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Une voie vers la sécurité pour les personnes trans des États-Unis

L’ABC réclame des changements au système d’immigration du Canada qu’elle juge mal conçu pour répondre à la crise émergente au sud de la frontière et à la vague de demandes de renseignements de personnes craignant la violence et la persécution


Une petite maison sur un drapeau transgenre
iStock/michaklootwijk

GPat Patterson savait qu’il était temps de quitter les États-Unis lorsque des fourgonnettes de surveillance sont apparues devant son domicile, en Ohio.

Iel enseigne au programme sur le genre et la sexualité des femmes à l’Université Kent State, l’une des rares facultés qui sont ouvertement favorables aux personnes trans.

« J’ai une cible dans le dos », a dit Gpat Patterson à Toronto, lieu de résidence choisi avec son mari, qui est également une personne trans. Le couple demande aujourd’hui l’asile au Canada.

Mx Patterson a été ému e aux larmes en lisant une lettre envoyée le mois dernier (disponible uniquement en anglais) à la ministre de l’Immigration, Lena Diab, par la Section du droit de l’immigration de l’Association du Barreau canadien, l’Alliance de la diversité sexuelle et des genres et le sous-comité de l’équité.

La lettre soulève plusieurs signaux alarmants, notamment une augmentation des demandes de renseignements provenant de personnes trans des États-Unis, terme utilisé pour les personnes trans, non binaires et de genre divers, exprimant des craintes de violence, de refus de soins de santé et d’autres formes de persécution.

« Des demandes d’asile ont déjà été déposées et sont traitées par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Cependant, le cadre actuel du Canada en matière d’immigration est mal outillé pour répondre à cette crise émergente », est-il indiqué dans la lettre.

Le régime de l’asile des États-Unis ne peut être considéré comme sûr

La lettre propose le retrait unilatéral du Canada de l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) avec les États-Unis ou la négociation d’une exemption pour les personnes trans.

« Poursuivre l’application de l’ETPS risque de violer les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne et de saper son engagement à l’égard de la protection des réfugiés. »

La lettre fait aussi remarquer que le pays a historiquement refusé les demandes d’asile des Américains en présumant qu’ils bénéficiaient de protections étatiques suffisants et de possibilités de refuge intérieur.

« Cette présomption n’est plus fondée, étant donné le ciblage systémique des personnes trans partout aux États-Unis par le gouvernement fédéral et l’adoption de lois transphobes dans presque tous les États. »

La lettre recommande aussi d’octroyer des permis de séjour temporaire renouvelables d’un an en vertu de l’article 24 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour les personnes exclues du système de protection des réfugiés. Les permis seraient délivrés aux points d’entrée, permettant l’accès à la résidence permanente au moyen d’un traitement accéléré des demandes fondées sur des motifs humanitaires.

L’ABC exhorte IRCC à mettre sur pied un programme de mesures d’immigration spéciales pour les personnes trans, en élargissant les protections pour inclure les ressortissants de pays tiers qui vivent ou ont vécu aux États-Unis, peu importe leur statut d’immigration dans ce pays.

Le régime de l’asile des États-Unis « ne peut être considéré comme sûr pour les demandeurs trans si le gouvernement américain nie leur existence ».

D’autres recommandations comprennent une formation pour le personnel d’IRCC « afin d’élaborer des réponses en matière d’immigration qui tiennent compte des traumatismes, qui sont inclusives et qui se fondent sur les droits de la communauté trans ».

Dans une réponse envoyée par courriel, IRCC dit qu’il ne peut spéculer sur la future politique et ne commente pas les « les mesures internes du gouvernement des États-Unis ».

Le ministère et la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ont des lignes directrices pour « tenir compte des vulnérabilités spécifiques des personnes 2ESLGBTQIA+ lors de l’évaluation des risques », indique-t-il.

« Ils examinent régulièrement les informations sur les pays, forment le personnel et mettent à jour les orientations pour s’assurer que les décisions reflètent les réalités actuelles. »

IRCC affirme que l’Entente sur les tiers pays sûrs demeure un outil important pour travailler avec les États-Unis en ce qui concerne la gestion des demandes d’asile le long de la frontière.

Le gouvernement fédéral a fait face à une réaction intense de la part d’Amnistie internationale et d’autres défenseurs des droits de la personne depuis le dépôt du projet de loi C-2 en juin et du projet de loi C-12 en octobre.

Alors que les promoteurs citent la nécessité de renforcer la sécurité aux frontières, les critiques affirment que les projets de loi mineraient la protection des réfugiés et des immigrants, ainsi que l’application régulière de la loi.

Le projet de loi C-12 exigerait également que les demandes d’asile soient présentées dans l’année suivant la première entrée au Canada pour les personnes qui sont arrivées après juin 2020. Les critiques soutiennent que cela néglige la fréquence avec laquelle les gens traversent la frontière et la façon dont leurs situations peuvent changer.

« Transphobie omniprésente »

De retour aux États-Unis, GPat Patterson a lancé en 2022 une poursuite devant la Cour fédérale, toujours en cours, alléguant avoir été victime de discrimination lorsque l’Université Kent State lui a refusé une promotion en raison de son identité de genre.

Mx Patterson dit aussi avoir défendu des élèves qui se sentaient « déshumanisés » par une « transphobie omniprésente ».

