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L’interdiction de la publicité sur la malbouffe ne suffira pas à résoudre le problème de l’obésité au Canada

Mais les spécialistes estiment que les décideurs et décideuses politiques devraient tout de même adopter ces lois

Junk food advertising on TV
iStock/Olena Koliesnik

C’est un début.

C’est le point de vue d’Elise Pauzé sur les plans proposés par Santé Canada pour limiter la publicité sur les aliments malsains destinée aux enfants.

« Je considère qu’il s’agit d’une première étape vers la mise en place de règlements plus exhaustifs à l’avenir », déclare la diététicienne et candidate au doctorat à l’Université d’Ottawa.

Plus de 90 pour cent des publicités d’aliments et de boissons que les enfants et les jeunes canadiens et canadiennes rencontrent en ligne font la promotion de la malbouffe. Dans la mise à jour de sa politique de l’année dernière, Santé Canada a annoncé son intention de modifier le Règlement sur les aliments et drogues afin de restreindre le marketing d’aliments qui contribuent à une consommation excessive de sodium, de sucres et de gras saturés. La population cible est constituée d’enfants de moins de 13 ans, et le champ d’application des restrictions concerne la publicité à la télévision et sur les médias numériques « destinée principalement aux enfants ».  

Mais il n’est pas certain que les lignes directrices promises depuis longtemps seront publiées avant les prochaines élections. Bien que le ministère de la Santé ait reçu des instructions à cet égard et qu’il se soit engagé à mettre en place des mesures d’ici au printemps, Santé Canada annonce qu’il n’y a pas de calendrier fixe pour l’imposition de restrictions relatives au marketing destiné aux enfants.

Le Canada n’est pas le seul pays à s’attaquer à ce problème. Durant la pandémie, la Grande-Bretagne s’est également engagée à adopter toute une série de mesures législatives visant à réduire l’obésité, y compris des interdictions de publicité sur la malbouffe, avant de les reporter indéfiniment à la suite des pressions exercées par l’industrie alimentaire. Au cours des trente dernières années, le Royaume-Uni a annoncé 14 stratégies gouvernementales de lutte contre l’obésité et près de 700 politiques, dont la grande majorité n’a abouti pratiquement à rien.

Mais il s’agit d’un problème qui doit être résolu. À l’instar de la situation dans la plupart des autres pays, la prise de poids collective de la population canadienne au cours des trois dernières décennies est alarmante et constitue l’une des plus graves crises sanitaires du pays. L’obésité augmente le risque de plusieurs maladies chroniques, notamment le diabète, les maladies cardiovasculaires et le cancer. Près de deux adultes sur trois et d’un ou d’une enfant et d’un ou d’une jeune sur trois sont en surpoids ou souffrent d’obésité. Les coûts associés à cette maladie complexe sont estimés à environ 23 milliards de dollars par an, soit près du budget militaire annuel du Canada, qui s’élève à 27 milliards de dollars.

De nombreuses personnes incriminent l’environnement obésogène que nous avons créé et notre dépendance à l’égard des boissons et des aliments ultra-transformés. Si les gouvernements ne s’attaquent pas à ce problème, les spécialistes estiment que plus de la moitié de la population mondiale sera en surpoids ou obèse d’ici 12 ans, ce qui entraînerait des coûts de 4 billions de dollars.

L’Australie, la Norvège, le Chili et un grand nombre d’autres pays ont adopté, ou sont en voie d’être adoptées, des lois interdisant de telles publicités afin de faire face à leurs propres problèmes de santé et de budget. L’Organisation mondiale de la Santé a incité les gouvernements à mettre en place des interdictions fortes et exhaustives afin d’inverser cette tendance.

Pendant ce temps, au Canada, le projet de loi C-252, un projet de loi d’initiative parlementaire visant à limiter le marketing destiné aux enfants, a été déposé au Parlement. Il reste à savoir s’il mourra au Sénat comme son prédécesseur, le projet de loi S-228. Pour sa part, Santé Canada affirme qu’il est habilité à mettre en œuvre des réglementations et qu’il « ne dépend pas du processus législatif ».

Certains observateurs et certaines observatrices estiment que les règlements proposés par le Canada en matière d’interdiction de publicité ne vont tout simplement pas assez loin pour faire une différence. Ils laissent trop de marge de manœuvre en précisant l’âge et les types de malbouffe, ainsi que le média utilisé.

« Le défi réside en partie dans le fait que la publicité est devenue tellement présente dans notre quotidien que nous avons perdu de vue les dommages causés à la société », déclare Jacob Shelley, codirecteur du Health Ethics, Law & Policy Lab de l’Université Western.

