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L’opinion du client

Les restrictions relatives à l’utilisation de témoignages de satisfaction sont-elles trop contraignantes?

Image pour témoignages de satisfaction
iStock

Récemment, le Barreau du Québec a rappelé à ses membres que le Code de déontologie leur interdit d’afficher les témoignages de satisfaction de leurs clients. À l’heure où les technologies et les réseaux sociaux ont pris une place grandissante dans nos vies, cette règle a-t-elle encore sa raison d’être ?

Bien que l’entreprise privée utilise largement les revues de clients pour mousser leurs services, que ce soit sur leur site internet ou les réseaux sociaux, cette pratique est interdite aux avocats. L’article 145 de leur Code de déontologie – dont le texte a été mis à jour en 2015 — stipule en effet que ce professionnel « ne peut, dans sa publicité, utiliser ou permettre que soit utilisé un témoignage d’appui ou de reconnaissance qui le concerne. » Cela touche également les commentaires laissés par les clients sur les pages ou les comptes de réseaux sociaux, par exemple dans la section Avis de Facebook, précise le Barreau. Si la situation se présentait, l’avocat devrait les retirer ou rendre la section indisponible.

Les avocats québécois ne sont pas les seuls à devoir se soumettre à cette règle. « La plupart des ordres professionnels de juristes canadiens ont imposé des restrictions relatives à l’utilisation de témoignages », souligne Bob Linney, directeur des communications à la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada.

Au Québec, qu’en est-il des autres professions réglementées ? L’article 70 du code de déontologie des notaires précise qu’ils ne peuvent « utiliser ou permettre que soit utilisé un témoignage d’appui ou de reconnaissance qui le concerne, à l’exception des prix d’excellence et autres mérites soulignant une contribution ou une réalisation dont l’honneur a rejailli sur la profession ».

Cette interdiction est relativement identique à celle en vigueur pour les membres de l’Ordre des architectes du Québec ainsi que de l’Ordre des dentistes. En revanche, il n’existe aucune disposition spécifique à cet égard dans le code de déontologie des CPA et des ingénieurs.

Protéger le public

On peut se demander s’il n’existe pas un certain décalage entre ces règles et la réalité des nouvelles technologies, qui permettent à des individus, et ce même de façon non sollicitée, de commenter les services reçus. Or, s’il est relativement aisé pour Monsieur et Madame Tout le monde de mesurer la qualité du travail d’un plombier, il n’en va pas de même pour celui d’un professionnel, estime Me Antoine Aylwin, CIPP/C, associé chez Fasken.

« Un client peut certes juger de la rapidité à laquelle son avocat le rappelle, ou encore de la qualité de l’accompagnement, mais a-t-il les compétences nécessaires pour apprécier la stratégie juridique adoptée ? », souligne Me Aylwin, selon qui la norme instituée par l’article 145 a un fondement certain.

Il ajoute que le système des ordres professionnels permet d’assurer la protection du public, notamment parce que les compétences des professionnels sont évaluées par leurs pairs.

Me François Sénécal, avocat et directeur, vie privée, gestion de l’information et réglementation chez KPMG, abonde dans le même sens. « Les commentaires affichés sur internet concernent bien souvent le savoir-être du professionnel. Un client pourrait bien coter son avocat parce que celui-ci est sympathique ou qu’il a un beau bureau ! En revanche, cela ne dit rien sur ses compétences et son savoir-faire », mentionne-t-il.

Me Martine Burelle va plus loin. « C’est difficile de jauger la valeur des services d’un avocat. Les gens comprennent peu ou mal les enjeux, ils ne sont pas outillés pour le faire et pourraient écrire de mauvaises critiques, ce qui pourrait même constituer un danger pour la réputation du professionnel », dit-elle.

Exister dans un monde moderne

De son côté, Me Virginie Arbour-Maynard a une position plus ambivalente sur la question, car elle est à la fois avocate, mais aussi directrice exécutive du développement au sein du cabinet NOVAlex.

« Avec les ressources technologiques dont on dispose, on trouve de l’information sur tout, ce qui est avantageux pour le consommateur. Les patients peuvent même donner une note à leur médecin sur des sites comme Rate My Doctor ! », mentionne-t-elle, invitant toutefois à la prudence. « Le nerf de la guerre, c’est la véracité des commentaires. De quelle façon un individu peut-il distinguer une opinion véridique d’une autre ? La mission du Barreau est de protéger le public, et notamment des faux commentaires. Le maintien de cette règle permet d’éviter les dérapages ; elle est juste pour l’ensemble de la profession, même si certains n’y trouvent pas leur compte », fait-elle valoir.

Me Jamie Benizri, avocat fondateur du cabinet Legal Logik, estime quant à lui que cette norme est trop contraignante. « Je comprends que le Barreau soit contre la commercialisation de la relation avocat-client, mais on manque de souplesse. La plupart des bureaux existent déjà sur Google ou ont des comptes LinkedIn. Or, ne pas permettre aux clients de faire des revues spontanées, qu’ils soient satisfaits ou pas des services, affecte la possibilité pour les juristes de mettre en valeur leur cabinet. Comment peut-on exister dans le monde moderne dans ces conditions ? », s’interroge-t-il.

Me Dominic Jaar, associé et leader national, enquêtes technologiques chez KPMG, fait cependant une nuance. « La législation actuelle n’empêche pas les avocats de faire leur marketing. D’ailleurs, ils utilisent déjà différentes plates-formes à cette fin, mais sans publier de commentaires de clients. » Il souligne également que le bon vieux système de références – un client qui souhaiterait obtenir des références avant d’engager un avocat — existe toujours et fonctionne très bien. Selon lui, l’article 145 ne constitue donc pas un obstacle.

« Il n’est jamais mauvais de se demander si une règle devrait être réinterprétée, mais on doit déterminer quels sont les objectifs poursuivis par celle-ci, remarque Me Sénécal. Ici, on voulait surtout éviter que le public soit induit en erreur par des commentaires, ou que cela cause des dommages à la profession. Cela dit, on pourrait réfléchir à la façon d’introduire un peu plus de souplesse, mais en se montrant très prudent, car le médium – l’internet, les réseaux sociaux – est très véloce et laisse place à l’émotivité. Il y a un fort potentiel de glissement », dit-il. Beaucoup de gens ont de la difficulté à distinguer les opinions des faits, poursuit-il, il faut donc prévoir de bons garde-fous.