Les choses ont empiré en avril dernier lorsque Mx Patterson travaillait sur un projet artistique dans un parc près de sa maison de l’Ohio avec des enfants du quartier. Le projet comprenait un grand panneau aux couleurs de l’arc-en-ciel sur lequel était écrit « Démocratie ».

« C’était la première fois que des nationalistes chrétiens m’approchaient à l’extérieur de ma maison. Ils ont commencé à m’interroger comme s’ils étaient les forces de l’ordre, puis ont essayé de me parler de leur foi. »

Quelqu’un a enlevé le grand panneau, et GPat Patterson a reçu un mystérieux SMS lui demandant : « Avez-vous créé de l’art dernièrement? »

Des véhicules de surveillance sont ensuite arrivés.

« Ce n’est pas normal que des gens soient assis dans des fourgonnettes devant ma maison, a d’abord pensé GPat Patterson. Je refuse d’y croire. »

Le mois précédent, en mars, le Service de l’immigration et des douanes des États-Unis (Immigration and Customs Enforcement – ICE) avait entouré des étudiants et des professeurs de couleur dans des universités du pays, alors que l’administration du président Donald Trump poursuivait des non-citoyens qui appuyaient ouvertement la Palestine.

À peu près à la même époque, plus de 200 Vénézuéliens ont été déportés par avion vers le Salvador, sans procédure régulière ou presque, pour être détenus parce que, censément, ils n’avaient pas de statut légal ou entretenaient des liens avec des gangs.

Pour GPat Patterson, il n’y avait aucun doute que le temps était venu de partir lorsque Donald Trump a commenté en avril que les « natifs » étaient les suivants. C’était le signal de trop.

« J’ai l’impression que mon parcours en enseignement, même si je fais bien mon travail, est terminé, du moins à Kent State. J’espère que le Canada nous permettra de rester. Mais en ce moment, je pense que le sentiment écrasant que je ressens est simplement un chagrin profond. Je me sens comme un fantôme dans ma propre vie. »

Mx Patterson avance que les personnes trans deviennent de plus en plus des boucs émissaires depuis que le mouvement « MeToo » a explosé aux États-Unis en 2017.

Au cours du deuxième mandat de Donald Trump, plus de mille projets de loi transphobes ont été présentés dans 49 états allant de l’interdiction du financement fédéral de soins d’affirmation de genre, à la modification forcée des marqueurs de genre sur le passeport et sur les documents officiels, en passant par l’interdiction des pronoms de préférence.

La vie de GPat Patterson a déraillé « non pas parce que je suis un être humain dangereux, mais parce qu’un homme coupable de plusieurs crimes essaie d’échapper à la responsabilité de ses crimes et de projeter cela sur des personnes marginalisées de mon pays ».

« Ce ne sont pas simplement des gens qui sont alarmistes »

Yameena Ansari, avocate en immigration de Calgary, représente Mx Patterson et consulte toutes les semaines environ onze autres personnes trans des États-Unis.

« Cela représente presque toute ma charge de travail en ce moment, dit-elle. Pour moi, en tant que femme cisgenre, je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait et la vitesse à laquelle les choses évoluaient. Ce ne sont pas simplement des gens qui sont alarmistes. »

La portée fédérale des décrets-lois transphobes de Donald Trump signifie que, dans des États bleus ou rouges, des personnes trans sont touchées.

De nombreux clients de Me Ansari sont des professionnels et des entrepreneurs prêts à accepter « une baisse de salaire importante » pour se sentir plus en sécurité au Canada.

« Ils vendent leurs maisons et amènent leurs centaines de milliers de dollars ici », dit-elle. Cette terre de liberté et de courage, en très peu de temps, est devenue, à peu de choses près, la terre de La Servante écarlate. »

À Toronto, Latoya Newton, chef fe de l’engagement pour Rainbow Railroad, affirme avoir reçu mille demandes d’aide des États-Unis dans les 24 heures qui ont suivi la victoire électorale de Donald Trump.

« Cela ne s’était jamais produit dans l’histoire de notre organisation. »

Six mille autres demandes, soit environ le tiers de tous les dossiers mondiaux, ont été reçues depuis janvier.

Rainbow Railroad est un organisme de bienfaisance enregistré au Canada qui travaille à la réinstallation en toute sécurité de personnes 2ELGBTQIA+ persécutées dans le monde entier. Il a aussi le statut d’organisme de bienfaisance aux États-Unis.

Alors que la situation se détériore aux États-Unis, « c’est une période vraiment terrifiante », réclame-t-iel.

« Il y a des gens qui craignent de quitter leur maison par peur d’avoir une interaction avec le Service de l’immigration et des douanes. »

Le Canada demeure perçu à l’échelle internationale comme un pays accueillant, malgré la montée récente du sentiment anti-immigration, alimentée par les préoccupations et la colère entourant le logement et des questions économiques. Selon Mx Newton, tenir pour responsables de ces problèmes de nouveaux arrivants traumatisés est profondément injuste.

« Les gens ne choisissent pas de devenir des réfugiés, dit-iel. La compassion doit jouer un rôle essentiel dans la façon dont un pays réagit à ce qui arrive à la communauté humaine mondiale. »