« Elle est devenue la norme. »

Puisque la publicité est omniprésente, toute réglementation doit avoir une portée plus étendue.

« En fait, ce qu’il faudrait faire, c’est d’interdire toute publicité destinée aux enfants, tout simplement, déclare M. Shelley.

En l’absence d’une interdiction globale, les effets positifs à long terme seront minimes. »

Cependant, la grande question est de savoir si les interdictions de publicité fonctionnent réellement.

Les critiques affirment que les pays qui ont mis en œuvre de telles interdictions ne constatent pas une baisse considérable de l’obésité infantile et que l’adoption de nouvelles réglementations ne ferait que compliquer la vie des entreprises du secteur de l’alimentation.

Les partisans et partisanes des interdictions soutiennent que les publicités très efficaces; l’industrie alimentaire ne se battrait pas si durement si ce n’était pas le cas. Cela dit, l’objectif premier de ces interdictions n’est pas de réduire les taux d’obésité, mais bien d’améliorer les habitudes alimentaires.

La plupart des spécialistes s’accordent à dire que les interdictions de publicité ne suffisent pas. D’autres mesures, comme les taxes sur les boissons gazeuses ou la reformulation obligatoire des produits, devraient également faire partie de l’arsenal législatif.

« Je ne pense pas qu’une seule intervention puisse changer les choses. Il faut mettre plusieurs mesures en place en même temps », explique Marion Nestle, auteure et professeure émérite de nutrition, d’études alimentaires et de santé publique à l’Université de New York.

« Les recherches sur les interventions spécifiques, quelles qu’elles soient, arrivent à peu près à la même conclusion : elles permettent, dans une certaine mesure, de réduire les achats ou de modifier les habitudes, mais elles n’ont pas d’effet sur les taux d’obésité. »

Dans les quelques pays qui ont mis en place des interdictions de publicité, il est tout simplement trop tôt pour se prononcer sur les résultats, et il existe trop peu d’études de qualité pour mesurer leur efficacité.

« Les changements ne se font pas du jour au lendemain », déclare Mme Pauzé, qui a mené des recherches approfondies sur la publicité destinée aux enfants au Canada.

« Les changements dans les comportements alimentaires et les résultats en matière de poids prendront du temps à se concrétiser et nécessiteront d’autres politiques soutenant des habitudes alimentaires plus saines. »

Malgré l’absence de réglementation, le Canada n’est pas resté inactif sur cette question. Au cours de la dernière décennie, le gouvernement fédéral a publié un nouveau guide alimentaire et a interdit les gras trans dans tous les aliments dans le cadre de sa stratégie en matière de saine alimentation.

À compter de janvier 2026, tous les produits qui ont une teneur élevée en sodium, en sucre et en gras saturés devront présenter un symbole nutritionnel en noir et blanc.

« Le Canada est un chef de file en matière d’étiquettes sur le devant des emballages », déclare Laura Weinrib, associée du cabinet Blakes à Toronto, spécialisée dans la loi sur la commercialisation.

Depuis les années 1980, la Loi sur la protection du consommateur du Québec interdit toute publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans. Toutefois, la loi n’a pas été conçue pour réduire la publicité sur la malbouffe, de sorte qu’il est difficile d’en mesurer l’effet. Ce qui est vrai, disent les partisans et partisanes de cette loi, c’est que les enfants de la province sont parmi les moins obèses du Canada, et que la consommation de légumes dans cette région est plus élevée qu’ailleurs au pays.

Les sondages ont montré que l’interdiction de la malbouffe est populaire auprès du public, ce qui peut expliquer pourquoi l’année dernière les Normes de la publicité, l’organisme canadien d’autoréglementation de la publicité, a mis en place un code volontaire.

La mesure dans laquelle le code diffère du projet de règlement de Santé Canada est discutable.

« Les critères nutritionnels des Normes de la publicité sont plus permissifs pour quelques catégories de produits et laissent la porte ouverte à davantage d’exceptions à l’avenir », explique Mme Pauzé.

Bien entendu, la différence la plus importante réside dans l’application, car le non-respect du code volontaire n’entraîne aucune sanction.

Même si le projet de règlement de Santé Canada est mis en œuvre, il n’aura pas nécessairement un effet considérable sur les producteurs et productrices d’aliments et de boissons.

« Je ne crois pas que cela représente un changement important pour une grande partie de ma clientèle », déclare Me Weinrib.