Ainsi, vous voulez être juge?
Conseils pratiques et astuces d’initiés pour les candidats potentiels, prodigués par des gens qui s’y connaissent.
Présenter sa candidature à la magistrature peut être intimidant, surtout pour les membres de groupes en quête d’équité, mais un récent webinaire de l’Association du Barreau canadien fournit des astuces d’initiés aux candidats potentiels.
« Avoir des voix diversifiées et des gens issus de divers milieux à la cour est très, très important pour la légitimité institutionnelle », déclare Mahmud Jamal, juge de la Cour suprême du Canada, dans un webinaire portant sur la diversité à la magistrature présenté par le Sous-comité sur l’égalité de l’ABC. « Les Canadiens et Canadiennes qui sont jugés doivent l’être par des juges qui leur ressemblent, que ce soit des femmes, des minorités visibles ou des Autochtones. »
Le juge Jamal, né en Afrique et d’origine sud-asiatique, encourage les juristes de divers milieux à envisager de présenter leur candidature à la magistrature.
Mais il admet que le processus de candidature peut être intimidant pour de nombreuses personnes. « Le formulaire de demande est très détaillé. La simple étape où vous fournissez des données requiert beaucoup de temps. Ce n’est pas quelque chose que vous pouvez faire en une fin de semaine », dit le juge Jamal qui fut la première personne racialisée à être nommée à la plus haute cour du Canada.
« Viennent ensuite les essais, qui nécessitent de la recherche, de la réflexion, de la rédaction et du travail d’édition. »
Ce que les gens disent de vous compte
Le juge Russell G. Juriansz, qui a récemment pris sa retraite de la Cour d’appel de l’Ontario, ajoute que les comités recherchent de nombreuses qualités chez les candidats qu’ils recommanderont pour un poste à la magistrature.
« Un bon candidat doit avoir une solide expérience juridique, soit globalement ou dans un domaine d’expertise. Il doit posséder d’excellentes compétences en analyse juridique. Il doit avoir une capacité avérée de résoudre des problèmes juridiques complexes et il doit prouver qu’il peut écrire clairement, explique l’ancien juge Juriansz, un immigrant indien et la première personne racialisée nommée à la Cour d’appel de l’Ontario. Il doit faire preuve de diligence dans l’accomplissement de ses responsabilités. Il doit avoir une intégrité incontestée. Il doit traiter les autres avec courtoisie et équité. Il doit être capable de faire preuve d’une grande patience. »
La demande exige six références primaires et un maximum de dix références secondaires.
Russell Juriansz affirme que les références, prises ensemble, doivent démontrer toutes les qualités qui feront d’un candidat un bon juge. Par exemple, les références pourraient inclure un adjoint ou un collègue de travail que le candidat a supervisé, qui parlerait de sa capacité à traiter les gens équitablement. Un autre collègue pourrait parler des compétences juridiques et analytiques du candidat.
Pour vous préparer à présenter votre candidature, le juge Jamal vous recommande de ne pas seulement vous concentrer sur vos compétences juridiques.
« Faites ce que vous aimez, participez à la vie de la communauté, prenez la parole lors de conférences, rédigez des articles, recommande-t-il. Il est très avantageux de sortir du bureau et c’est bon pour votre santé mentale. Cela améliore votre lien avec la communauté au sens large, ce qui pourrait mener à quelque chose plus tard dans votre carrière. »
La juge Sandra Nishikawa, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, insiste aussi sur l’importance pour les futurs candidats à la magistrature de cultiver leurs intérêts dans d’autres domaines.
« Cherchez des occasions de parler d’enjeux qui vous importent, car cela va être plus enrichissant, plus intéressant, et vous ressentirez plus de passion envers eux. Si vous n’êtes pas à l’aise de parler, commencez par la rédaction, dit-elle. Vous serez vu comme quelqu’un qui a une expertise. »
Être authentique
L’ancien juge Harry Smith LaForme a été nommé juge à la Cour de justice de l’Ontario en 1994. L’ancien juge LaForme, qui est Anishinaabe et qui a pris sa retraite en 2018, souligne qu’il a été nommé à la magistrature à une époque où les gens étaient encouragés à taire leur identité différente.
« En fait, j’étais fier de qui j’étais. Toutefois, que vous en soyez fiers ou non, à l’époque, les gens s’en souciaient, dit-il. Nous ne vivons plus dans ce monde. Aujourd’hui, la nature authentique de vos réponses signifie quelque chose. Dans tous les cas, vous devriez être le plus authentique possible. »
La juge Nishikawa déclare que les candidats ne devraient éviter d’organiser leur carrière autour d’une candidature à la magistrature. « Concentrez-vous sur les choses qui sont significatives et importantes pour vous. Trouvez un moyen de vous bâtir un profil qui vous semble authentique, explique-t-elle. Il ne s’agit pas seulement du cheminement que peut nous permettre, avec un peu de chance, d’atteindre la magistrature, mais du chemin vers le développement d’une carrière enrichissante. »
Kael McKenzie, juge de la Cour provinciale du Manitoba et premier juge transgenre au Canada, affirme avoir inclus son identité de genre dans sa candidature.
« Je sais que la diversité, l’équité et l’inclusion sont des facteurs importants dans le processus de candidature. Cela vous permet de montrer que vous vivez avec votre authenticité, dit le juge McKenzie, qui est aussi Métis. J’ai été cataloguée comme une personne de la diversité, mais au lieu de garder mes distances par rapport à cette identité, je l’ai pleinement assumée. »
Être prêt à relever les défis
En tant que première personne autochtone au Canada nommée à un tribunal d’appel, Harry Smith LaForme se sentait parfois seul.
« Il y a une partie de vous qui veut parler de qui vous êtes, d’où vous venez, des questions qui touchent à votre communauté », dit-il.
Le juge Kael McKenzie partage ce sentiment et dit croire que lorsqu’il a été nommé juge, tous les juges trans du monde ont communiqué avec lui, parce que « nous sommes peu nombreux. Sept ans plus tard, je suis toujours le seul juge trans du pays. Je me sens un peu seul ».
Certains juges issus de la diversité font l’objet d’un examen supplémentaire de la part de personnes qui présument qu’ils n’ont été nommés que parce qu’ils représentent des minorités, selon la juge Nishikawa. Elle se rappelle aussi des situations où des gens, y compris des employés de la cour, ne la percevaient pas comme une juge.
« Bien que ces incidents soient peu nombreux, ils mènent à un sentiment du syndrome de l’imposteur », explique-t-elle.
Aussi, le travail de juge en soi est éprouvant.
« Je ne pense pas avoir compris, avant de présenter ma candidature, à quel point les juges travaillent fort, relate le juge Jamal. Je ne pense pas que cela aurait changé ma décision, mais c’est certainement quelque chose que j’apprécie davantage aujourd’hui et j’ai beaucoup de respect pour l’engagement que les gens prennent lorsqu’ils deviennent juges », dit-il.
« Ce n’est pas un travail facile. Ça requiert constamment de l’écriture, de la lecture et de l’analyse. »
Cependant, Harry Smith LaForme rassure que son expérience au sein du système judiciaire et son rôle de modèle pour d’autres Autochtones lui apporte un « énorme sentiment de fierté ».
« Des gens viennent et me disent : “Vous êtes la raison pour laquelle je suis allé à la faculté de droit” », raconte-t-il.
Pour plus de séances en ligne accréditées de l’Association du Barreau canadien sur l’égalité, la diversité et l’inclusion, visitez le site de la série de webinaires de l’ABC sur l’ÉDI.