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Stérilisation forcée et la criminalisation de l’eugénisme

Le Comité sénatorial permanent sur les droits de la personne propose une nouvelle infraction.

Hospital bed

Un deuxième rapport accablant du Comité sénatorial permanent sur les droits de la personne a été publié en juillet dernier sur la stérilisation forcée des femmes autochtones, pratique qui a toujours lieu dans les systèmes de santé canadiens. Or, ce phénomène viserait aussi d’autres femmes de groupes marginalisées, « la pauvreté, la race et la déficience » étant les trois dénominateurs communs à cette pratique tirant vers l’eugénisme. Une nouvelle infraction criminelle est donc sur la table. 

L’eugénisme est au cœur de la stérilisation forcée. Jusqu’aux années 70, des lois visant spécifiquement la stérilisation de personnes dites « inaptes » étaient scrupuleusement appliquées en Alberta et en Saskatchewan. En près de 40 ans, ce sont quelque 4 875 femmes qui auraient ainsi été stérilisées, en Alberta seulement. Si le Comité sénatorial permanent sur les droits de la personne en vient aujourd’hui à publier un deuxième rapport, c’est que malgré l’abrogation de telles lois, la pratique serait toujours présente, et ce, à plusieurs endroits à travers le pays. 

Des survivantes sont venues témoigner de leurs épreuves. L’une d'entre elles a tenu à garder l’anonymat. La ligature forcée de ses trompes de Fallope remonte à 2018. Son histoire recoupe celles des autres survivantes quant à son procédé. 

Elle était alors à l’hôpital pour accoucher. Un accouchement difficile : l’équipe médicale devait procéder à une césarienne, pour lui éviter un choc septique. Son enfant à naître était aussi en détresse.  « Ils m’ont expliqué qu’ils allaient couper mes trompes de Fallope et les refermer en plaisantant sur le fait que plus rien ne passerait par là. [...] J’ai signé sans lire, car j’avais l’impression que la vie de mon enfant à naître était entre mes mains si je ne signais pas les documents assez vite », a expliqué la témoin à la Commission. 

Les témoignages entendus reviennent tous sur des éléments similaires : absence d’information, manque de compréhension quant à l’opération à venir, opérations expéditives, état vulnérable des patientes à la suite de l’accouchement.  

Selon le rapport, « il est arrivé, par exemple, que certains membres du personnel médical demandent le consentement de la patiente à des moments inappropriés, qu’ils menacent même la patiente, qu’ils l’informent mal de la nécessité de l’intervention ou des effets de la stérilisation ou, voire même dans certains cas, qu’ils ne cherchent tout simplement pas à obtenir leur consentement. »

Malgré la réglementation stricte du milieu médical, surtout relative au consentement aux soins, « on ne peut pas parler de médecins qui ont dû faire face aux conséquences de leurs actes [...] il n’y en a eu aucun », selon Me Alisa Lombard, qui pilote actuellement un recours collectif au nom d’une soixantaine de femmes autochtones. Me Lombard n’a malheureusement pas répondu à notre demande d’entrevue. 

Pourtant, la pratique pourrait être sous le coup de plusieurs infractions différentes au sens du Code criminel, sans compter les infractions disciplinaires dans le cadre de la pratique de la médecine. Une stérilisation forcée pourrait être assimilée à des voies de faits, voies de faits graves ou infliction de lésions corporelles. 

Sur le plan civil, une brève recherche jurisprudentielle permet de constater que des pratiques similaires peuvent être sanctionnées par les tribunaux. Dans la décision Trudeau c. Cérat (2021), la demanderesse soutenait avoir été mal renseignée par son médecin quant aux risques liés à une opération de myomectomie. À la suite de l’opération, différents tests lui démontrent qu’une de ses trompes de Fallope n’est plus fonctionnelle. Elle devra recourir à la fécondation in vitro pour avoir un autre enfant. Le tribunal sanctionne le médecin pour ne pas avoir acquitté son devoir de renseignement envers sa patiente. Il doit lui verser 29 000 $. 

« Les droits à l'autodétermination et à l'inviolabilité de la personne sont à la source du droit de refuser un traitement ou d'y consentir. L’obtention d’un consentement libre et éclairé du patient avant de pratiquer une intervention vise à lui permettre d’exercer ces droits. C’est en exécutant son devoir de renseignement que le médecin s’affranchit de cette mission », peut-on lire dans la décision de la Cour du Québec.

Un silence généralisé entourait la pratique de la stérilisation forcée chez les femmes autochtones, et les membres du Comité sénatorial s’en insurgent. Ils proposent donc une stratégie axée sur la responsabilisation et l’éducation.

Une infraction criminelle distincte ? 

La première recommandation du rapport déposé en juillet dernier demande de créer une nouvelle infraction relative à la stérilisation forcée dans le Code criminel. C’est à son effet dissuasif qu’on pourra en constater la pertinence, selon Me Alisa Lombard. « On sait que ce serait toujours mieux que ce que l’on a en ce moment, qui n’est rien du tout. Je pense que c’est une mesure qui serait immédiate. Il faut comprendre que, pour dénoncer une pratique qui est absolument inacceptable, la mesure doit égaler le tort qui a été causé. »

D’autres témoins souscrivent moins à la pénalisation d’une telle pratique, soulignant qu’il ne s’agirait là que « d’une petite pièce du casse-tête ». « Il est clair, à mes yeux, qu’il s’agit d’un problème systémique de très grande envergure. [...] Tous les acteurs du système qui donnent libre cours à ces injustices doivent être informés de façon à ce qu’on agisse en amont et non pas seulement en aval », selon Virginia Lomax conseillère juridique de l’Association des femmes autochtones du Canada.

Les femmes qui ont témoigné devant le comité ont décrit les effets à long terme d’une telle procédure, non seulement d’un point de vue physique, mais aussi psychologique. La troisième recommandation du comité s’inscrit dans la perspective d’un dédommagement pour les survivantes. « Il n’y a pas de véritable indemnisation possible, mais on devrait au moins reconnaître le traumatisme qu’elles ont vécu en raison de leur stérilisation forcée », selon Melanie Omeniho, présidente des Femmes Michif Otipemisiwak. 

Et surtout, qu’une réelle réflexion soit amorcée sur la formation des professionnels de la santé. Le Dr Evan Adams, médecin en chef adjoint de la santé publique à Services aux Autochtones Canada, a dénoncé sa propre éducation et ses « approches paternaliste et raciste dans les soins cliniques à l’intention des femmes ». 

Le comité recommande donc aux provinces « que le gouvernement du Canada prenne toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre l’appel à l’action 24 de la Commission de vérité et de réconciliation », qui préconise la mise en place de formations sur le racisme et la compétence interculturelle. 

Cela dit, toutes ces recommandations devront être accompagnées d’une plus grande sensibilisation pour les femmes et les filles autochtones, selon le comité. « Nous devons trouver une façon d’aviser les jeunes femmes de nos communautés qu’elles ont le droit de refuser cette situation. Peu importe leur décision, personne ne peut la contourner et les menacer de leur retirer leurs enfants », conclut Mme Omeniho.