estime qu’avant de modifier le régime, le gouvernement devrait s’assurer qu’il dispose des données nécessaires pour déterminer avec précision la nature des problèmes éventuels.

« La principale source de données est la déclaration annuelle T3010, que tous les organismes de bienfaisance doivent transmettre à l’Agence du revenu du Canada et qui indique le CV de l’organisme et s’il a été respecté », écrit la section, ajoutant que la question n’est pas simplement de savoir si le CV a été respecté.

« Par exemple, les placements détenus par les grands organismes de bienfaisance faussent-ils le calcul du pourcentage moyen de versements? Comment les organismes dépensent-ils leurs fonds pour respecter leur CV? » La section recommande le lancement d’une étude approfondie pour déterminer si « augmenter le CV répondrait à l’objectif de mieux soutenir les organismes de bienfaisance et les organisations à but non lucratif qui collectivement fournissent des services aux communautés locales ».

Complexité excessive

Pendant de nombreuses années, les organismes de bienfaisance ont dû supporter un lourd fardeau en matière d’observation de la loi, en raison de la complexité du régime du CV.

À l’heure actuelle, le CV s’applique au niveau de l’organisme et non à celui des fonds de dotation nommés ou des fondations individuelles. Certains proposent d’appliquer le CV au niveau des fonds individuels et d’exiger des versements minimaux pour chaque fonds détenu par l’organisme. « S’il est vrai qu’une telle règle contribuerait à une plus grande transparence, elle augmenterait aussi considérablement les coûts administratifs des organismes », écrit la section, ajoutant qu’il faudrait d’abord déterminer si un problème existe réellement avant de prescrire un remède qui pourrait ne pas être adapté à la situation.

Durabilité et prévisibilité

Les organismes de bienfaisance utilisent parfois leurs actifs immobilisés pour générer des revenus qui sont ensuite affectés à des activités de bienfaisance. Une augmentation du CV aurait un impact important sur ces organismes en les obligeant à gruger leur capital de base.

« Les organismes de bienfaisance peuvent difficilement planifier leur avenir sans savoir s’ils disposent de fonds annuels, et dans quelle mesure le cas échéant, pour financer leurs programmes actuels et futurs, déclare la section. Les organismes doivent être en mesure d’investir leurs deniers prudemment, de façon à financer leurs activités tout en protégeant la valeur de leur portefeuille contre l’inflation. Une majoration du CV menacerait cet équilibre et inciterait les organismes à faire des placements plus risqués. »

Une possibilité serait d’élargir notre conception de ce qu’est un « versement affecté aux activités de bienfaisance » aux fins du CV. Les placements qui permettent à un organisme d’atteindre ses objectifs de bienfaisance tout en générant un rendement, comme les investissements à vocation sociale, ne sont pas considérés actuellement comme des versements à ce titre. Selon la section, cette non-reconnaissance dissuade les organismes de bienfaisance possédant d’importants actifs d’investissement de les utiliser pour remplir leur mission et servir la collectivité.

Le CV ordonne simplement aux organismes de dépenser une part de leurs fonds; il ne dit rien sur la façon de dépenser ces fonds. « Majorer le CV et augmenter les dépenses et les versements immédiats aura des conséquences sur le financement disponible dans les années à venir. On ne peut pas présumer que si un organisme dépense plus maintenant, son capital de base se reconstituera les années suivantes, ou qu’il pourra compter sur d’autres formes d’aide. Ces questions sont complexes et appellent une approche nuancée et équilibrée. »