Comment les grands gestes de Clio en IA pourraient perturber la pratique juridique
Il reste à voir si l’achat de vLex aura des conséquences de portée considérable sur le marché juridique, mais les observateurs disent que cela pourrait être un élément perturbateur indispensable

Clio, le géant canadien de technologie juridique, a rendu l’été mémorable en annonçant l’acquisition de la société mondiale de recherche juridique et d’IA, vLex.
L’opération d’un milliard de dollars représente la plus grande acquisition de l’histoire de Clio. Par conséquent, le Canada compte maintenant deux des plus grandes entreprises de technologies juridiques au monde, Clio et Thomson Reuters. Les deux s’efforcent de consolider leur avantage dans l’utilisation de l’IA pour la gestion de la pratique.
« Notre objectif est de changer l’expérience juridique pour tous, explique Joshua Lenon, avocat en résidence chez Clio. Nous ne nous intéressons pas seulement aux juristes qui pratiquent le droit, mais aussi aux clients. Cette acquisition nous aide à accroître notre capacité à exercer une influence sur le changement. »
L’accord représente un virage des technologies juridiques vers des services plus complets, qui combinent la recherche juridique, l’IA et des outils de gestion de la pratique. D’autres grandes entreprises de technologies juridiques se précipitent pour intégrer des services d’IA à des bases de données juridiques existantes. Plus tôt cette année, LexisNexis a annoncé un partenariat stratégique avec la plateforme de technologies juridiques Harvey AI, qui intégrera de la jurisprudence et d’autres sources primaires.
Plus tôt ce mois-ci, Thomson Reuters a lancé CoCounsel Legal, un assistant d’IA qui utilise le contenu de Westlaw pour gérer des flux de travail, comme la création automatique de plans de recherche de fichiers.
Cette technologie juridique a été commercialisée comme un moyen d’améliorer l’accès à la justice, de rendre les bases de données juridiques plus facilement accessibles au public et de faciliter la pratique du droit pour les juristes. La question est de savoir si ces transactions importantes auront une incidence sur l’avenir des services juridiques.
En 2023, vLex a acheté Fastcase, une base de données jurisprudentielles et outil de recherche de premier plan aux États-Unis. Cette fusion a fait de vLex une base de données juridiques mondiale comptant plus d’un milliard de documents juridiques de 180 pays. Cela lui a aussi permis de mettre au point Vincent, son outil d’aide juridique qui analyse les contrats et répond aux questions de recherche juridique dans un langage clair.
La plupart des discussions parmi les passionnés de technologies juridiques ont porté sur la possibilité que la fusion contribue à améliorer l’accès à la justice. Clio et vLex ont appuyé l’accès à la justice en fournissant gratuitement leurs logiciels aux facultés de droit, aux associations de barreaux des États-Unis, à quelques barreaux du Canada et à des cliniques juridiques.
Me Lenon soutient que le Canada occupe une position unique parce que CanLii offre gratuitement au public des bases de données de jurisprudence. Aux États-Unis, le projet d’accès à la jurisprudence de l’Université Harvard tente d’en faire de même avec la jurisprudence des États et du gouvernement fédéral. Le Free Law Project des États-Unis fait du travail de même nature, rassemblant des causes, des arguments oraux, des jugements et d’autres documents juridiques.
Cependant, rendre les bases de données juridiques accessibles au public n’est pas la même chose que la représentation juridique ou que l’accès à des informations juridiques utiles. Ce n’est tout simplement pas suffisant, dit Lachlan Deyong, un conseiller juridique qui travaille avec des organisations sur des initiatives d’accès à la justice.
« CanLii n’est pas la solution au déficit de données juridiques, croit-il. CanLii dispose d’une petite quantité de données juridiques comparativement à vLex, à Westlaw et à LexisNexis. Les cas sont rarement compréhensibles pour toute personne qui ne pratique pas le droit. »
Me Deyong suggère que des entreprises comme vLex rendent leurs données disponibles au public par des outils d’accès à la justice. Il souligne également que des données juridiques de masse sont nécessaires pour créer des outils, ce qui constitue un problème constant au Canada.
« Pour utiliser l’IA dans le droit, en particulier pour favoriser l’accès à la justice, il faut avoir accès à des données, explique-t-il. Cela signifie l’accès aux jugements de tribunaux. Et à beaucoup d’entre eux. Il n’y a aucun moyen de faire cela au Canada. »
L’incidence réelle de l’acquisition de vLex peut jouer dans la pratique juridique. En tant que bibliothécaire juridique et directrice de la conservation des données chez Legal Technology Hub, Sarah Glassmeyer suit les tendances des technologies juridiques depuis vingt ans. Elle n’est pas surprise par les récents mouvements du marché et estime que la meilleure façon de soutenir l’accès à la justice est de passer par des cabinets juridiques de petite et moyenne taille, qui représentent la plupart des clients de Clio.
« Je suis enthousiaste à l’idée que des cabinets de petite et de moyenne taille disposent d’outils de classe mondiale afin de pouvoir servir plus de gens, dit-elle. Ils n’ont pas besoin d’accéder à des choses comme le droit portugais, mais ils ont accès à des flux de travail de vLex. Les flux de travail sont encore plus précieux que les outils de recherche en IA, car ils peuvent être plus efficaces et servir plus de clients. »
Mme Glassmeyer explique que le grand avantage pour les utilisateurs est la combinaison des données de Clio sur la gestion de la pratique et des données jurisprudentielles de vLex. vLex utilise l’IA agentive, un type d’intelligence artificielle où des machines autonomes peuvent accomplir des tâches et prendre des décisions sans l’intervention d’humains. C’est le même type de technologie que celle de CoCounsel Legal.
« Vous pouvez prendre vos notes à partir d’un formulaire d’admission, et l’IA agentive peut assembler le fichier pour vous », dit-elle.
Mme Glassmeyer prédit que d’autres sociétés voudront peut-être acheter Bloomberg Law, qui possède des données précieuses sur les fusions et acquisitions aux États-Unis. Elle considère l’acquisition réalisée par Clio comme une partie de l’objectif à long terme de la société de devenir plus mondiale, car Clio étend ses activités à l’extérieur de l’Amérique du Nord depuis un certain temps. Quant à vLex, elle a un fort ensemble de produits et une solide présence en Europe et en Amérique latine.
« Son contenu contribuera à rendre Clio plus attrayante pour les clients de ces régions », explique-t-elle.
Mme Glassmeyer et Me Deyong sont tous deux sceptiques quant à savoir si l’achat de vLex aura des conséquences de portée considérable sur le marché juridique. Il est plus probable que la concurrence créée par Clio à travers cette fusion entraîne un changement global de l’industrie.
« Thomson Reuters et LexisNexis sont des entreprises lucratives et prospères, et elles n’ont pas beaucoup de raisons de changer, explique Me Deyong. Toutefois, cet accord entre Clio et vLex pourrait être l’agent perturbateur dont nous avons besoin. »