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Comment mettre en place une pratique pro bono durable?

Comment les juristes en début de carrière peuvent-ils réussir à travailler bénévolement de manière efficace?

Une mallette, une pile de livres et une balance de la justice
iStock/studiogstock

Imaginez la scène : Votre admission au barreau date de six mois. Vous êtes avocate plaidante ou avocat plaidant en droit civil, désirant redonner à votre communauté. Une cliente vous demande de l’aide pour un procès imminent en droit de la famille, et vous acceptez. 

Vous apprenez rapidement qu’elle a vécu de graves traumatismes et qu’elle se méfie du système juridique, qu’elle ne connaît pas. Vous vous rendez compte que vous devrez rafraîchir vos connaissances en matière d’entretiens tenant compte des traumatismes et consacrez davantage de temps à communiquer avec elle qu’avec vos clients institutionnels.

Pour traiter ce nouveau dossier avec toute l’attention qu’il mérite, et pour vous mettre à niveau dans un domaine qui ne vous est pas familier, vous commencez à y consacrer des nuits entières le week-end et les jours fériés.

Aucune supervision juridique n’est prévue sur le dossier, vous ne savez donc pas vers qui vous tourner. Vos objectifs de facturation en souffrent, mais on vous demande toujours d’en faire davantage. Entre surcharge et fatigue, l’épuisement professionnel vous guette — une situation que nombre d’entre nous connaissent.

Guide pratique du pro bono

Si vous débutez votre carrière juridique, il y a de fortes chances pour que vous ayez déjà entendu parler de l’importance du travail juridique bénévole. Il s’agit d’une occasion d’apporter une réelle contribution, d’acquérir des compétences et de renouer avec l’objectif qui a attiré maintes d’entre nous vers le droit en tout premier lieu. 

Si tout cela est vrai, vous ne savez peut-être pas que, si vous voulez travailler pro bono de manière efficace et durable, les bonnes intentions ne suffiront pas. Vous aurez besoin de systèmes qui vous soutiennent.

Trop souvent, le travail pro bono est considéré comme une réflexion après coup que les jeunes juristes doivent intégrer à leur pratique déjà bien remplie. Mais pour les juristes en début de carrière qui doivent déjà jongler avec des courbes d’apprentissage abruptes et des attentes élevées en matière de facturation, un dossier pro bono en parallèle peut rapidement devenir une source d’épuisement professionnel et d’accablement. 

À ce stade de votre carrière où vous faites tout pour la première fois, il est facile de surestimer votre capacité et de sous-estimer la complexité d’un dossier ou le temps que cela nécessitera de manière réaliste. Les risques augmentent si le dossier ne relève pas de votre champ d’expertise, s’il manque de supervision ou s’il s’alourdit en cours de route.

Les enjeux ne sont pas seulement personnels. Accepter un dossier qui vous met à rude épreuve peut entraîner de réels préjudices pour les clients vulnérables. Les dossiers pro bono sont parfois considérés comme des occasions de se « dépasser », mais l’évolution de votre carrière ne doit jamais se faire aux dépens d’un client. Il est essentiel d’évaluer si vous disposez du temps, des compétences et du soutien nécessaires pour fournir un service compétent avant d’accepter. 

De nombreux clients pro bono sont confrontés à de multiples défis, tels que la pauvreté, les traumatismes, la discrimination systémique et l’insécurité du logement. Il se peut qu’ils ne comprennent pas entièrement le système juridique et qu’ils aient besoin de plus de temps et d’explications de votre part. Il est essentiel de fournir une assistance juridique qui tienne compte des traumatismes et qui soit culturellement compétente, et pour faire les choses comme il se doit, il faut du temps et du soutien.

Alors, comment pouvez-vous vous préparer à une pratique pro bono réussie et durable?

1. Commencez modestement et sachez quelles sont vos limites

Un dossier pro bono ne devrait pas être l’occasion de s’essayer à un domaine juridique inconnu sans accompagnement ni soutien. Faites le point sur vos compétences et vos capacités avant d’accepter. Au début de votre carrière, apporter une contribution significative peut prendre la forme de conseils ciblés, de recherches ou de permanences en cliniques d’aide juridique. 

Si vous prenez en charge un dossier important ou complexe, assurez-vous que vous bénéficiez d’une supervision et d’un soutien adéquats pour fournir des services juridiques compétents à votre client. En cas de doute, posez-vous la question : S’il s’agissait d’un dossier facturable, pourrais-je m’en occuper sans aide extérieure ou aurais-je besoin d’un soutien supplémentaire?

