Les technologies juridiques à la rescousse
Le secteur juridique a montré qu’il pouvait s’adapter aux bouleversements. Mais il reste du chemin à faire.
En 2020, le monde du droit a connu toute une année. La tenue d’audiences virtuelles et le dépôt de documents électroniques sous serment, autrefois considérés comme difficiles ou impossibles, sont devenus la norme. Une manne que les entreprises de technologies juridiques s’affairent à récolter.
En octobre 2020, RBC Ventures achetait Founded, une application qui assiste les entrepreneurs avec leurs documents de constitution et leurs ententes juridiques. Le même mois, DoProcess, ce populaire fournisseur de logiciels d’affaires immobilières basé à Toronto, faisait l’acquisition de NoticeConnect, un site Web où avocats et fiduciaires peuvent afficher des avis pour les créanciers et autres parties à la recherche de testaments. Deux mois plus tard, DoProcess passait aux mains du géant du logiciel Dye and Durham, une transaction de 530 millions de dollars.
À bien des égards, 2020 fut l’aurore d’une révolution technologique fort attendue. Cette vague d’acquisitions dans le monde des technologies juridiques montre d’ailleurs la rapidité avec laquelle les cabinets, les services juridiques internes et les tribunaux peuvent changer de cap. Les fournisseurs de services juridiques novateurs – que ce soit les jeunes entreprises en démarrage du secteur juridique, les entreprises de technologie établies, les cabinets avant-gardistes ou les autres organisations qui exploitent un créneau – ont la voie libre pour trouver de nouveaux débouchés dans le secteur juridique au Canada.
« La plupart des juristes et des figures de proue du droit sont maintenant confrontés à leurs erreurs passées, explique Chris Bentley, directeur de la Legal Innovation Zone (LIZ) de l’Université Ryerson. Ils ont rejeté la technologie, se sont accrochés au passé, ont résisté à l’hébergement infonuagique des services, se sont dressés contre les outils de recherche en ligne et ont dit non aux appels en vidéoconférence avec les clients. »
Founded et NoticeConnect sont toutes deux nées de la LIZ, le premier incubateur de technologies juridiques au pays. Selon M. Bentley, la pandémie a « ouvert de larges horizons » pour les entreprises en démarrage. « Lorsque la COVID a frappé, nos fondateurs, qui connaissaient alors un calme plat, ont commencé à être sollicités, puis à signer des contrats. »
Cette année, on peut s’attendre à voir d’autres cabinets et services internes suivre le courant. Le document 2021 Report on the State of the Legal Market, coécrit par le Center on Ethics and the Legal Profession de la faculté de droit de l’Université de Georgetown et par le Thomson Reuters Institute, révèle un virage technologique aux États-Unis, où 84 % des avocats associés s’attendent à voir leur cabinet investir davantage dans la technologie. Ce rapport prévoit également que les cabinets réduiront leurs espaces à bureaux, créeront des programmes de formation pour leurs professionnels qui génèrent des honoraires et leur personnel de soutien, renouvelleront leur stratégie de marketing et d’affaires, et feront de la santé et du bien-être un nouveau point de mire.
« Les juristes et les cabinets ont là une occasion en or, mais il n’y a pas de temps à perdre, prévient M. Bentley. Ils doivent suivre le marché. Je discutais avec l’associé directeur général d’un cabinet juridique à propos d’Alexsei (une jeune entreprise issue de la LIZ qui fait dans la recherche juridique), et celui-ci se demandait ce que tout cela impliquait pour les jeunes juristes qu’ils ont l’habitude d’embaucher. C’est le temps de s’adapter. »
Autre tendance prometteuse qui se dessine cette année : le nouveau regard que l’on porte maintenant sur le volet opérationnel. Le domaine de la gestion a pris de l’ampleur ces cinq dernières années, avec la création du Corporate Legal Operations Consortium en 2016. Dans le sondage à l’origine du rapport Legal Department Operations (LDO) Index 2020 de Thomson Reuters, 81 % des services juridiques internes ont dit être dotés d’une équipe opérationnelle, un bond par rapport aux 57 % qui pouvaient affirmer la même chose en 2019.
En outre, les équipes de conseillers et conseillères juridiques d’entreprise sont à l’affût de solutions technologiques. Dans le sondage, près de 75 % des répondants ont dit cibler en priorité la sécurité des données, l’efficacité interne et l’utilisation des technologies.
Or il n’est pas toujours facile pour les entreprises en démarrage d’obtenir du travail auprès de services juridiques internes. Selon Heather Suttie, consultante en marketing et en développement des affaires dans le secteur du droit, les jeunes entreprises ont tout intérêt à cibler les personnes qui gèrent le travail et à miser sur le soutien à la clientèle.
« Les avocats généraux vont souvent retenir une grosse pointure pour le contentieux, mais pour la révision des documents, ils pourraient faire appel à une entreprise en démarrage, explique Mme Suttie. Quelle que soit la technologie que vous offrez, vous devez être capable de la personnaliser. Si vous arrivez à obtenir la clientèle d’un avocat général, vous aurez un nouveau collaborateur pour vous alimenter. »
Une autre tendance en 2021 consistera à revisiter la collaboration en milieu de travail. On peut lire dans le 2021 Report on the State of the Legal Market qu’avant la pandémie, seulement 37 % des juristes voulaient travailler à distance. Aujourd’hui, ils sont trois sur quatre à préférer le travail à domicile. Mme Suttie croit que la culture des cabinets en souffrira, en particulier dans les cabinets plus traditionnels dirigés par des associés qui chérissent les interactions en personne.
« Les membres d’une équipe ont l’habitude d’avoir leurs conversations de manière spontanée lorsqu’ils se croisent au bureau, explique Mme Suttie. Et c’est important. Pour certaines équipes, l’effondrement de la structure de travail traditionnelle peut signifier la perte de leur culture. Les gens sont désorientés; ils oublient parfois à qui ils peuvent demander de l’aide, ou encore que les autres sont joignables d’un simple coup de téléphone. »
Nombre des changements, comme le travail à la maison, sont là pour rester. Les cabinets et services juridiques qui veulent rester à flot trouveront chez les fournisseurs novateurs de bons alliés. Pour M. Bentley, il est temps de parler réforme systémique, notamment en demandant aux autorités de réglementation de laisser plus de place à la concurrence dans le marché des services juridiques.
« Les juristes se félicitent d’utiliser Zoom, ajoute-t-il, mais ça ne doit pas s’arrêter là. Comment pouvons-nous mettre à profit l’amélioration des données et des technologies pour bonifier le service à la clientèle? Comment les cabinets juridiques et les autres entreprises vont-ils révolutionner la prestation des services dans le monde du droit? »