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Avant de représenter parents ou amis : tâchez d’évaluer les risques pour savoir comment les traiter

Nous avons déjà presque tous vécu cette situation : des membres de notre famille ou des amis, amies, sollicitent notre aide pour régler un problème juridique. Mais faut-il vraiment vous impliquer? Votre barreau vous l’autorise-t-il même?

Woman grabbing man's hand

Nous avons déjà presque tous vécu cette situation : des membres de notre famille ou des amis, amies, sollicitent notre aide pour régler un problème juridique. Ils vous ont peut-être demandé de rédiger leur testament, de régler l’acquisition de votre nouvelle maison, de leur donner des conseils à propos d’une affaire de famille, voire même de les représenter dans le cadre de leur divorce. Bien entendu, vous êtes tout disposé à les aider. Oncle Paul s’attend sans doute à ce que vous lui consentiez une ristourne sur vos honoraires et espère peut-être même bénéficier de vos bons services gratuitement.

Mais faut-il vraiment vous impliquer? Votre barreau vous l’autorise-t-il même? Votre assurance vous couvre-t-elle si vous vous chargez de la poursuite qu’intente votre sœur contre l’entrepreneur de ses rénovations? Et quelles sont les options qui s’offrent à vous lorsqu’un ami ou un proche fait appel à vos services?

Un choix risqué

Représenter des amis ou des parents n’est pas une entreprise sans risque, fait observer Dan Pinnington, directeur du programme de gestion des risques pour LawPRO, une compagnie d’assurance responsabilité professionnelle oeuvrant pour les avocates et avocats ontariens. Voici les raisons de cette réticence avouée :

L’absence d’objectivité

« Le plus grand risque réside dans votre probable incapacité de dispenser des conseils sincères, indépendants et impartiaux », explique M. Pinnington. « Quels que soient vos efforts vers l’objectivité, vous faites affaire avec un membre de votre famille, et votre aptitude à l’impartialité s’en trouve donc forcément compromise. » Les relations que vous entretenez avec un parent ou un ami sont naturellement dépourvues de cette distance professionnelle qui caractérise vos rapports avec tout autre client et le lien affectif qui vous unit peut ainsi déformer votre jugement.

Les règles de conduite professionnelle y font référence et, dans certains cas, traitent directement de cette question. Le Code de déontologie professionnelle de l’ABC traite sur un mode plus général des situations de conflits d’intérêts, tandis que certains codes de conduite provinciaux consacrent une partie de leurs règles à la question de la représentation juridique de parents ou d’amis.

Par exemple, la règle 2 des règlements du Barreau du Haut-Canada oblige les avocats et avocates à agir « avec franchise et honnêteté » lorsqu’ils dispensent des conseils à des clients et clientes. Dans le commentaire qui accompagne la règle, on lit ce qui suit : « Lorsqu’un avocat ou une avocate agit pour un ami ou une amie ou un membre de sa famille, l’avocat ou l’avocate peut être en situation de conflit d’intérêts parce que sa relation personnelle peut affecter son devoir d’avocat de donner des conseils objectifs, désintéressés et professionnels au client ou à la cliente. »

S’il s’agit d’une simple transaction immobilière et qu’aucune émotion ne peut entrer en jeu, alors peut-être vous sentirez-vous assez à l’aise pour vous charger du dossier de votre beau-frère. Cependant, s’il s’agit d’un problème familial, il vous sera sans doute difficile de donner des conseils francs et honnêtes; dans ce cas, vous aurez l’obligation professionnelle de refuser le dossier.

Le Professional Conduct Handbook de la C.-B. va plus loin. En effet, aux termes de la règle 1 du chapitre 7, vous ne pouvez vous charger d’une affaire dans laquelle un parent ou un ami « a un intérêt financier direct ou indirect » susceptible d’altérer votre jugement professionnel. Selon la règle 2, vous ne pourrez pas non plus représenter un parent ou un ami ayant « un statut de membre » susceptible d’altérer votre jugement professionnel si, par exemple, cette personne est membre du même club de service social que vous.

Il faut donc vérifier soigneusement quelles règles de déontologie professionnelle s’appliquent dans votre province - une excellente façon d’y glaner de judicieux conseils pour la conduite à suivre.

Une police d’assurance inappropriée

Même si les règlements ne vous empêchent pas expressément de représenter ces personnes, il est possible que votre police d’assurance ne vous protège pas dans ces cas, ce qui est un fort incitatif à répondre par un refus à certaines demandes.