2. Établissez des limites claires

Choisissez des dossiers pro bono qui comportent un mandat bien défini, une supervision claire et un soutien institutionnel. Assurez-vous de savoir combien de temps il vous faudra pour traiter le dossier et quels sont les besoins précis du client. Évitez que le dossier pro bono ne devienne un travail invisible effectué à côté de vos autres tâches. Vous ne pourrez pas tout accepter, et c’est normal. Accordez la priorité aux dossiers pro bono qui vous motivent, qui enrichissent votre apprentissage et qui cadrent avec l’évolution de votre pratique.

N’oubliez pas que le travail pro bono doit vous stimuler et non vous épuiser. Si vous avez l’impression que les choses vous dépassent, prenez du recul, cherchez du soutien et réévaluez vos limites. Comme l’a dit Odette Dempsey-Caputo sur le site BarTalk au début de l’année, « Mieux vaut aider seulement 20 personnes et en manquer cinq, que de se retrouver en congé maladie pendant trois mois et ne plus pouvoir aider personne. »

3. Traitez le pro bono comme un véritable travail juridique… parce que c’est le cas

Vos obligations ne changent pas parce que le travail n’est pas rémunéré. Assurez-vous d’avoir du temps et de disposer des ressources nécessaires pour remplir vos obligations professionnelles. Il s’agit notamment de tenir le client informé, de gérer les délais et de maintenir des normes de qualité de travail élevées. Il s’agit également de développer les compétences nécessaires pour bien servir le client, telles que la communication tenant compte des traumatismes ou la compétence culturelle.

Recherchez des ressources, un mentorat et des précédents auprès de juristes d’expérience. Les clients pro bono ont souvent besoin de bien plus que de simples réponses juridiques. Demandez-vous s’il existe des ressources juridiques auxquelles vous pouvez accéder, des organisations avec lesquelles vous pouvez établir des partenariats ou des mentors sur lesquels vous pouvez vous appuyer pour vous aider à mieux servir votre nouveau client.

4. Évaluez les soutiens structurels de votre lieu de travail

Informez-vous sur la culture pro bono de votre cabinet. Comment les dossiers sont-ils traités et supervisés? Les dossiers pro bono sont-ils traités de la même manière que les dossiers facturables à des fins de répartition du travail, ou devrez-vous assumer la même charge de travail facturable indépendamment de vos engagements pro bono? Les heures pro bono sont-elles comptabilisées dans vos objectifs de facturation? Le crédit facturable est-il plafonné et correspond-il au travail requis pour le dossier? En cas d’inadéquation, vous risquez d’effectuer un réel travail sans réelle reconnaissance.

Il est important de se poser ces questions lors du choix d’un poste de stage ou de vos premiers pas dans votre carrière. Vous devez savoir si votre futur lieu de travail encouragera vraiment le travail pro bono de façon durable ou le pénalisera discrètement.

5. N’oubliez pas que vous n’avez pas à travailler seul

Faites appel aux ressources qui vous entourent. Des organisations telles que Access Pro Bono, Étudiant(e)s pro bono du Canada (EPBC) et le Law Students’ Legal Advice Program offrent aux jeunes juristes et aux étudiantes et étudiants en droit des possibilités structurées de développer leurs compétences dans le cadre de dossiers bien définis, bénéficiant d’un soutien institutionnel. En aidant les juristes en début de carrière dans la sélection des clients, par la formation et le mentorat, ces modèles peuvent vous mener, vous et votre client, au succès.

N’hésitez pas à contacter d’autres juristes dans le domaine du pro bono si vous avez besoin de soutien. La plupart ont été à votre place et se feront un plaisir de partager leurs connaissances.

Une note de conclusion : à manier avec précaution

Avec les bons systèmes en place, le pro bono peut être l’un des aspects les plus gratifiants de votre carrière juridique, et cela peut vous permettre d’apporter un réel changement dans la vie de vos clients. 

Mais il ne s’agit pas seulement d’en faire plus, il s’agit de le faire de manière réfléchie, durable et efficace. En établissant des limites précises, en faisant des choix réfléchis sur les dossiers que vous acceptez et en recherchant un soutien approprié, vous pouvez apporter une réelle contribution sans vous épuiser dans le processus.

Vous n’avez pas à saisir toutes les occasions de travail pro bono qui s’offrent à vous. Mais lorsque vous acceptez, faites-le avec prudence.

 

* Cet article a d’abord été publié, en anglais, dans BarTalk, la revue de la Division de la Colombie-Britannique de l’Association du Barreau canadien.