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La révolution de l’IA est à nos portes

Une chose est certaine : les cabinets doivent développer une stratégie pour faire face à l’évolution rapide des modèles de langage.

GPT-4 on a computer screen

L’engouement n’est pas fini. Le 14 mars, OpenAI a lancé GPT-4, la dernière version de son outil fondé sur l’intelligence artificielle générative et à la base de ChatGPT, le programme intelligent qui est aujourd’hui devenu une obsession mondiale. Les entreprises concurrentes du secteur redoublent leurs efforts pour être les premières à lancer leurs propres projets en IA générative.

Le 15 mars, PwC a annoncé le début d’une collaboration avec l’entreprise en démarrage Harvey, soutenue par le Startup Fund d’OpenAI et disposant d’un outil d’IA élaboré afin de répondre à des questions juridiques. Grâce à ce partenariat, l’intégralité des membres de PwC aura, à partir de maintenant, accès à cet outil. Le 16 mars, Microsoft, qui possède des investissements de plus de 10 milliards de dollars auprès de l’entreprise OpenAI, a annoncé l’intégration de son outil, Copilot, au sein de Microsoft 365. La version gratuite de ChatGPT utilise toujours GPT-3.5, mais les utilisatrices et utilisateurs disposant de l’outil payant ChatGPT+ pourront accéder aux fonctionnalités permises par GPT-4. 

Les entrepreneuses et entrepreneurs en technologie juridique qui travaillaient dans l’ombre afin de faire évoluer le domaine de l’IA depuis des années se voient enfin apparaître sous les projecteurs. Casetext a lancé CoCounsel lors de la conférence ABA Techshow du mois dernier. Ce que le public ignorait, c’est que Casetext travaillait discrètement pendant des mois à la création de CoCounsel avec GPT-4 dans le cadre d’un accord exclusif que l’entreprise avait négocié avec OpenAI. 

Au cours du même mois, Daniel Martin Katz, professeur au Chicago-Kent College of Law de l’Illinois Institute of Technology, ainsi qu’une petite équipe de recherche ont une fois de plus fait sensation sur les réseaux lorsqu’ils ont annoncé que ChatGPT avait non seulement réussi l’examen du barreau américain, mais que le programme avait même obtenu un score dans le 90e centile. 

Le 23 mars, OpenAI a fait une autre grande avancée en annonçant le lancement de 11 nouveaux modules d’extension pour ChatGPT. Ceux-ci ouvrent la porte aux développeuses et développeurs qui pourront maintenant créer de nouveaux programmes et intégrer ChatGPT au sein de logiciels existants.

La technologie dans le secteur juridique n’a jamais, ou très rarement, évolué à la vitesse fulgurante de ChatGPT, qui compte aujourd’hui plus de 200 millions d’utilisatrices et d’utilisateurs. Démontrant une fascination pour cette plateforme, les juristes l’adoptent avec enthousiasme. La grande révolution de l’IA présagée depuis tant d’années pourrait enfin être à nos portes.

Les possibilités avec GPT-4 

Pablo Arredondo, co-fondateur et directeur principal de l’innovation chez Casetext, a présenté sa conférence à l’ABA Techshow exactement un jour après son apparition aux côtés du chef de la direction de Casetext, Jake Heller, au programme Morning Joe de MSNBC durant lequel ils ont discuté de leur outil CoCounsel, un assistant juridique basé sur l’IA pouvant écrire des notes juridiques, préparer les plans de déposition, aider à la recherche juridique et extraire les données des contrats. 

En octobre, peu de temps avant le lancement de ChatGPT par OpenAI, la société avait en effet abordé Casetext et ainsi entamé une collaboration afin de travailler sur CoCounsel en utilisant GPT-4. Seulement 48 heures après le lancement de GPT-4, lors d’une discussion par Zoom, M. Arredondo a parlé de la liste d’attente croissante de Casetext, ainsi que de leurs bêta-testeurs pour l’outil CoCounsel, qui comprennent des entreprises du classement Fortune 500.

« Les intéressés qui viennent nous voir maintenant ne sont pas les premiers à adopter l’outil, déclare M. Arredondo. La valeur et l’enthousiasme sont palpables. Les choses évoluent si vite. »

C’est déjà en 2020 que M. Arredondo et son équipe avaient commencé à envisager les possibilités d’une collaboration avec OpenAI, puis décidé que la technologie devait encore évoluer avant d’être intégrée au domaine du droit. « Nous étions en train de développer nos propres modèles de langage, et c’est alors qu’on a pu avoir un aperçu de GPT-4, explique M. Arredondo. Nous avons vite réalisé que le domaine du droit dans son intégralité serait affecté par cette technologie. »

Les grands modèles de langage (ou LLM en anglais) sont des modèles d’apprentissage automatique qui utilisent de grandes quantités de données afin de reconnaître, résumer, analyser et prédire des données. GPT-4 est de loin le modèle le plus connu, mais d’autres existent, tels que l’outil Copilot de Microsoft et l’outil Bard de Google. 