En C.-B., la clause d’exclusion 6 de la police d’assurances professionnelle obligatoire de la province ne couvrira pas vos actes s’ils sont accomplis pour aider un proche. Vous ne serez pas non plus couvert pour une plainte relative à une erreur que vous auriez commise alors que vous-même, un membre de votre famille ou votre cabinet tirerait profit du paiement qui en résulte. Par membres de la famille, on entend le conjoint (y compris le conjoint de fait), les enfants, les parents et les frères et sœurs. Ainsi, si vous décidez de vous occuper d’une plainte pour préjudice personnel présentée par votre père, par exemple et que, par la suite, il vous poursuit pour négligence professionnelle invoquant que vous avez mal traité son dossier, la réclamation contre vous ne sera pas couverte car le paiement qui en découlerait bénéficierait directement à votre père.

L’Ontario n’a pas adopté le même type de clause d’exclusion familiale dans sa politique LawPRO. Cependant, l’Ontario comme la C.-B. refusent de verser des indemnités d’assurance en cas de réclamations « présentées par ou relativement à une entreprise ou une personne morale » dans laquelle vous, votre conjoint, le ou les associés et/ou leur conjoint détiennent un droit de propriété bénéficiaire supérieur à 10% - ce qu’on appelle « la clause d’exclusion d’entreprise ». Ce qui signifie que si vous et votre conjoint détenez toutes les parts de la compagnie A Apple, laquelle détient 50% des parts dans la compagnie B Banana, laquelle détient 25% des parts dans la compagnie O Orange, toute réclamation relative à des services juridiques que vous auriez fournis à la compagnie B Banana ou à la compagnie O Orange serait rejetée.

La raison d’être de cette « clause d’exclusion d’entreprise » est que l’avocat négligent ne doit pas profiter indirectement de son erreur, ce qui serait le cas si, par exemple, les indemnités couvraient le conjoint. La C.-B. étend simplement cette règle de façon à ce qu’elle comprenne également les questions commerciales qui concernent des membres de la famille proches, explique Brad Daisley, gestionnaire des affaires publiques pour le Law Society de la C.-B.

Possédez-vous les qualifications requises?

Un autre aspect préoccupant du mandat que vous acceptez pour un parent ou un ami peut être l’insuffisance de vos qualifications dans le champ de pratique visé par le problème à résoudre. « En raison de cette relation personnelle, il se peut qu’on sollicite vos services dans un domaine qui vous est peu familier, et vous devenez par la force des choses une sorte ‘d’avocat amateur’, alors que le problème concerne un domaine où l’expertise est essentielle », rappelle M. Pinnington.

Ainsi, vous pouvez subir encore davantage de pression du fait d’aider un proche ou un ami à obtenir gain de cause en justice ou à réaliser leur objectif au point d’adopter une position inutilement vindicative ou déraisonnable avec la partie adverse au détriment de la personne que vous êtes censé aider.

La tendance à arrondir les angles

En raison de l’étroitesse de vos relations avec un ami, une amie ou un proche, vous vous conduirez de manière moins formelle que si vous représentiez un client ordinaire et vous serez donc enclin à omettre certaines étapes. Par exemple, vous pourriez ne pas établir un dossier, ni vérifier la possibilité de conflits d’intérêts, ni signer un mandat de représentation en justice, ni obtenir et confirmer des instructions par écrit, toutes ces démarches que vous accompliriez de manière automatique en temps ordinaire.

Vous prendrez également davantage de liberté pour ce qui est de documenter le dossier de manière adéquate ou de correspondre avec un client qui vous est très proche. Ceci est particulièrement important lorsque l’on sait qu’une rupture dans les communications entre l’avocat et le client est à l’origine de la moitié de toutes les plaintes en négligence professionnelle.

Et si le proche ou l’ami ne paye pas d’honoraires, vous risquez de traiter le dossier de manière encore plus désinvolte que si vous offriez un rabais sur vos honoraires à un véritable client. Si vous aidez par exemple votre fille adulte, vous oublierez facilement que vous avez envers elle les mêmes obligations de professionnalisme qu’envers tous vos autres clients réguliers.

Les membres de la famille et les amis ne sont pas les clients de rêve

Les proches sont en général des clients très exigeants. « Ils peuvent devenir les clients les plus déraisonnables qui soient en raison même de leur rapport privilégié avec vous », fait observer Pinnington. « Ils ont souvent du mal à accepter les ordres ou conseils que vous leur donnerez. »

Et si le proche/ami est en plus un avocat exerçant dans votre cabinet, alors « il prendra pour acquis que vous êtes à son service », met en garde Simon Chester, associé chez Heenan Blaikie, à Toronto, qui se spécialise dans la gestion des connaissances et de la pratique. Attendez-vous à être interrompu, voire importuné, à des moments inopportuns.