Dès le lancement de ChatGPT au public en novembre 2022, l’importance des avantages et des écueils des grands modèles de langage, ces programmes pouvant tout autant écrire des sonnets que des articles de recherche sur demande, est devenue manifeste. En tête de liste de ces écueils ou pièges, on retrouve ce que l’on appelle les hallucinations, le phénomène par lequel les outils d’IA comblent les lacunes dans leurs connaissances par des informations fausses. 

GPT-4 est conçu de manière à réduire ces hallucinations. Selon M. Arredondo, le meilleur moyen consiste à utiliser des méthodes de génération basée sur la récupération augmentée, par l’entremise desquelles les outils d’IA sont ancrés dans « un point de vérité » et le système tire alors ses connaissances à partir de documents externes jugés factuels et exacts. Les informations utilisées dans ces procédés incluent la jurisprudence et la législation.

Le lancement de GPT-4 a poussé les entrepreneuses et entrepreneurs à se démener pour mettre à jour leurs plateformes. En tant que propriétaire de LawDroid, un outil d’assistance juridique basé sur l’intelligence artificielle, Tom Martin a passé les sept dernières années à travailler directement dans ce domaine. Lors d’une conférence sur GPT donnée à l’ABA Techshow, M. Martin a discuté de la manière dont il croyait que le passage au travail à distance pendant la pandémie avait poussé le public à adopter de nouvelles technologies. « On voit bien qu’il s’agit d’un changement radical, déclare-t-il. Le public voit maintenant le côté pratique de l’utilisation de GPT. Le public consommateur de base des outils basés sur l’IA s’élargit. »

Scott Stevenson, co-fondateur et chef de la direction chez Rally, avait perçu des rumeurs concernant GPT-4 dès novembre, mais ne s’attendait pas au lancement en mars. Son entreprise a construit son outil à l’IA de rédaction de contrats en se basant sur ce modèle de langage fondé sur l’IA. La nouvelle version se concentre cette fois « plus sur les faits, et moins sur la créativité » afin de favoriser des réponses plus précises et neutres. Cependant, selon lui, la fonctionnalité qui change réellement la donne est celle qui permet maintenant de téléverser des documents entiers dans ChatGPT. La nouvelle version peut traiter jusqu’à 52 pages de texte. 

« Jusqu’à maintenant, plusieurs d’entre nous étaient contraints par la limite de six à sept pages, et devaient essayer de diviser les documents juridiques en de plus petits morceaux », explique-t-il. Il est désormais possible de « traiter des contrats entiers d’un coup ».

Un autre point fort de cette nouvelle version est la capacité de GPT-4 à lire des images et à les convertir en texte. M. Stevenson attend avec impatience le jour où GPT pourra même trier et créer des fichiers. 

« En ce moment, nous sommes limités à de plus simples fonctionnalités comme la recherche, déclare M. Stevenson. Nous voulons des modèles qui seraient capables de traiter les flux opérationnels. Ce qui serait formidable, c’est que l’outil puisse réaliser des actions telles que rechercher et puiser dans des documents, comparer ces documents avec des précédents au sein d’un outil de recherche juridique et rédiger une note basée sur ses résultats. » 

Un outil capable de réussir l’examen du barreau

Et pourquoi pas? GPT-4 a obtenu un score qui se situait dans le 88e centile aux LSAT et a pratiquement réalisé un sans-faute à l’examen uniforme du barreau, obtenant un score situé dans le 90e centile.

Daniel Martin Katz, professeur au Chicago-Kent College of Law de l’Illinois Institute of Technology, ainsi que Pablo Arredondo, Shang Gas de chez Casetext et Michael JamesBommarito du Stanford Center for Legal Informatics ont obtenu l’accès au programme de GPT-4 afin de travailler sur leur recherche concernant l’examen du barreau. L’équipe était celle derrière le défi originel qui consistait à faire passer à l’outil GPT-3.5 l’examen du barreau à la fin de 2022. GPT-3.5 avait alors obtenu un score dans le 40e centile. Ils ne disposaient cette fois que de quelques courtes semaines afin d’effectuer leurs tests. Lors de ce deuxième défi, le programme basé sur l’IA a réussi à compléter l’intégralité de l’examen, y compris la partie et la section de rédaction, et a même su examiner les informations tirées d’un matériel présélectionné afin de déterminer les problèmes juridiques hypothétiques d’une clientèle. GPT-4 a mieux réussi que prévu, obtenant un score situé dans le 90e centile.