Le paiement des honoraires peut également devenir un casse-tête. Il est déjà assez pénible de réclamer vos honoraires auprès de clients ordinaires, alors imaginez quand vous entretenez une relation personnelle avec votre débiteur. Il est aussi difficile de consigner vos heures de travail, remarque Chester. « En effet, s’agit-il d’une simple conversation téléphonique entre amis ou est-ce un code ‘4’ parce que vous êtes en train de discuter de son dossier? »

Si le travail demandé concerne une question privée, tâchez de vous souvenir que votre amitié pourrait être anéantie si une fois le dossier classé, cette personne est incapable de vous regarder en face. Et bien que le secret professionnel protège vos communications avec ce client ou cette cliente, il peut quand même se méfier et s’inquiéter à la perspective que vous pourriez divulguer des renseignements confidentiels à d’autres amis ou membres de la famille. Ainsi, advenant que vous acceptiez un dossier avec des implications émotionnelles, ne vous étonnez pas de voir par la suite votre relation avec cette personne se détériorer.

« D’autres dynamiques jouent également un rôle lorsque vous représentez un proche ou un ami », avertit Lonny Balbi, de Balbi & Company Legal Centre, à Calgary. « Il est difficile de se retirer du dossier d’un client ou d’un ami. En outre, lorsque vous vous retrouvez en salle d’audience, représentant un proche ou un ami, votre réputation dans la profession risque d’en souffrir. »

Vous augmentez pour vous et votre cabinet les risques de plaintes

Enfin, en raison des problèmes inhérents à cette situation, vous courez le risque accru de faire l’objet d’une plainte en négligence. « On assiste hélas souvent à des cas de poursuites intentées contre des avocats par des membres de leur famille », déclare Pinnington. Le plus souvent, la raison invoquée est que l’avocat a « tatonné » et accepté un dossier hors de son champ d’expertise juridique. « Représenter le conjoint d’un proche ou d’un ami qui devient ensuite un ex-conjoint peut également teinter votre manière d’aborder le dossier et aboutir à une poursuite contre vous », ajoute Pinnington.

N’oubliez pas que les avocats à leur compte et les petits cabinets se caractérisent en général par un taux plus élevé de plaintes intentées à leur encontre. Alors, si vous n’exercez pas dans un grand cabinet, le risque de faire l’objet d’une plainte est accru lorsque vous décidez de vous charger du dossier d’un proche ou d’un ami.

En outre, sachez que vous n’êtes pas le seul en cause. Vous ne pouvez occulter le fait que votre cabinet est également impliqué si vous faites l’objet d’une poursuite en justice. Si votre cas tombe sous la définition de « clause d’exclusion d’entreprise » ou « clause d’exclusion familiale » figurant dans votre police d’assurance en responsabilité professionnelle, votre cabinet ne sera même pas assuré.

Comment traiter une demande émanant d’un proche ou d’un ami

Surtout ne pas suivre une formule unique pour tous, car chaque situation est différente - chaque demande de services juridiques émanant d’un proche ou d’un ami entraîne une analyse et un traitement spécifiques. Cependant, ces lignes directrices peuvent vous aider à élaborer une politique pour éviter à votre cabinet de traiter les requêtes au cas par cas chaque fois qu’un avocat junior veut rédiger le testament de sa grand-mère ou qu’un associé veut s’occuper du problème familial de son voisin.

Envisagez le refus

La meilleure règle dans ce type de situation semblerait de « refuser de vous en charger ». Bon nombre de cabinets ont d’ailleurs adopté des politiques interdisant à leurs avocats et avocates de représenter des amis ou des membres de leur famille. « Écoutez votre voix intérieure », conseille Pinnington. « Si vous sentez une réticence, suivez le conseil que souffle votre instinct et n’acceptez pas la cause ». Il rappelle à cet effet les sondages menés par LawPRO au sujet des plaintes pour faute professionnelle, qui révèlent que la plupart des avocats faisant l’objet d’une poursuite confessent que leur instinct leur avait prédit dès le début que l’affaire tournerait mal.