En raison de la discrétion nécessaire du projet, M. Katz ne disposait pas d’une équipe très large de recherche afin d’examiner les résultats qualitatifs. « L’évaluation de la partie qualitative relève d’une question de jugement, explique M. Katz. Personnellement, je suis confiant par rapport aux résultats de nos recherches, mais le public peut lire les réponses de GPT et les comparer à des réponses humaines réelles et décider personnellement ce qu’il pense de leur qualité. »

GPT-4 a commis quelques erreurs. Le programme basé sur l’IA n’a pas correctement calculé les biens matrimoniaux ni cité la règle concernant la perpétuité de manière appropriée. Il a également cité une règle concernant la preuve de manière incorrecte. « Cependant, ce sont toutes des erreurs que les étudiantes et étudiants aussi pourraient commettre, déclare M. Katz. Ce ne sont pas des hallucinations. Il s’agit de références incorrectes, mais qui respectent tout de même le cadre de la réponse. Nous devons classer ces erreurs différemment et ne devons pas les catégoriser simplement comme des hallucinations. »

Les manières dont les juristes peuvent utiliser ChatGPT

Aussi impressionnante que la réussite de GPT-4 à l’examen du barreau puisse paraître, toutes et tous ne sont pas nécessairement d’accord pour dire que GPT-4 est le grand pas en avant qu’il semble être. Durant notre discussion avec Daniel Linna Jr. concernant son prochain atelier sur ChatGPT qui sera donné en avril à la Northwestern Pritzker School of Law, il a signalé qu’OpenAI n’avait toujours pas publié de données sur la manière dont GPT améliorait ses fonctionnalités ainsi que sur les données ayant été utilisées pour l’améliorer. 

« Ces outils vont complètement transformer le système juridique, déclare M. Linna Jr., directeur des initiatives juridiques et des technologiques de l’établissement. Nous devons donc nous assurer que ces outils sont d’abord sûrs, non subjectifs, justes, transparents et explicables. »

OpenAI reconnaît que les efforts visant à réduire la mésinformation et les dommages doivent être et sont constants. Selon leur article technique concernant GPT-4, « la profusion d’informations fausses provenant des grands modèles de langage, que ce soit en raison de désinformations intentionnelles, de préjugés sociétaux ou d’hallucinations, a le potentiel de mettre en doute l’ensemble de l’environnement de l’information tout en menaçant notre capacité à distinguer les faits de la fiction ».

Les juristes devront s’adapter rapidement. ChatGPT est l’un des rares outils technologiques auxquels tant la clientèle comme les juristes ont accès. Des membres dans le domaine de la recherche, ainsi que le public œuvrant pour la défense de l’accès à la justice, se penchent actuellement à comprendre les manières dont ChatGPT pourrait contribuer à répondre aux besoins juridiques non satisfaits. Le public même peut désormais facilement demander à ChatGPT de rédiger un testament ou lui demander la procédure pour constituer en corporation une entreprise.

« Il existe un écart entre les capacités de la technologie et la prestation de services juridiques, explique M. Linna Jr. Nous disposons maintenant d’une variété de technologies de plus en plus performantes, mais nous continuons à les utiliser pour les mêmes tâches que nous avons toujours réalisées. La clientèle ne veut plus de notes et de courriels. Cette évolution est une formidable occasion pour nous de repenser nos processus. »

Les avocates et avocats subalternes, les parajuristes et les autres juristes peuvent utiliser ChatGPT afin de produire des documents juridiques plus efficacement. Colin Lachance, le fondateur de la société de recherche en IA Jurisage AI, est entré en contact avec plusieurs cabinets de juristes souhaitant lui demander des conseils sur comment former les stagiaires et étudiantes et étudiants temporaires et le personnel subalterne à l’usage approprié de ChatGPT.

« Tous les cabinets de juristes devront développer une stratégie pensée autour des modèles de langage, explique M. Lachance. Qu’ils les adoptent ou non, leurs opérations seront touchées, donc ignorer ces outils n’est désormais plus une option. »

En ce moment, les projecteurs sont tous tournés vers ChatGPT, mais à mesure que le marché se développera, une concurrence accrue émergera dans le secteur. 

« La technologie derrière les grands modèles de langage deviendra une infrastructure de la même manière que l’infonuagique, déclare M. Lachance. Le choix entre les marques Google ou Microsoft est rarement un facteur lorsque vient le temps de choisir si l’on utilise ou non la technologie infonuagique, ajoute-t-il. La valeur réelle réside dans la fonctionnalité infonuagique. »

Les juristes doivent également s’interroger sur les enjeux de confidentialité, de sécurité des données et de gouvernance de l’information lors de la saisie des informations sur la clientèle. « Plus le public développera un intérêt personnel pour ce type de technologie, plus il sera constitué d’utilisatrices et d’utilisateurs la maniant avec discernement », déclare M. Lachance.

Personne ne veut tenter de prédire ce que réserve le futur dans ce domaine. En effet, les derniers mois ont démontré à quel point il est difficile d’anticiper la direction que prendra cet enjeu. Ce qui est indéniable, c’est la formidable occasion de changer la pratique du droit que présente cette révolution.