Référez l’affaire à une ou un collègue

Si cela est possible, référez l’affaire à un autre avocat du cabinet et explorez avec vos collègues un taux de facturation mutuellement réduit pour les clients et clientes qui sont des amis ou des proches. Blake, Cassels & Graydon LLP, à Calgary, par exemple, a adopté une politique énonçant les conditions applicables à la situation où un ami ou un proche vient consulter un avocat; ce dernier doit confier le dossier à un collègue et les honoraires sont fixés par la politique.

Sinon, il faut référer l’affaire à un autre cabinet. Expliquez à tante Jeanne qu’elle serait mieux représentée par un autre avocat. Recommandez-lui un avocat à qui vous aurez au préalable confié que tante Jeanne est votre tante préférée et avisez-le que tout rabais spécial qu’il envisagerait de consentir sur ses honoraires serait hautement apprécié. À titre de courtoisie professionnelle, l’autre avocat acceptera sans doute d’accorder une réduction de 10% à 20% sur son tarif. Pour un membre vraiment très proche de votre famille, vous pourriez même payer une partie des honoraires. Balbi, par exemple, a déjà accepté d’aider un membre de sa famille en payant au complet le mandat de son collègue.

En C.-B., le programme d’assurance professionnelle des avocats prescrit ce qui suit : « Protégez-vous en demandant à une ou un collègue de fournir les services juridiques pour vous ou le membre de votre famille s’il s’agit d’une question personnelle ou alors engagez les services d’un avocat de l’extérieur. Si le problème est plutôt de nature commerciale, à propos duquel nul dans votre cabinet ne peut vous aider, protégez-vous en engageant les services d’un avocat de l’extérieur. »

Demandez l’autorisation de votre cabinet

Si vous avez la conviction de pouvoir aider cette personne avec le professionnalisme requis et êtes décidé à vous charger de l’affaire, il faut ensuite aller quérir l’autorisation auprès des associés directeurs. Si vous exercez à votre compte, demandez conseil à un autre avocat.

Certains cabinets exigent que l’avocat fasse une telle divulgation et que la direction du cabinet donne son consentement avant que l’avocat puisse accepter une affaire émanant d’un ami ou d’un proche; une personne neutre sera apte à prendre une décision éclairée sur la capacité réelle de l’avocat à se charger de l’affaire. Selon une optique politique, l’avocat doit persuader la direction du cabinet que, soit l’affaire ne fera courir aucun risque au cabinet (par ex. la notarisation de documents), soit que cette affaire est assez simple pour que l’avocat s’en occupe sans problème.

Respectez vos normes de pratique habituelles

Advenant que vous ayez obtenu l’autorisation de votre cabinet, cela ne doit pas vous empêcher de traiter cette personne comme n’importe lequel de vos clients et d’observer les normes et procédures qui caractérisent votre pratique en temps normal :

  • Donnez un caractère officiel à vos relations. Recommandez à votre nièce de prendre un rendez-vous dans votre bureau afin de discuter de son problème - évitez d’aborder le sujet avec elle en dégustant un dessert à l’occasion d’une réunion de famille.
  • Procédez à votre vérification habituelle au sujet d’un éventuel conflit d’intérêts.
  • Discutez de la période de résolution de l’affaire et des différentes issues possibles afin que la personne ait des attentes réalistes.
  • Obtenez de cette personne des instructions précises et montez un dossier écrit retraçant toutes les étapes de votre travail.
  • Communiquez régulièrement avec cette personne, de préférence par écrit, pour la mettre au courant des progrès réalisés et des résultats obtenus.

Décidez du rabais sur les honoraires, à l’issue - et non au début - de votre mandat

Parce qu’il est impossible pour un petit cabinet d’accorder au personnel les mêmes avantages que ceux offerts dans les cabinets plus importants, Balbi soutient qu’un petit cabinet peut accepter d’offrir certains services juridiques à son personnel (les avocats et avocates, y compris) ainsi qu’à leurs amis et à leurs proches à des tarifs réduits ou pour un prix forfaitaire. Parmi la gamme de services envisagés : la préparation gratuite d’un testament et des transactions immobilières moyennant le paiement des coûts de débours seulement. Mais n’oubliez jamais que le fait d’accepter de travailler bénévolement ne signifie pas de rogner les impératifs déontologiques.

Lorsqu’un honoraire fixe n’est pas établi, une manière de minimiser la tendance à la désinvolture consiste à exercer un contrôle rigoureux sur les factures tout au long du mandat et à décider ensuite du montant des honoraires. L’associé directeur, la direction du cabinet ou un collègue devrait prendre part à la décision au sujet des honoraires qui seront finalement facturés à la personne.